LE FOOTBALL REND-IL DE DROITE ?

Première partie de notre diptyque, dans lequel on interrogera les sous-entendus politiques derrière les pratiques et l’habitus du supporter, à traverse la question suivante : le football rend-il de droite ?

Avant de se demander, "le football rend-il de droite", dissipons d’emblée un potentiel malentendu : il ne s’agit pas d’établir si le foot en lui-même serait de droite ou de gauche, nous connaissons tous ici la réponse. Plutôt de se demander si ce qu’il met à l’ordre du jour l’est. Même profondément de gauche, même bien sur ses appuis, quelqu’un qui aurait passé une journée devant CNews sera plus de droite qu’il ne l’était avant d’avoir allumé sa télé, parce qu’il aura beau y apporter des réponses « de gauche », il se sera conditionné à se poser des questions « de droite ».

[TRIGGER WARNING : EMMANUEL MACRON]

Ce que l’on se propose d’examiner ici, c’est précisément les questions que la condition de supporter pose, de manière plus ou moins implicite, et la manière dont elles peuvent influer sur notre façon de penser.

Macron au tableau

DE L'AMORTI VERS L'AMORTISSEMENT

Peu de gens le savent, mais avant de devenir CFO d’OMForum, le Professeur Urbain était promis à une brillante carrière de punk à chien ruthénois. Allez savoir quel rôle a joué dans cette transformation un quart de siècle passé à suivre des mercatos, en affinant à chaque fois un peu plus sa compréhension des enjeux financiers et des écritures comptables. Révolue l’époque où l’on considérait naïvement qu’il s’agissait juste d’avoir une balance achats/ventes positive pour avoir des finances saines.

Ne croyez pas que l’on fustige ici le "FC Amortissement", ou que l’on avancerait stupidement que "comptabilité = drouate". C’est au contraire une évolution nécessaire et naturelle des compétences requises par le "métier" de supporter, naturelle dans le sens où elle s’adosse à un sport de plus en plus financiarisé, et où le mercato en tant que tel constitue déjà un spectacle.

Une lecture comptable des faits est devenu un outil indispensable pour qui veut comprendre la stratégie de son club, parce que son devenir est autant assujetti à ses résultats financiers que sportifs ; parce que, tout simplement, des mauvais résultats comptables déterminent plus certainement sa trajectoire future que les résultats sportifs, qui en deviendraient presque abstraits, et résumables à une opération financière parmi d’autres. Si bien que, tout doucement, on en vient à penser qu’une saison réussie, c’est avant tout une saison rentable. Le football rend-il de droite ? Il rend déjà comptable malgré soi.

Macron joue au foot

Cette conversion silencieuse à la rationalité économique en rappelle une autre, celle que connaît n’importe quel employé qui, après des premières années à hurler en lui-même qu’il n’est pas un numéro, finit invariablement par s’auto-déterminer comme étant une ressource, un profil, un Equivalent-Temps-Plein, un incubateur de calories financières, qui ne s’envisage que par ce qu’il produit et par ce qu’il coûte. Dans le sillage de leurs dirigeants, les supporters en viennent à ne voir les joueurs de l’effectif que comme des assets, et on ne peut plus évaluer leur qualité technique, leur vision de jeu, leur endurance, qu’à l’aune de leur salaire, de la durée de leur contrat, de leur potentiel à la revente. Et comme l’épisode récent du potentiel transfert de Guendouzi en Angleterre l’a rappelé, si le joueur se doit d’aimer son maillot, le maillot se fout bien du joueur.

LE CHARME RANCE DE L'INSTITUTION

De mémoire de supporter, la notion d’institution est assez neuve. Elle semble répondre à des visées élitistes, séparant le bon grain des grands clubs de l’ivraie des sparring-partners, et s’accélérer avec les développements des stratégies digitales, au point de se confondre avec celle de marque. L’institution est d’abord garante d’une certaine vénérabilité, d’un passé dont elle se réclame, tout ça participe d’un storytelling qui cherche d’abord à produire un packaging, afin que l’institution soit plus visible que les autres institutions du même étal, avec lesquelles elle est en concurrence.

Pourquoi cette notion émerge, et pourquoi donc n’émerge-t-elle que maintenant ? Si ce récit survient, c’est peut-être parce que le précédent s’épuise. N’en déplaise à l’adage selon lequel les supporters restent quand les joueurs ne font que passer, ces derniers jouent une grande partie dans l’identité d’une équipe, et aident à lire l’histoire d’un club comme une succession de générations. Maintenant qu’ils mènent une carrière, maintenant qu’ils sont considérés comme des actifs financiers aux échéances de plus en plus brèves, maintenant que les clubs les plus riches les accumulent et les ventilent aux quatre vents, et que ceux du dessous recherchent avant tout la bonne opération financière, leur volatilité ne permet plus au club de s’incarner à travers eux.

Macron avec Rudi Garcia le Football rend-il de droite

Entre alors l’Institution, avec son terrible cortège de bonnes pratiques marketing : on mythifie tout un décorum qui va du stade au blason, on ritualise et rigidifie l’expérience-supporter, on convoque régulièrement les figures du passé dans les tribunes ou dans le staff, bref on construit un patrimoine pour que le club arrive à (se) convaincre de son caractère éternel. Cette savante construction d’identité est d’autant plus cocasse que toutes les institutions ont la même. Et derrière ces rappels incessants, on devine un inconfort, et un doute dont on ne parvient à se défaire. Quand on verbalise à ce point quelque chose, c’est qu’on doute de sa réalité.

L’Institution se caractérise aussi par son caractère intouchable, par sa toute-puissance auto-attribuée, au nom de prétendus intérêts supérieurs - qui confineraient presque à la raison d’Etat. Les exemples pullulent de joueurs sanctionnés pour un like malheureux, et dans le cas de l’OM on se souvient des licenciement abusifs de Bedimo et d’Adil Rami, ou de manigances qui relèvent du harcèlement moral, mais qui n’émeuvent plus grand-monde, puisqu’au nom de l’Institution. « Tu l’aimes ou tu la quittes » semble être le mot d’ordre, et de par son caractère performatif (elle est moins définie par ses valeurs que par ses contours, par ce qui en relève et par ce qu’elle exclut), ses injonctions patriotiques et ses visées autoritaires et illibérales, l’Institution aujourd’hui ressemble à La République : elle en détourne les concepts pour mieux en dévoyer le sens, et en retenir la lecture la plus réactionnaire qui soit.

VAR PARTOUT, JUSTICE NULLE PART

L’instauration de la VAR apparaît majoritairement comme un instrument de justice. Seule détentrice de la vérité, elle corrige des erreurs invisibles à vitesse réelle, ou à l’oeil nu, et expliquerait à elle- seule le déclin de l’Olympique Lyonnais. Mais elle a aussi pour conséquence de dramatiser à outrance l’erreur d’arbitrage, désormais quasiment passible du pénal, et flatte les plus vils instincts du supporter.

Au delà des débats qu’elle suscite sur son efficacité (réduit-elle le champ de l’injustice, ou ne fait-elle que le déplacer ?), et auxquels nous ne nous mêleront pas ici, le cérémonial qu’elle déploie (le temps et le supporter suspendu à la gestuelle grotesque d’un arbitre se précipitant vers son écran de contrôle) s’adresse en premier lieu aux diffuseurs et aux téléspectateurs. Peut-elle exister dans le football en tant que sport, ou participe-t-elle à en faire un produit de consommation ? S’agit-il de justice, ou de satisfaction client ? Le football rend-il de droite, et pire, de iencli de droite ?

Macron et Grégory Sertic le Football rend-il de droite

Surtout, elle officialise que le supporter évolue dans un vacuum sans moralité, où toutes les valeurs dont on se réclame par ailleurs n’ont plus cours. La VAR est un caprice de consommateur-enfant-roi, à qui on ne demandera jamais d’apprendre à gérer sa frustration d’évènements contraires à ses désirs. Il est facile de la détourner en instrument d’émancipation - et donc de gauche - dès lors qu’on fait l’erreur de filer la métaphore de l’arbitre comme d’un policier. La VAR serait sa body cam, qui nous protège contre ses abus et apporte une transparence inespérée. Sauf que dans le football-spectacle, l’arbitre n’est pas un policier, il est un rouage mal graissé, la friction devenue intolérable à l’expérience de consommation.

La fuite est éternelle, ce qui a commencé par la goal line technology annonce déjà les hors-jeu automatisés et les micros sur les arbitres, et en fait de justice, ce dispositif n’est qu’un prétexte à toujours plus de contrôle, répondant en réalité à des impératifs d’assurance qualité. L’horizon vers lequel elle tend, ça n’est pas l’accession à une Vérité sportive immaculée, c’est des tickets de matchs remboursables en raison d'un produit défectueux.

Macron avec un maillot du PSG Football rend-il de droite

Alors le football rend-il de droite ? Le supporter, s’il n’est pas vigilant, s’habituera malgré lui à adopter des réflexes droitiers. En complément de son existence professionnelle et de méthodes de management qui, rappelons-le, doivent beaucoup au nazisme, le soft power entrepreneurial qui imprègne le football professionnel mène à mieux tolérer les hiérarchies verticales. L’institution, devenue réactionnaire, l’encouragera vers les pentes savonneuses de ses pulsions identitaires, et parce que le football est devenu un produit quasiment garanti, on domestique le citoyen en lui en flattant le consommateur.