TITANE : Folle métal jaquette

J'ai bien senti passer le choc générationnel devant Titane de Julia Ducournau, Palme d'or du Festival de Cannes 2021. J'étais le seul à me tordre de douleur sur mon siège, d'une salle remplie de zoomers rendus stoïques soit par le fait d'avoir grandi avec l'idée qu'aucun futur ne les attendait, soit par leurs mœurs extrêmes et dissolues de sales jeunes sans repères moraux qui passent des week-ends 100% queer à mélanger leurs genderfluides.

Vagues spoilers, non pas sur l'intrigue du film, mais sur le contenu de quelques scènes gores. Disons que la lecture est à éviter si votre plaisir est de découvrir avec quel instrument a été tué le Docteur Lenoir, et quelle quantité de liquide cérébro-spinal il a perdu à l'occasion.

Synopsis : Un pompier (Vincent Lindon, bon père) cherche à retrouver son fils. Alexia (Agathe Rousselle, bon enfant) cherche à tuer des gens. Ensemble ils vont bâtir un monde meilleur, où qu'y a des Rousselle et où barrit Lindon.

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Alliage pas tendre et gueule de bois

Le film est dé-gueu-lasse les amis. C'est peut-être moi, Grave - précédent film de Ducournau - m'avait déjà mis bien bien mal à l'aise et on trouve dans Titane le même body horror d'étudiant en médecine, entre précision clinique et curiosité morbide ("ça fait quoi si je me coupe un doigt en épilant la chatte à ma soeur ?"). Quoique Titane est plus grand guignol (et finalement beaucoup plus grand guignol) et, à froid, peut-être plus soutenable ?

Mais en ce qui me concerne il n'y aura plus jamais de "à froid" avec un film de Julia Ducournau, son emprise est totale et quand la deuxième scène s'ouvre sur l'héroïne qui refait sa coiffure avec une pique à cheveux, j'en suis déjà à supplier "oh non s'il te plait pas la pique à cheveux". Ce qui (me) rend son cinéma proprement insoutenable, c'est l'efficacité avec laquelle il conditionne à voir l'horreur partout ; dès lors chaque personnage est une future victime et chaque seconde porte en elle la menace d'une fulgurance gore (une ... fulgorance ?), aussi - et c'est sûrement la plus grande perversité du film - j'ai accueilli avec un grand soulagement la bascule qui s'opère dans un second temps vers ... le film français ? Et je veux bien dire Le Film Français™, "deux accidentés de la vie se voient accorder une seconde chance tout les oppose mais les fêlures de l'un seront le ciment de l'autre". Au moins pendant ce temps-là, personne ne tire un peu trop fort sur des piercings de téton, et personne ne s'auto-inflige de curetage selon l'école du vénérable Cheb Mami ("oh non s'il te plait pas la pique à cheveux").

(En échange, on verra quelques gros plans sur le cul de Vincent Lindon, et vous aussi vous surprendrez-vous à préférer ça).

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Le body horror picture show

Et j'ai bien conscience de mordre à l'hameçon en insistant à ce point sur ce que le film a de choquant - on se souvient que Grave avait basé sa promo sur le nombre supposé de gens ayant fait des malaises dans les avant-premières, on verra si Titane en fera de même avec les fausses couches (si vous êtes enceinte, si vous projetez d'être enceinte, si vous avez été enceinte : n'y allez pas).

C'est que lui-même n'est pas le dernier à troller, notamment dans sa première partie qui joue la partition du slasher pervers et décalé, et qu'il se révèle finalement assez puéril à vouloir pousser à fond tous les potards du malaise. Au milieu des références invoquées (en premier lieu desquelles, Cronenberg et Tsukamoto), j'ai aussi pensé à The Neon Demon, où le projet esthétique préside au reste, et tant pis si le reste est parfois un peu gogol.

(Ce qu'on peut synthétiser par "formellement c'est exceptionnel scénaristiquement c'est le bordel" allez hop).

Derrière la répulsion immédiate qu'induit le body horror, Titane en propose une autre, plus vénéneuse encore : celle qui nait des tensions entre des régimes d'image très marqués par le sceau du cinéma de genre et des thématiques grattées à Céline Sciamma, entre le surnaturel - qui peut être très frontal - et l'ancrage dans le réel qu'accentue l'obsession à filmer la chair sous toutes ses coutures. Entre une meuf qui baise des voitures et le daron du film social. Pour moi qui suis sorti de la salle sans la certitude d'avoir aimé le film, mais avec celle que le cinéma d'horreur, c'était terminé, la conclusion est terrible : l'horreur est partout, même dans un film avec Vincent Lindon.

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