Beauséjour : "Bielsa c'est comme la Matrice, il t'ouvre l'esprit"

Le site de Colo Colo, mythique club chilien, retranscrit une entrevue fleuve et extraordinaire de Jean Beauséjour, le non moins mythique ailier, qui fait partie des symboles de la sélection chilienne, alors entraînée par Marcelo Bielsa, qui a enchanté le monde entier lors de la coupe du monde 2010, en Afrique du Sud.

Après une longue partie très émouvante sur son enfance et sur son identité mapuche, il évoque ses rencontres avec Bielsa, et c'est peut-être une des évocations d'un entraîneur les plus extraordinaires que j'ai eu l'occasion de lire. Verbatim intégral :

 

image

 

J'ai entendu que Bielsa te suivait depuis le tournoi préolympique de 2004, lorsqu'il entraînait l'Argentine ?
Oui. Bonini m'a raconté par la suite que lors de ce match (Chili-Argentine, moins de 23 ans), les principales inquiétudes qu'avaient Bielsa étaient liées à Mark Gonzales et à moi-même, nous avions fait de belles performances qui ressemblaient un peu à ce qu'il recherchait.

 

" Il nous a ouvert l'esprit, c'est comme la Matrice"

 

Qu'avait Bielsa de particulier ?
Il y a parfois un sentiment particulier au Chili, un peu honteux, avec certains qui ont l'impression que de reconnaître Bielsa a pour effet de dévaloriser le sélectionneur national actuel, ou de donner le sentiment qu'avant Bielsa il n'y avait rien au Chili et qu'il a inventé le football ici, ce qui est faux.
Pour moi c'est totalement autre chose.
Pour moi, Bielsa, et je partage ce sentiment avec beaucoup d'anciens coéquipiers, nous qui avons eu la chance de l'avoir comme entraîneur, nous a changé notre façon de voir le football. Il nous a ouvert l'esprit, c'est comme la Matrice. Dans le pire des cas, tu joues aussi mal qu'avant, mais tu sais pourquoi tu joues mal. Avant non, je jouais comme un moineau. Bielsa ouvre une autre dimension, une autre vision du football.
Je pensais qu'il avait seulement eu cet effet sur nous. Un jour, je tombe sur Carlos Tevez dans un vol, je retournais au Chili et lui en Argentine. On s'était déjà croisés en Premier League. Après deux ou trois banalités, il me demande "alors, comment va El loco ?", puis avant que je ne puisse répondre, il a ajouté "c'est le meilleur du monde. Profite-en".
Carlos Carmona, par exemple, qui a joué avec Lionel Scaloni, me disait que ce dernier avait le même discours quand ils parlaient ensemble du Loco Bielsa. Bien sûr, au moment où on le vit, on ne se rend pas forcément compte de sa valeur.
De fait, il y a des entraîneurs qui ont gagné plus de titres que lui parce que c'est la vision facile que certains ont "quand a-t'il gagné quelque chose, combien de titres a-t'il obtenu ?et évidemment, il y a pas mal d'entraîneurs qui ont gagné plus de titres que lui. Mais travailler avec el Loco, ce n'est pas seulement du football, c'est partager un idéal et y croire d'une façon démesurée. Ça en est au point, footballistiquement, de te laisser bouche bée.

 

image

 

La plupart des techniciens insistent toujours sur le fait que le point le plus important, c'est que les joueurs croient en toi. Ce que tu veux dire c'est que vous étiez totalement convaincus de sa méthode ?
Oui. Pour moi ce fut une croyance aveugle. J'ai très rarement ressenti dans ma vie qu'une personne soit capable de développer ce sentiment d'appartenance comme dans ces moments. Et cela ne s'appliquait pas juste à moi.

 

"c'est comme si j'avais fait une thèse, un Master, un MBA en football."

 

Et comment est-ce que c'était au jour le jour ? Par exemple, Claudio Bravo a dit qu'il n'échangeait pas beaucoup de paroles avec Bielsa.
Bielsa fait passer beaucoup de choses à travers ses actes, et les actes valent beaucoup mieux que les paroles. Par exemple sa manière d'agir de la manière la plus équitable possible avec tous les joueurs, j'ai très rarement vu ça dans ma carrière. Du premier jour au jour où il est parti, je ne l'ai pas vu changer en rien. Sa manière d'être avec nous ne changeait pas du tout en fonction des résultats. Il y a tellement d'autres choses à dire, c'est sans fin. Je parle uniquement de sa personnalité, mais en termes footballistiques, je sens que les années passées avec lui, pour moi, c'est comme si j'avais fait une thèse, un Master, un MBA en football.

 

image

 

Tu le croyais ? Tu savais que tu n'étais pas en train de te faire endoctriner ?
Parfois, j'ai peut-être tendance à donner l'impression de l'idéaliser, ce n'est pas le but, parce qu'il a certainement des défauts comme tout le monde, mais je me réfère à la relation qu'il avait avec nous. Dans ses relations avec son staff, par exemple, certains ont une vision plus contrastée et je la respecte, beaucoup ont des opinions différentes. Ils disent que ceux qui travaillent avec lui doivent s'impliquer d'une manière exagérée, démesurée... Je parle seulement de la relation et du travail qu'il faisait avec les joueurs, pour le reste je n'ai pas assez d'informations pour avoir une opinion.

Est-ce que tu as eu de longues discussions avec lui ?
On a eu quelques discussions, mais mon admiration porte surtout sur l'homme en général. Si on a eu des discussions en dehors du football ? Tu sais quoi ? Je ne m'en souviens pas trop.

Pour avoir l'entrevue fleuve en VO et en intégralité, c'est sur le site de Colo Colo, Ici

2 comments

Leave a reply