OM ET ADIDAS | Adidas a-t-il été un équipementier parasite ? (3)

OMForum décrypte | Les destins d'Adidas et de l'Olympique Marseille se sont croisés pour la première fois en 1975. Depuis les années 90, le club phocéen et l'équipementier ont vécu une relation assez unique dans le sport français, et ils ont partagé à deux reprises le même propriétaire. Certains enjeux propres à Adidas ont eu un impact majeur sur l'Olympique de Marseille.

Décryptage à partir notamment de deux ouvrages "Comment Adidas devient l'un des plus beaux redressements de l'histoire du business" d'Éric Wattez et "Robert Louis-Dreyfus, l'incroyable odyssée d'un rebelle des affaires" de Jean-Claude Bourbon et Jacques-Olivier Martin. La majorité des citations de l'article sont issus d'un de ces deux ouvrages.

Nous avons également eu la chance d'obtenir une entrevue du professeur et docteur en marketing Peter Rohlmann, un des meilleurs spécialistes européens en marketing sportif, ce qui nous a permis d'avoir une vision experte et dépassionnée du dossier.

 


Les destins de l'OM et d'Adidas s'entrecroisent

Pourquoi RLD a racheté l'OM

Un équipementier parasite ?

A quoi s'attendre pour le futur ?


Les interactions entre l'OM et Adidas seront néanmoins multiples. Tout d'abord, Adidas sécurise effectivement son contrat d'équipementier, en écartant Nike et Reebok pour une très longue période.

Pour Peter Rohlmann, si le fait de ravir l'OM à Nike a eu un impact important pour Adidas, il ne faut pas non plus surestimer l'importance de cette situation : "un des éléments importants de cette période réside dans le fait qu'Adidas s'était recentré sur son cœur de marché, MLD football, et avait réussi un virage vers le marketing moderne, à l'image de Nike. Par exemple, 10 des 24 sélections ayant disputé la Coupe du Monde 1994 aux États-Unis étaient équipées de la marque aux trois bandes, incluant les sélections américaines et allemandes. Il faut aussi se rappeler que Nike était un entrant récent dans le monde du football. L'équipementier américain avait du mal à se faire accepter et devait faire ses preuves. Dans le même temps, l'OM connaissait une période difficile. Mais le contexte était très particulier : un club qui avait une longue histoire de collaboration avec Adidas (seulement une interruption de deux ans) et une coïncidence incroyable puisque deux présidents de l'OM ont été dans le même temps présidents d'Adidas. Clairement, ne pas perdre l'OM pour Nike a été un des éléments du redressement d'Adidas, mais pas le plus décisif."

Les interactions entre Adidas et l'OM sous RLD

L'étape suivante a lieu en 1997, un peu avant la Coupe du Monde 98, lors de laquelle Adidas compte obtenir une exposition maximale. Quelques responsables de la fédération française glissent alors à RLD qu'il serait approprié de rapatrier certains des cadres de l'équipe de France qui ne jouent plus dans leur club. Par exemple, Blanc et Dugarry à Barcelone. Le PDG d'Adidas s'exécute, et l'OM bénéficie alors de l'arrivée de plusieurs grands joueurs, dont les deux barcelonais.

RLD souhaite alors prendre du recul, en 1998, et il nomme un président délégué pour gérer le club. Le Suisse Yves Marchand est présenté par tout le monde comme un redoutable gestionnaire en provenance d'Adidas, et dont la rigueur va représenter un atout majeur pour redresser financièrement l'OM. Las, son passage sera un échec total, et RLD aura le culot de déclarer, lors du procès sur les transferts de l'OM, à propos de la nomination de Yves Marchand au club : "On lui a cherché une autre mission au sein d’Adidas. Comme on n’a rien trouvé, je lui ai proposé de prendre la présidence de l’OM".

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D'après Marc Roger dans son autobiographie, RLD lui confie dans son jet privé :"Je vais prendre Bernard Tapie à l'OM suite à des arrangements sur d'autres affaires". RLD lui explique alors qu'il s'agit d'un "deal ultra-secret" avec Tapie, il lui laisse récupérer des commissions sur les transferts de l'OM qu'il réalisera et en échange Tapie s'engage à ne poursuivre que le Crédit lyonnais dans l'affaire du rachat d'Adidas et à laisser RLD en dehors de ce dossier.

En 2001, Robert Louis-Dreyfus quitte son poste de PDG d'Adidas mais le dossier Adidas ne cesse pas d'être important à l'OM, cette fois-ci sous le règne de Christophe Bouchet.

Une nouvelle ère dans les relations OM-Adidas

Dès son arrivée, Bouchet identifie le contrat d'Adidas comme sous-évalué et décide de le renégocier. Il annoncera fièrement par la suite avoir augmenté très nettement les redevances. Selon Le Parisien, elles seront portées en 2004 à environ 75 millions d'euros pour 10 ans. En revanche pour Les Échos, Bouchet a atteint son objectif qui était d'augmenter de plus de 50% les redevances nettes par rapport au contrat précédent, ce qui en fait le plus gros contrat entre un club français et un équipementier. Il faut ajouter à ces redevances des primes sur les résultats sportifs du club et un intéressement sur les ventes d'équipements.

Autre élément important, Adidas vise alors la propriété des droits d'image des joueurs de l'OM. Tout auréolé de cette réussite, Bouchet étudie alors avec Adidas un double projet : mettre en place un portail téléphonique "Allô OM" et surtout faire entrer Adidas dans le capital du club sur le modèle de ce qu'a finalement fait Adidas au Bayern en 2001. Allo OM sera lancé en mai 2003 et, selon Sports Stratégies, le concept est particulièrement novateur :  "Jusqu'à 50 télé-opérateurs, spécialement formés, vont se relayer pour répondre à toutes les questions des fans du plus grand club français. Il s'agit d'une véritable innovation pour le club marseillais, choisi par Adidas pour tester ce service d'un nouveau genre qui pourrait être décliné autour d'autres équipes en relation avec l'équipementier allemand". En revanche l'entrée d'Adidas au capital de l'OM ne se concrétisera finalement pas.

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Si Adidas semble avoir facilité le transfert de Barthez, c'est surtout lors du transfert de Djibril Cissé que la marque aux trois bandes aura eu un impact important pour l'OM. Selon France Football, sentant le gros coup marketing, Adidas aurait haussé sa redevance annuelle afin de couvrir 50% du très conséquent salaire de Cissé (400 000 euros par mois) pour faciliter son retour à l'OM.

En mai 2009, selon le livre qui lui est consacré et alors que RLD vivait ses derniers jours, il prend la décision d’intervenir pour obtenir une revalorisation du contrat avec Adidas plus favorable pour l’OM. Il envoie un mail à Eric Stamminger, un des dirigeants d’Adidas, en lui fixant un ultimatum : si les conditions financières ne sont pas revues en urgence, l’OM changera d’équipementier et signera avec Nike. La réponse arrive peu avant sa mort : si l’OM signe une prolongation de contrat, les redevances seront doublées en passant de 5 à 10 millions par an (à noter : le décalage avec les déclarations de Bouchet sur le montant du contrat signé en 2004).

L'OM a-t-il été spolié par Adidas ?

De très nombreux supporters de l'OM sont convaincus que le club a indirectement financé Adidas en ayant un contrat très défavorable lors de la période 1996-2004, de double propriété Adidas-OM pour RLD. Et pour cause ! C'est RLD lui-même qui l'a déclaré lors du procès des transferts de l'OM en 2006 afin de démontrer qu'il n'y avait pas eu enrichissement personnel et donc pas d'abus de biens sociaux : "Mon intérêt pour l'OM aurait été qu'Adidas paye le plus gros contrat possible au club. Cela aurait été un vrai abus de biens sociaux. Or, à l'époque, il était de 8 millions de francs par an. Et aujourd'hui, ce montant est de l'ordre de 5 millions d'euros». Si on comprend bien l'intérêt de RLD lors de son procès pour éviter une condamnation, il est plus compliqué de saisir quel aurait été l'intérêt d'un tel acte en 1996, alors qu'il mettait personnellement de l'argent dans le club.

Si l'on compare les contrats de l'OM avec ses deux rivaux dans l'hexagone, soit l'OL et le PSG, il apparaît très difficile de déterminer si ce contrat équipementier était réellement défavorable à l'OM.

Tout d'abord, il faut savoir que les contrats équipementiers sont extrêmement opaques et complexes à analyser. Ils comprennent généralement un montant fixe (celui qui est généralement communiqué), auquel il faut ajouter des kits maillots et équipements qui sont donnés (et qui peuvent représenter jusqu'à 20% de la valeur du montant fixe), des primes à la performance, et souvent des primes par maillot ou équipement vendu. La marge d'erreur est donc énorme pour analyser ces contrats.

Concernant l'OM, selon les différents éléments communiqués par les deux parties, le premier contrat de l'ère RLD entre Adidas et OM a couvert la période 1996 à 2004. La première année a nécessité de casser le contrat avec Mizuno, puis une somme évaluée entre 1,2 million d'euros (chiffre annoncé par RLD lors de son procès) et 2,6 millions d'euros (montant dans la base de données de Peter Rohlmann) a été versée pendant cette période à l'OM. Suite aux négociations de Bouchet, la valeur globale est montée jusqu'à un montant situé entre 5 millions et 7,5 millions d'euros par an. En 2010, suite au dernier coup de poker de RLD, la valeur est montée jusqu'à 10 millions d'euros par an contre une prolongation jusqu'en 2018, auxquels il faut ajouter 4 ou 5 euros de prime par maillot vendu (l'OM vend entre 300 000 et 400 000 maillots par an) et les kits donnés.

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Afin d'avoir une base de comparaisons, prenons tout d'abord le cas de l'OL. Le plus grand club français des années 2000 était tout d'abord équipé par Umbro, contre un contrat de 4,5 millions d'euros + primes qui sera cassé en 2009 en échange de 4 millions d'euros. L'OL rejoint alors l'écurie Adidas avec un contrat de 10 ans sur la période 2010-2020 pour 8 millions par an avec en plus des primes et dotations. L'OL vend habituellement aux alentours de 300 000 maillots par an.

Pour le PSG, équipé par Nike, le contrat oscillait entre 6 et 9 millions d'euros par an selon les sources jusqu'en 2014, avant l'incroyable coup de pression qui a permis au club parisien de toucher 30 millions par an jusqu'en 2022. Historiquement dans les mêmes eaux que l'OM et l'OL, le club parisien a pris une autre ampleur depuis l'arrivée de QSI et commercialise désormais plus d'un million de maillots par an. 

Pour Peter Rohlmann, le fait que l'OM ait été pénalisé semble pour le moins sujet à caution : "Je ne pense pas que l'OM ait été réellement sous-payé par Adidas lors de cette période car les contrats d'équipementiers modernes en étaient à leurs balbutiements. Par ailleurs, il faut aussi considérer que les apports d'Adidas au budget de l'OM ont été conséquents entre 1996 et 2001. Si on compare la valeur du contrat de l'OM en 2000 (2,6 millions d'euros) par rapport à deux des plus grands clubs de l'époque, le Bayern Munich (6,1 millions d'euros) ou la Juventus (5 millions euros), cela ne semble pas injuste pour l'OM".

 

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6 comments

    • Rolland Courbette 12 mai, 2016 at 00:49

      En l’espèce, il s’est désengagé: d’abord, en laissant Diouf se démerder pour autofinancer, en ne remettant plus au pot comme le relève Leto. Et en allant jusqu’à récupérer ses billes via clauses de retour à meilleure fortune.

      Mais surtout concrètement, il a essayé de vendre. Il y a eu le procès à gérer, puis la vente avortée à Kashkar, puis sa maladie. Par ailleurs, au delà d’Adidas, il a pu valoriser d’autres actifs naissants comme 9 ou Direct Energie qui en tant que nouveaux entrants avaient précisément besoin de notoriété. Il avait même continué avec Betclic où il comptait mettre des billes.

      Excellent boulot ces articles en tout cas. C’est clair et didactique. Il y a simplement une coquille sur la Coupe du monde aux Etats-Unis, non pas de 2014 mais de 1994.

      Je suis un peu moins emballé par les interventions de votre spécialiste, qui par exemple décrète assez vite qu’il n’y a pas de sous évaluation alors que votre boulot de mise en perspective démontre exactement le contraire.

      • Professeur Urbain 12 mai, 2016 at 04:14

        Merci pour les compliments et la coquille. Pour RLD, est-ce que tu avais lu l’article sur ses apports financiers au club ?
        Pour le reste, tout se discute effectivement 😉

  1. leto 11 mai, 2016 at 09:44

    Le problème n’est pas tant de savoir si le club a été spolié par Adidas que de savoir combien RLD a gagné d’argent en plus grâce à l’OM dans la revente d’Adidas. Même si le contrat était équitable des deux cotés, le fait d’évincer Nike et de fournir une visibilité plus grande à Adidas a permis d’améliorer la valeur de l’entreprise Adidas. Cette amélioration constitue la clé du problème pour savoir ce qu’a gagné RLD sur notre dos.

    Bien entendu personne n’aura jamais la réponse. Il n’empêche que RLD a arrêté d’acheter des joueurs au même moment qu’il a revendu Adidas… Bref, quand ce n’était plus utile pour lui de valoriser la marque. Cette coïncidence suffit à me convaincre qu’il s’est bien servi de nous comme un gros porc qu’il est!

    • Latche 11 mai, 2016 at 22:19

      Leto, RLD a pourtant consenti à donner à l’OM les moyens de se payer Lucho quelques semaines avant sa mort !
      Il s’agit simplement d’une personne qui n’a jamais su s’ entourer de personnes compétentes pour valoriser et structurer le club.

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