QATAR | Ancien résident, Kaka témoigne

Aujourd'hui, On Mouille Le Micro consacre sa deuxième partie à la Coupe du Monde au Qatar et aux raisons qui poussent certains d'entre nous à ne pas regarder cet évènement. En préambule, Kaka, membre historique du Forum, nous livre son témoignage et son opinion en tant qu'ancien résident du Qatar.

(Évidemment, les articles d'opinion n'engagent que ceux qui les écrivent et ne sont pas forcément le reflet de l'opinion générale des gens sympatoches d'OMForum. Si vous êtes en désaccord avec certains points développés ici par Kaka, on vous invite à venir en discuter sur le Forum où, si vous êtes sympatoche aussi, vous serez accueillis avec des colliers de fleurs et des câlins.)

 

La Coupe du Monde et son éventuel boycott, tout ça représente un très vaste sujet car pour le traiter, on est obligé d'évoquer le Qatar, la FIFA et notre monde d'aujourd'hui qui marche de plus en plus sur la tête.

 

1) LES TRAVAILLEURS AU QATAR

Le Qatar, je peux vous en parler car j'y ai vécu un certain temps (j'étais pas expat', donc je n'ai pas profité de "la belle vie"). Les conditions de vie là-bas montrent effectivement ce contraste entre les "très riches" et les "très pauvres". Là-bas, tout est urgent, tout doit être fait en temps et en heure, et finalement rien n'était si urgent quand tu prends du recul.

La façon dont sont traités les travailleurs dans beaucoup de cas (pas tous) n'est pas digne. En revanche, dans le cas de d'autres entreprises, ces travailleurs se rendent au Moyen-Orient pour permettre à leurs familles de vivre, de financer les études voire de construire une maison...

Au Népal, en Inde, aux Philippines ou au Pakistan, la vie n'est pas rose et le Moyen-Orient est le Graal pour beaucoup de personnes car aller là-bas quelques années est l'opportunité d'offrir un meilleur avenir à leurs proches. Faut-il blâmer uniquement les pays où ils travaillent ou bien faut-il regarder plus en détails ce qui se passe dans leurs pays d'origine ? Je ne connais pas assez le sujet pour me permettre de juger.

Beaucoup de travailleurs, qui exercent en usine ou dans des environnements avec des conditions correctes, sont contents de faire des heures supplémentaires ou de travailler les jours fériés car leurs paies s'en ressentent. Cependant, cette paie est assez faible au vu de la richesse générée par ces pays-là et les droits octroyés à ces personnes sont minimes.

Sur chantiers, les ouvriers doivent faire face à une chaleur importante, un rythme de travail effréné et éreintant et une valorisation inexistante. Le respect qui leur est accordé est absent. Un nouvel arrivant n'est pas toujours bien accueilli, ni logé dignement, ni parfois nourri. J'ai vu un ouvrier d'un sous-traitant tomber dans les pommes car il était arrivé la veille tard le soir et avait simplement été amené dans son lieu de résidence, puis au boulot, sans diner, ni petit-déjeuner...

Quand ils se rendent au travail, des navettes pas toujours climatisées et parfois vétustes les prennent et les ramènent.

La maturité au niveau QHSE est très en deçà de ce qu'on est en droit d'attendre. Au niveau de leurs conditions de vie, ils sont plusieurs dans la même chambre, doivent partager les toilettes, le frigo, la salle de bain et doivent être créatifs pour économiser sur le budget alimentaire (riz, pain...). Le fait qu'ils soient physiquement et psychologiquement fatigués rend impossible la possibilité d'entretenir leurs chambres et l'endroit où ils vivent. Financièrement, leurs salaires assez bas les empêchent de se payer le luxe d'acheter des produits hors première nécessité.

Niveau intimité, c'est compliqué et personne ne peut se permettre de laisser traîner des objets personnels n'importe où dans le lieu de vie.

En dehors du cadre du travail, certains ne sont pas les bienvenus dans les centres commerciaux, ni sur la Corniche le jour de la fête nationale où on leur dit "Yalla Rouh" (en gros : "allez casse-toi, du balai") et encore moins à certains endroits réservés à la partie aisée...

Dans certaines entreprises, les passeports sont confisqués, les vacances octroyées limitées (certains attendent 2 ans avant de pouvoir prendre des vacances) et quand l'entreprise ne gagne pas d'argent, certains se font virer et ne touchent même pas leurs indemnités de départ obligatoire (en gros, 3 semaines de salaire de base par année de travail complétée au sein de l'entreprise).

Évidemment, si on s'embrouille avec un local, quel que soit celui qui est en tort, c'est l'étranger qui est déclaré coupable et qui donc, se prend une amende et souvent une expulsion en passant parfois par la case prison...

Conclusion : Droits de l'homme bafoués, conditions de vie et de travail indignes et remerciements toujours nuls ou presque, non, les rapports et les bruits entendus depuis des années ne sont pas erronés. Comme on dit, il n'y a pas de fumée sans feu.

 

2) LES CLASSES MOYENNES

Mieux loties que les ouvriers, elles doivent faire face à l'inflation, la pression au travail, la possibilité de se faire virer du jour au lendemain sans aucune raison et se retrouvent le cul entre deux chaises. Accepter un mode de vie modeste et se mettre en marge de la société ou bien faire un show et paraître.

Pour faire venir sa famille, il faut avoir un salaire minimum mais du coup budgéter certaines dépenses onéreuses (crèche, éducation, loisirs...) sans oublier les billets d'avions pour les vacances qui coûtent très cher s'ils ne sont pas pris en charge par l’entreprise. Parfois, des demandes de VISA pour la famille sont refusées et cela pose problème à certains. Par conséquent, la corruption s'en donne à cœur joie pour trouver des failles au système.

Les salaires sont complètement différents pour le même poste en fonction de la nationalité et de l'ancienneté. Depuis le covid, les salaires ont baissé de manière significative (parfois de l'ordre de 50%, sauf pour les locaux évidemment) du jour au lendemain sans aucune possibilité de contester quoi que ce soit. Les enseignants gagnaient environ 15 000 riyals (diviser par 4 pour avoir le résultat en euros), aujourd'hui on a ramené ce salaire (tout inclus) à 9 500 riyals. Pour information, un local gagne plus de 50 000 riyals.

Pour sortir du territoire, il faut un "Exit Permit" qui est une demande faite en ligne par les services RH de l'entreprise... Donc, si on veut "fuir", certains disent qu'ils ont une urgence familiale et ne reviennent pas.

Conclusion : On parle beaucoup du bas de la pyramide mais tant qu'on n'est pas en haut, on y laisse aussi beaucoup d'argent à travers les dépenses courantes et récurrentes, beaucoup d'énergie et on impacte sa propre santé. Pourtant, un Libanais, un Jordanien, un Égyptien et d'autres peuvent y trouver leur compte car ils arriveront à s'acheter un bien immobilier ou des terres si Monsieur et Madame travaillent là-bas vu que les prix dans leurs pays et les taxes ne sont pas appliquées au même niveau que chez nous.

 

3) LE BUSINESS

Pour être bien vu, mais garder une certaine dignité, il faut "comprendre qui ils sont, prendre en compte qui ils sont, sans pour autant devenir comme eux".

En termes d'hypocrisie et de paradoxes, on touche le summum. Le Qatar se dit défenseur de l'Islam et des Musulmans. Par contre, faire du Business avec la Chine qui martyrise la communauté Ouïghours : pas de problème car l'argent permet tout.

Sarkozy qui explicite sa haine vis à vis de l'islam et qui parle fièrement de ses origines juives, pas une barrière pour le Business des Qatari qui pourtant financent des groupes terroristes et accueillent des réfugiés politiques dont on ne sait pas vraiment quelles sont leurs intentions.

Idem, quand l'Égypte et d'autre pays effectuent un blocus, les décideurs d'attribution des contrats n'hésitent pas à attribuer ces appels d'offre au plus offrant...

Le Qatar se veut un pays à la pointe de la technologie et du service client... Essayez donc d'obtenir un contrat avec une entreprise locale, ce sera toujours le plus offrant qui remportera le gros lot. Quand je dis le plus offrant, ce ne sera pas forcément le moins cher (si vous voyez ce que je veux dire). Il faut se faire connaître, intégrer certains cercles et aller dans les majlis (les salons) là où tout se décide. Sinon, bon courage.

Pour information, toute entreprise implémentée localement doit avoir un sponsor local qui en détient 51% minimum.

Je ne vous cache pas également à quel point certaines entreprises gérées par des personnes non locales doivent prendre sur elles. Entre défaut de paiement, retard des prestations, mécontentement permanent, travailler là-bas est formateur et permet de prendre du recul sur ce que nous avons en France.

 

4) LE SOFT POWER, PARAITRE

Pour faire bonne impression, mieux vaut remplir les stades ou les locaux avec des figurants que de montrer une tribune ou un endroit vide. Les vidéos de fans de pays sur la Corniche avec des indiens qui se baladent aux couleurs du pays en question est une caricature de ce qu'est le foutage de gueule explicite.

On le voit dans les Grands Prix Moto ou certains sont payés pour atteindre un taux de remplissage (vous me direz au Parc OL, le taux de remplissage n'y est pas mais les chiffres reportés le sont), on le verra aussi durant cette coupe du monde. Que d'artistes, de chanteurs et d'acteurs du Moyen-Orient et au delà invités pour des sommes d'au moins 500 000 dollars pour simplement montrer au monde qu'elles viennent voir la Coupe du Monde au Qatar.

Les chansons pour la Coupe du Monde ont permis le soft power tout en arrosant ces artistes de belles sommes pour simplement apparaître furtivement dans un clip. Quand on fait la somme de ces sommes dépensées, on se dit qu'une petite aumône à des personnes dans la précarité changerait beaucoup de choses... Cela dit on n'est pas en reste en France. Concrètement, ils ne savent plus quoi faire pour faire passer un "effet Waouh".

Aujourd'hui, certaines routes sont fermées à la circulation, les transports en commun imposés car il ne faut surtout pas que certains axes soient embouteillés.

Il faut toujours être premier de la classe. La plus grande tour, le plus grand palais, le plus gros 4x4, le dernier téléphone. Là où l'Europe se tient debout ensemble quand il y a des attentats ou des évènements malheureux, les pays du Moyen-Orient s’entredéchirent pour savoir qui a la plus grosse. L'exemple le plus frappant c'est l'aéroport de Doha... Ol devait être livré en 2006 mais à force de surenchérir avec celui de Dubai (plus grand terminal, adaptation à l'A380, Normes de sécurité modernes...), la livraison a fini par arriver...en 2014 soit 8 ans après la date initialement prévue.

Cet aéroport, construit dans un espace en pleine mer, est une aberration écologique tout comme le port construit sur un endroit initialement en pleine terre...

 

5) ET LE PSG DANS TOUT ÇA ?

En fait, les nouvelles générations suivent le mouvement. Les anciennes restent attachées à leurs clubs, ceux qu'ils supportaient avant (Real, Barca, Milan, Juve etc.)
Avant le rachat, j'ai vu plus de maillots de l'OM portés par des Français, Marocains et autres que celui de Paris entre 2010 et 2012. Depuis, évidemment, ça a changé. Mais au final, est-ce que le Qatar va faire la fête si Paris gagne la C1 ? QUE DALLE, sauf s'il faut paraître encore une fois.

Les Qatari étaient contents quand Neymar avait signé car ils ont dit : "Neymar nous appartient". Allez leur demander qui sont Valdo, Carlos Bianchi, Rai, Ginola et Pauleta... Il va pas y avoir grand monde qui va répondre !

On ne parlera pas du Fair Play financier et son contournement, je l'ai fait à maintes reprises sur le forum (ALL, Oreedoo qui est Qatar Telecom, QNB, Qatar Airways...)

La consommation est le Business Model de ce pays. Le Grand Prix de F1 en 2021 a été regardé par des spectateurs qui n'y connaissent rien, mais un vrai fan qui s'appelle Luc n'est pas intéressant face à une grande star de la Jet Set...

 

6) beIN SPORTS ET NASSER

Une razzia des droits TV, un forfait spécifique pour pouvoir regarder l'Euro ou la Coupe du Monde (car sur des chaînes spécifiques comparées aux chaînes habituelles du groupe), tout est fait pour gagner de l'argent.

Une candidature au Mondial avec le plus mauvais dossier mais une promesse d'acheter des droits TV de la Coupe du Monde à hauteur de 300 millions + 100 millions si le Qatar était gagnant en 2022, tout a été fait pour influencer les votes au maximum.

Sarkozy qui demande à Platini de voter Qatar en échange du rachat de son club de cœur... Tout ce que les formations en entreprise sur l'éthique nous demandent de ne pas faire sous peine d'être sujets à des poursuites pénales.

Quant à Nasser, il est celui qui a activement participé au projet de la Super League pour finalement se mettre dans la poche la FIFA et l'UEFA. Les footix supporters du PSG nous disent que Tapie était un escroc. Mais quels adjectifs peut-on utiliser pour définir Nasser ? Il n'a pas été condamné ? NORMAL, notre monde est plus imprégné par le vice, l'immoralité et la perfidie que celui d'antan.

 

7) MON VERDICT

Cette coupe du monde ne m'intéresse pas plus que cela, et je pense que les suivantes vont être la conséquence de celle-ci et de tout ce qui s'est passé. Seul l'OM et un peu le Milan attirent mon attention, mais le foot n'est plus comme avant.

L'argent en jeu, la difficulté d'accès au contenu car tout est payant et cher et le manque de fermeté de la FIFA ou l'UEFA ont achevé mon envie de voir du foot...

Il reste ces moments où je joue avec des potes et désormais avec mon gamin...