METAL GEAR SOLID V THE PHANTOM PAIN - L'HISTOIRE SANS FIN

Metal Gear Solid V

D'une série jadis réputée pour la longueur de ses scènes cinématiques, Metal Gear Solid V choisit cette fois de s'effacer derrière la volonté du joueur.

Attention : cet article dévoile la fin du jeu.

 

metal gear solid v the phantom pain

 

Sorti à l’été 2015, Metal Gear Solid : The Phantom Pain (ou MGS V) reste fidèle à la tradition de la série, déclenchant polémiques et frustrations qui jurent avec le dithyrambe qui accompagne habituellement la sortie du blockbuster du moment. L’histoire est connue, quoique largement sur-écrite : Metal Gear est une vision d’auteur avant d’être une production industrielle sécurisée depuis l’expression de besoin. Au contraire d’un Assassin’s Creed qui propose au joueur d’évaluer la mission qu’il vient de jouer et permet à UbiSoft de calibrer en fonction des retours l’épisode suivant, le taux de satisfaction client n’est pas son obsession. Au milieu des reproches - souvent légitimes - qui lui sont adressés, il y en est un qui toutefois surprend, étant donné l’ADN de la série (décriée pour la longueur de  ses cinématiques, et que l'on accuse souvent de se prendre pour un film) : MGS V serait un jeu pas assez narratif, et son histoire décevante.

Même si le jeu propose en effet peu de scènes cinématiques, le constat se révèle plutôt inexact : l’histoire de MGS V, pour pétée qu’elle soit, existe aux travers de cassettes audio que le joueur choisira d’écouter, elle est laissée à sa disposition. Ce basculement d’une narration subie vers une narration choisie symbolise parfaitement l’orientation du titre : car avant tout, The Phantom Pain est une histoire d’émancipation.

 

JE NE SUIS PAS UN HÉROS

 

metal gear solid v the phantom pain - I'm already a demon

 

MGS s’assume comme une série consciente d'elle-même et de sa condition de jeu vidéo. Loin d'être gratuitement méta, elle tente d’en mesurer les implications. Son cœur, c’est la relation qui se noue entre le jeu vidéo et le joueur, ce que permet l’interactivité et ce qu’elle fait miroiter. Ainsi les différents épisodes s’évertuent à ramener le joueur à sa condition de trouffion, voire d’esclave, que le jeu manipule, sonde, humilie. Sa façon de jouer est critiquée, sa carte mémoire scannée, on lui fait croire au game over ou à la perte de signal, on lui rappelle qui est le maître à bord.

Metal Gear Solid 2 (PS2 – 2001) en est la parfaite incarnation. Jouant avec le désir qu’a le joueur d’incarner à nouveau Solid Snake, le jeu choisit comme héros une jeune recrue formée à le devenir. Et son histoire est celle du piratage de ce programme de formation, ou comment un personnage de jeu vidéo en vient à s’affranchir du joueur qui le contrôle, littéralement expulsé du jeu quand le héros jette le dogtag sur lequel figure le nom choisi en début de partie. MGS 2 raconte la victoire de la scène cinématique, dissocie l’identité du joueur et de son avatar : celui-ci possède désormais sa personnalité propre, et celui qui pensait le contrôler s’en trouve réduit à sa condition de spectateur d’une histoire qui n’a plus besoin de lui, et dont il n’était finalement pas le héros.

ET ON DÉMARRE UNE AUTRE HISTOIRE

 

Si le scénario de MGS V a à ce point frustré les joueurs, c’est moins parce qu’il est diffus qu’incomplet. Chaque arc narratif trouve une conclusion abrupte, des personnages secondaires emblématiques jouent les utilités et à bien des égards, l’histoire semble s’achever avant d’avoir commencé. On a mis cette narration accidentée sur le compte d’une production chaotique (aboutissant au licenciement d’Hideo Kojima, le créateur de la série), comme en témoignent ces rumeurs d’un dernier chapitre coupé au montage, mais ses effets apparaissent cohérents au regard des ambitions du titre.

Dans le dernier acte, le héros se sépare un à un de ses alliés, qui le quittent, qu’il répudie ou qu’il abat, comme autant de promesses non tenues. On pourrait croire à un bis repetita :  c’est l’Histoire même qui l’abandonne, laissant le joueur seul face à son besoin de closure. Seul face à une saga qui s’achève sans lui. Au-delà de l’insatiable appétit de vengeance de BigBoss, la douleur fantôme du titre, c’est peut-être celle-ci, le vide laissé par une conclusion invisible.

metal gear solid v the phantom pain

Et dans un dernier twist, ce mouvement d’aspiration emportera jusqu’à BigBoss lui-même, abandonnant le joueur à son reflet, à son vrai visage. La conclusion est donc symétrique à celle de MGS 2 : ici, dans la dernière scène du jeu, BigBoss remercie littéralement le joueur, lui remet sa couronne, et son identité. Si Metal Gear Solid 2 racontait comment le héros échappait à l’influence du joueur, MGS V raconte comment BigBoss, peu à peu réduit au mutisme, « avatarisé », devient le joueur (et non pas l’inverse). En fin de compte, nous étions le héros de l’histoire. Cette fois, ce n’est pas le joueur qu’on exclut du jeu, c’est tout le reste. Ne reste que lui, et le désert qui lui fait face.

Alors que BigBoss conseille au héros de s’en aller « écrire sa propre histoire », le rapport de force s’inverse enfin : le joueur est devenu le maître, le jeu s’avoue son esclave.  La saga MGS vient de se conclure, et pourtant le jeu semble à peine commencer.

INFINITE WARFARE

Le game design est d’ailleurs réglé pour suggérer une expérience infinie, simulant presque le procedural de Spelunky et consorts. Les missions présentent des objectifs certes répétitifs, mais sa logique interne génère sans cesse de nouvelles solutions et péripéties. Les ennemis adaptent leur équipement à nos actions, portent des masques à gaz si l’on a trop souvent recours à un arsenal soporifique, des armures lourdes si l’on ne jure que par le fusil à pompe, des lunettes à vision nocturne si l’on s’évertue à n'agir que la nuit, … L’armement à notre disposition nous permet d’innover sans cesse, les conditions climatiques (tempête de sable, pluie battante) viennent mettre à mal notre plan d’action ou nous tirer d’un mauvais pas. Le jeu produit en fait ses propres histoires, sacrifie le maître du jeu à la faveur d’une narration personnalisée, environnementale, contextuelle, où le joueur tantôt scénarise, tantôt improvise.

metal gear solid v the phantom pain - bowling

Le choix d’un open world désertique participe du même mouvement. Plus open que world, il est la feuille blanche qui se présente devant nous. Il y a là la promesse d’un jeu infini, tant les possibilités sont grandes. Tandis que l’histoire de la saga Metal Gear Solid est partie s’écrire ailleurs, libre au joueur de raconter la sienne. Et d’habiter son désert.

COSMÉTIQUE DE L'ENNEMI

 

Metal Gear Solid travaille depuis quelques épisodes déjà la question de la responsabilité du joueur face à ses actes, questionne sa docilité aux ordres qu’un programme lui donne, et file – parfois maladroitement – la métaphore de l’enfant soldat. C’est aussi une série qui depuis son deuxième épisode offre la possibilité de finir le jeu sans abattre personne, tout en s’efforçant d’humaniser l’adversité. Les animations des soldats gagnent en réalisme, leur souffrance aussi : ils supplient, ils agonisent, ils existent. Dans MGS V, ils ont chacun leur nom, ils ne parlent pas tous la même langue, leurs routines sont plus imprévisibles, on surprend des discussions dans lesquelles ils évoquent leur femme, leur fille, leur lassitude du combat, leur loyauté à leur patrie. Tentant ainsi de donner un poids au choix d’appuyer sur la gâchette, avec la volonté de pacifier, de rendre plus véritable la guerre virtuelle. Dans un MGS, la mort n'est jamais une victoire. C’est une approche qui trouve son point culminant dans le troisième épisode, où l’un des boss n’est autre qu’une rivière jonchée des cadavres que l’on a laissé derrière soi. Plus le joueur aura tué, plus la rivière sera longue à remonter.

 

metal gear solid v the phantom pain - cosmétique de l'ennemi

 

Une fois Metal Gear Solid V achevé, qu’abandonné par ses alliés, abandonné par l’histoire, abandonné par BigBoss lui-même, le joueur est laissé seul face à ce désert inhospitalier, il comprend alors que l’ennemi est aussi le dernier rempart à sa solitude, ainsi que son seul véritable partenaire de jeu. Dans un hommage de soldat à soldat, le jeu affirme que l’un n’existe que par l’autre et pour l’autre. Qu’ici tous mènent le même combat, et que l’essence même du jeu vidéo naît de cet affrontement. On n’attendait pas de la série la plus cinématique du monde un tel manifeste.

Le jeu aura fait couler beaucoup d’encre et déçu nombre d’incondtionnels de la saga et d’Hideo Kojima, eux qui espéraient de cet épisode charnière une apothéose scénaristique qui ferait le lien entre les aventures de BigBoss et de Solid Snake. MGS V choisit de se conclure autrement : véritable passation de pouvoir, il remercie le joueur et le récompense en lui laissant les clés de la boutique. Lui l’ancien esclave, le jeu lui appartient désormais.

 

metal gear solid v the phantom pain - mgs_let_go_of_hand

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