Clerks 2 s’adresse à la thirty génération, celle des gosses élevés par leur télé qui ont grandi en se réfugiant dans les univers de SF et de Fantasy, là où les pouvoirs des super-héros suppléent à l’incapacité de s’assumer en tant qu’adulte. Quand lire des comics permettait d’échapper aux disputes des parents ou encore tromper la solitude de celui dont les autres ne voulaient pas pour jouer au foot. Bienvenue au royaume des anciens geeks anonymes.
Et c’est toujours la même rengaine sur notre génération X, celle des branleurs qui n’ont pas connu de grandes causes pour se sacrifier. Dans cette perspective dépourvue de repère, se construire ne fut pas chose aisée. Aucun idéal, aucun combat à mener sinon cette volonté viscérale de prendre le contre-pied de nos ainés dans une société transfigurée par son évolution technologique et le bouleversement de ses codes moraux.
SI VOUS AVEZ RATE LE PREMIER :
Ce second opus propose donc de retrouver Dante et Randall là où on les avait abandonnés. A l’époque, ils avaient sabordé leurs études en s’imaginant qu’il suffirait de plaquer l’école pour pouvoir avancer dans la vie. Et dans leur panoplie de larbins de service, ils n’en finissaient plus de se frotter aux questions existentielles tout en ressassant leurs analyses de l’Empire contre-attaque et de Hulk, comme un symbole de leur tiraillement entre cette quête de maturité et une certaine nostalgie de l’enfance. Plus que l’apologie d’une subculture souvent méprisée, Clerks était l’affirmation d’une identité que l’avènement du net n’a contribué qu’à renforcer. Il s’agissait d’une bulle hermétique qui offrait un abri contre l’austérité du monde. Pas étonnant que Randall ait toujours considéré ses clients comme des intrus.
DIX ANS ET QUELQUES PLUS TARD
Sans surprise, Dante en bon adepte du compromis, a pris le parti de capituler. Il a une copine qu’il envisage d’épouser et tant pis s’il s’agit du prototype de la
cheerleader qui le snobait au lycée. Une maison, un vrai boulot, une famille l’attendent. Il se sent prêt à rompre avec cette colère qui le rend perpétuellement insatisfait de sa situation. Dante recherche l’ordre, l’apaisement et d’une certaine manière, il souhaite tourner le dos à sa part d’adolescence qui redoute tant les responsabilités.
Randall s’accroche toujours aux antipodes. Il entretient son rôle de mauvais garçon avec cet humour puérile qui tape systématiquement en-dessous de la ceinture, cette irrévérence qui l’incite à provoquer l’indignation (vannes racistes, homophobes et misogynes, il s’en prend même aux handicapés.) Pourtant, c’est bien lui le plus fragile des deux. Pas besoin d'être psy pour comprendre qu'il se réfugie dans le cynisme pour ne pas exposer sa sensibilité et qu'il cherche en permanence le conflit, pour pouvoir s’affirmer.
De fait, jamais l’opposition entre Apollon (l'ordre et la mesure) et Dionysos (l'ivresse et de le chaos) n’aura été aussi flagrante que dans Clerks 2. Tant Randall qui incarne à merveille « ce dépassement de la banalité quotidienne » s’emploie à jouer les négatifs de Dante tout le long du film. Sans véritable identité propre, il se borne à détruire tout ce que Dante recherche. On pense à Ghost World et à la confrontation entre Enid et Rebecca. Mais aussi à une version moderne de l’attrape-cœur où du haut de sa falaise Randall empêcherait Dante de chuter dans l’âge adulte.
En dehors de cette opposition, Clerks 2 n’a hélas pas grand-chose à proposer qui stimule l’attention. Quelques séquences souriantes avec Jay et Bob qui jouent sur leur registre habituel. Le binôme perpétue son numéro de Groucho et Harpo des cours de récré. On se réjouit de leur apparition comme on se réjouit de retrouver de vieux amis avant de se rendre compte qu’on a plus grand-chose à se raconter. Aucune évolution du côté des deux partenaires qui auraient sans doute mérité davantage que de servir de décor. Mais c’est depuis toujours un parti pris de Kevin Smith que de cantonner Jay et Bob à de la figuration.
Parmi les nouveaux visages, il y a Becky, la gérante du fast-food. Voix de la raison pour Dante, elle incarne bien plus qu’un simple fantasme féminin, tant elle lui permet d’acquérir un regard lucide sur sa situation. Une véritable planche de salut quand survient l’inévitable tsunami engendré par une procrastination typiquement masculine. Dante étant comme chaque mec qui se respecte, du genre à cacher la poussière sous le tapis. Becky est drôle, intelligente avec assez de répartie pour ne pas s’offusquer quand Randall lui demande si elle pratique l’anulingus. Dans ce registre, Rosario Dawson s’en tire avec les honneurs et ne sombre à aucun moment dans l’écueil insupportable de la gourdasse.
Puis, il y a Elias. Gentil bigot inoffensif que l’on jurerait réchappé du casting de
7th Heaven. Avec ses airs de boy scout qui confinent à la candeur, tout le prédestinait au rôle de souffre-douleur de Randall. Plantez un puceau crédule face à une meute d’adolescents en rut et vous n’aurez qu’un bref aperçu du carnage. Hélas, la greffe ne prend pas. La faute sans doute à des intentions scénaristiques trop évidentes mais surtout à cause de Trevor Fehrman qui ruine complètement le rôle en s’avérant dépourvu de tout sens comique. A retenir simplement, sa passion pour les Transformers qui met en relief l’intolérance de Randall à l’égard d’une culture qu’il ne partage pas. Du même tonneau, la confrontation entre les adeptes de Star Wars et ceux de Lord of the Rings.
Sur la forme, faut bien admettre que Clerks 2 frise le désastre tant la mise en scène de Kevin Smith se borne à une succession de champs/contrechamps sans aucune profondeur ni aucune fluidité. Une réal plan-plan qui affligera les moins exigeants des spectateurs. Comme si Smith avait pris le parti de tout miser sur ses dialogues, peaufinant ses répliques sans se préoccuper un instant de l’image. Du coup, la plupart des gags visuels tombent à l’eau. Exemple, la scène avec l’âne (pas celui de Shrek) qui était mille fois mieux exploitée dans le Palace en Délire (si vous voulez voir un âne sniffer de la coke, n’hésitez pas.) Là on a juste une lamentable surenchère qui n’apporte rien de plus qu’un vague sentiment de gêne.
En dépit de ses remplissages grossiers où Smith racle les fonds de tiroir pour tenter de donner un peu de consistance à un scénar famélique (la séquence ABC, quelques gags vomis et scatos très South Park), Clerks 2 se rattrape avec l’explication finale entre Randall et Dante qui prend des accords schizophréniques en assumant une tonalité émouvante de sincérité. Et Smith de nous promettre déjà un troisième volet sur les futurs quarantenaires que Randall, Dante et nous-mêmes sommes promis à devenir.