L'intégralité du débat avec Jean-Pierre Stroobants, envoyé spécial du "Monde" aux Pays-Bas, mercredi 1er juin 2005
Nicolas : La victoire du non aux Pays-Bas est attendue mais quelles en sont les raisons profondes ? Et peut-on faire un parallèle avec le non français ?
Jean-Pierre Stroobants : Il y a deux types d'explication. La première tient à des raisons politiques intérieures. La deuxième tient à des raisons d'ordre européen. Les parallèles sont que le scrutin s'est transformé en un enjeu de politique nationale. Le gouvernement néerlandais est extrêmement impopulaire et rendu responsable de ce qui va mal en Europe.
Philippe : Existe-t-il, aux Pays-Bas, un vote "non" qui veut en fait plus d'Europe, et si oui dans quelle proportion ?
Jean-Pierre Stroobants : Cela existe effectivement, mais c'est une tendance extrêmement minoritaire. Je pense qu'elle ne va pas dépasser 5 % des votes exprimés contre le texte. Il faut quand même savoir que le oui est défendu par 85 % des députés néerlandais.
Marceline : Le traité a-t-il suscité un débat aussi vif qu'en France ?
Jean-Pierre Stroobants : Il a en fait suscité très peu de débats jusqu'à il y a environ deux semaines. C'est à ce moment-là que les Néerlandais ont pris conscience de la possible victoire du non en France, et que les sondages ont aussi indiqué que le non passait en tête aux Pays-Bas. Et jusque-là, le gouvernement n'avait rien fait pour informer et sensibiliser la population, parce qu'il était persuadé que le oui l'emporterait dans tous les cas.
"PERSONNE N'A L'AMBITION DE RENÉGOCIER"
Patrick : Les tenants du non néerlandais sont-ils, comme en France, pour une Constitution plus sociale ou au contraire plus libérale ? Dans les deux cas ont-ils l'ambition de renégocier la Constitution ?
Jean-Pierre Stroobants : Personne ici ne manifeste pour l'instant l'ambition de renégocier quoi que ce soit. Et personne ne croit d'ailleurs que les Français aient la moindre chance de trouver des partenaires pour renégocier.
Le camp du non se sépare en deux courants principaux : celui qui insiste sur la préservation de l'identité nationale néerlandaise, et celui qui réclame une Europe plus sociale. Le deuxième camp est largement minoritaire. Et en tout cas, nettement moins puissant qu'en France.
Quijote : Où en sont les Pays-Bas avec le populisme ? La puissance du "non" fait-elle appel à un réflexe populiste, voire xénophobe ?
Jean-Pierre Stroobants : Il y a trois courants populistes : les héritiers de Pim Fortuyn, le nouveau courant fondé par un député libéral dissident, Geert Wilders, et un troisième courant situé à gauche, qui est celui du Parti socialiste de gauche. Cette formation n'est pas la dernière à souligner les dangers de l'élargissement à de nouveaux pays membres.
Plus que de xénophobie, c'est d'un rapport difficile à l'islam que souffrent les Pays-Bas. L'assassinat du cinéaste Theo Van Gogh, en 2004, a bouleversé le pays et fortement tendu les relations avec les immigrés turcs et maghrébins, qui sont près d'un million dans ce pays de 16 millions d'habitants.
Bibi : Comment se porte l'économie des Pays-Bas ? Ont-ils des problèmes de délocalisations vers les pays de l'Est comme en France ?
Jean-Pierre Stroobants : Le débat des délocalisations n'est pas du tout présent dans la campagne. Les Pays-Bas ont une économie extrêmement flexible, assez comparable au modèle anglo-saxon, et qui a une plus grande capacité d'adaptation que celle de ses voisins.
Le fameux modèle néerlandais a toutefois beaucoup souffert au cours des cinq dernières années : le chômage, qui était quasi inexistant, atteint désormais 6,3 %, et la croissance est inférieure à la moyenne européenne.
Chris : On parle de la sous-évaluation de la valeur du florin lors du passage à l'euro, est-ce une des raisons du mécontentement ? Et si oui, dans quelle proportion le florin était-il sous-évalué ?
David : Quel est le réel impact de la monnaie unique, car j'ai beaucoup entendu parler d'un référendum pour ou contre l'euro ?
Jean-Pierre Stroobants : Oui, il y a certainement une liaison avec le débat sur l'euro. Beaucoup de Néerlandais ont accepté à contrecœur la disparistion du florin. Ils auraient d'ailleurs voulu être consultés à l'époque. L'euro semble avoir entraîné une forte hausse du coût de la vie, et les critiques ont été alimentées par un directeur de la Banque nationale qui a accusé l'actuel ministre des finances d'avoir mal négocié la parité.
Toto : Il règne aux Pays-Bas une atmosphère particulière de liberté. Les Néerlandais ont-ils peur de la perdre ?
Jean-Pierre Stroobants : Cela fait partie du débat dans le camp du non, effectivement. On a vu des publicités dans les journaux disant que l'euthanasie, l'avortement, la vente libre de drogues douces et la protection des communications seraient remis en cause par la Constitution. Il faut toutefois noter que, plus que l'Europe, c'est le gouvernement de centre droit qui a parlé d'engager un débat sur beaucoup de ces questions.
Pauline : Le vote de la France a-t-il une quelconque influence sur celui des Pays-Bas ?
Jean-Pierre Stroobants : Les deux camps l'ont espéré, mais je pense que cette influence ne sera favorable qu'aux partisans du non, et encore, dans une mesure très limitée. Il faut savoir que généralement les Néerlandais développent un sentiment anti-Français assez profond, qui ne les incite pas à vouloir imiter ce qui se fait en France.
"LE RÉFÉRENDUM N'EST QUE CONSULTATIF"
Max : Quel est le taux de participation à cette heure ? Quel sera-t-il à l'heure de la clôture du scrutin, selon vous ?
Jean-Pierre Stroobants : Il n'y a pas d'indications très claires pour l'instant. La plupart des sondages parlaient ce matin d'un taux de participation situé autour de 45 %. Il faut rappeler d'ailleurs que le référendum n'est que consultatif, et que la plupart des partis ont dit qu'ils n'en tiendraient compte que si la participation était supérieure à 30 %, et son résultat très clair.
Didier : Sur le plan intérieur, quelles seraient les conséquences d'une victoire du non ?
Jean-Pierre Stroobants : Selon le premier ministre, il n'y aura aucune conséquence sur le plan national, puisqu'il a indiqué qu'il resterait en place dans tous les cas de figure. Un débat sera toutefois organisé à la Chambre dès jeudi. Et on peut penser que même s'il ne fait pas tomber le gouvernement, il provoquera beaucoup de tensions entre les 3 partis qui le composent. Des partis qui n'étaient pas tous favorables au référendum et étaient divisés sur l'appréciation réelle de la Constitution européenne.
DM : Les responsables politiques néerlandais ont-ils eu la même attitude que les dirigeants français, qui accusent l'Europe de tous leurs maux et n'assument pas les décisions prises au Conseil (européen et des ministres) ?
Jean-Pierre Stroobants : Cette situation est un peu moins caractéristique qu'en France, mais on la retrouve effectivement dans les débats nationaux. Plus généralement, le monde politique néerlandais semble s'être adapté au sentiment de l'opinion publique qui est que l'Europe coûte trop cher aux Néerlandais, qu'elle va trop vite et trop loin.
Gianni : Peut-il y avoir alliance entre les partisans français du non et ceux des Pays-Bas, dans le cas d'une renégociation du traité constitutionnel ?
Jean-Pierre Stroobants : Le problème est, selon moi, tant en France qu'aux Pays-Bas, que les gouvernements actuels, et peut-être futurs, ne semble ni vouloir ni pouvoir renégocier le projet. Je vois mal MM. Le Pen et de Villiers faire une alliance demain au Parlement européen ou ailleurs, avec l'extrême gauche néerlandaise, qui réclame une Europe plus sociale et l'entrée rapide la Turquie dans l'Union.
Coolbens : Quelles sont les relations entre les Pays-Bas et les Etats-Unis ? Quel impact ont-elles eu sur le débat durant la campagne référendaire ? Les Néerlandais craignent-ils de devoir s'éloigner du partenaire américain ?
Jean-Pierre Stroobants : Les relations Pays-Bas - Etats-Unis, et plus généralement avec le monde anglo-saxon, sont une priorité pour la plupart des partis politiques. Il faut rappeler que les Néerlandais ont envoyé des troupes en Irak. Cette question n'a toutefois joué qu'un rôle mineur. Et si l'on reparle de l'influence du non français, on peut souligner que les Néerlandais reprochent généralement à la France ce qu'il estiment être un anti-américanisme primaire.
Rwafi : Est-ce qu'il y aura, selon vous, différence de vote entre le monde rural et le monde urbain, comme ce fut le cas en France ?
Jean-Pierre Stroobants : Très probablement. Les grandes villes néerlandaises semblent plutôt acquises au oui. La province semble plutôt acquise au non, notamment dans le sud du pays, où des partis chrétiens radicaux bien implantés font également campagne contre la Constitution.
Philippe : Y a-t-il un risque d'éclatement de la coalition actuellement au pouvoir en cas de victoire du non ?
Jean-Pierre Stroobants : C'est une éventualité. D'autant que cette coalition semblait déjà en difficulté pour d'autres raisons.
En dehors du petit parti D 66, centriste, les principaux partis de la coalition, le Parti chrétien-démocrate et le Parti libéral n'ont quasiment pas fait campagne. Cette situation pourrait entraîner des rapports diffciles avec D 66, le parti, sans doute, le plus pro-européen des Pays-Bas.
Toutefois, l'alternative, qui était la mise en place d'un gouvernement de gauche, réunissant les travaillistes et les socialistes de gauche, semble s'éloigner, compte tenu des divergences apparues lors débat sur le référendum.
Hallad : Un non hollandais, venant s'ajouter au vote des Français, n'est-ce pas l'enterrement définitif de la Constitution européenne ?
Jean-Pierre Stroobants : Aux Pays-Bas, comme à la Commission européenne, on est en fait persuadé, mais sans oser le dire, que le projet de Constitution est enterré depuis dimanche et le vote français.
----------------------------------------------------------
A mon avis, on y voit plus clair avec cet article.
