Clock Tower : Rewind (Tous supports - 2024)
① Remaster ② d'un point&click ③ horrifique sorti ④ sur Super Famicom ⑤ en 1995, ② ③ ④ et ⑤ vous donnent une bonne idée de l'aridité de l'exercice, que ① n'atténue que très légèrement, en rajoutant un rewind trop court pour être véritablement utile, ainsi que la killer feature : on peut désormais courir dans les escaliers. Il ne faut donc pas s'imaginer être face à une expérience radicalement modernisée; on y jouera pour assouvir sa curiosité plutôt qu'avec l'espoir de trouver là un jeu conçu en 2024.
Ceci étant dit, on y trouvera quelques qualités remarquables, pour l'époque comme pour la nôtre. L'histoire est celle de Jennifer, conduite avec trois autres adolescentes de son orphelinat au manoir de la famille qui souhaiterait l'adopter. Une fois sur place, la roue du destin et un scénariste malicieux s'accordent pour que le groupe se sépare, et l'héroïne se retrouve enfermée, et poursuivie par un certain Scissor-Man, un enfant aux traits de cire muni d'un sécateur géant (imaginez Chucky s'il avait passé un CAP de jardinier paysagiste). L'objectif est donc de s'échapper et de lui échapper, sachant qu'il apparaît soit de manière scriptée (par exemple caché derrière un rideau de douche) ou aléatoire, et qu'il existe un certain nombre de safe rooms où se réfugier quand la traque s'enclenche.
Qualités artistiques surtout. Le manoir est un patchwork d'influences horrifiques, la plus saillante d'entre elles étant, comme vous l'aviez peut-être deviné, le cinéma de Dario Argento, (si le nom de l'héroïne ne suffisait pas, ses traits aussi sont ceux de Jennifer Connelly). Le rendu 2D est d'un goût exquis, et use de références à l'époque peu communes, créant une atmosphère oppressante qu'on n'aurait pas cru possible avec de telles limitations techniques. La boucle de gameplay est en revanche un peu frustre, on erre de pièce en pièce, dans l'espoir soit de trouver un objet soit le mécanisme où l'utiliser - même si les énigmes ont le mérite de la lisibilité - tout en étant régulièrement interrompu par des courses-poursuites assez vite répétitives.
Le jeu a pour lui d'être assez court, de proposer différentes fins et quelques éléments aléatoires (toutes les parties ne proposent pas les mêmes objets ou énigmes), mais ça reste bien entendu un point&click produit pour un support qui n'est pas fait pour les point&click, la bienveillance (et une soluce sur les genoux) est un pré-requis pour qui voudrait y prendre du plaisir.
Star Ocean The Second Story R (Tous supports - 2023)
① Remake ② d'un JRPG sorti ③ sur Playstation ④ en 1998, ② ③ et ④ vous donnent une bonne idée de l'aridité de l'exercice, que ① transforme radicalement, grâce à des ajouts de qualité de vie qui ne tiennent pas du simple sur-matelas, mais d'un changement de toute la literie.
Dans son déroulé, on est dans les canons des RPGs de l'époque, malgré un point de départ hard-SF que le jeu désamorce dès sa première heure, et redirige vers une bonne vieille histoire de fantasy à la japonaise (avec un gros twist au milieu, c'est les 90s après tout). L'histoire se suit agréablement, et les choix du joueur (à commencer par celui de son héros), s'ils ne changent pas la trame principale, conditionnent les personnages que l'on pourra recruter (sachant que certains s'excluent mutuellement), les fins associées en fonction de leurs affinités, et en font un jeu assez rejouable, d'autant qu'il est assez court (une vingtaine d'heures).
Quand j'écris sur un JRPG, je consacre généralement un paragraphe à décrire - et à déplorer - une accumulation baroque de systèmes mutuellement étrangers. C'est à chaque fois un challenge sémantique et syntaxique pour vous comme pour moi, je vous propose donc plutôt de l'imaginer, et d'en retenir que si je m'amusais à laisser tomber une balle de tennis sur mon clavier, ça ne serait pas moins intelligible. Pour autant, ce remake fait un travail exemplaire pour faire comprendre qu'on peut à peu près tous les ignorer, et ce qu'on gagne à ne pas le faire. Ce sont des options pour se faciliter la tâche, sans elles on jouera alors à un RPG tout à fait traditionnel, quoiqu'avec quelques pics de difficulté qu'on compense, comme d'habitude, avec un peu de levelling.
Grâce à une interface généreuse en informations au sujet de chaque compétence, l'exploration des menus devient un but en soi, et inverse la boucle action → récompense : je n'améliore plus mes compétences pour simplifier les combats, je combats pour débloquer de nouvelles compétences. Elles débordent assez vite du cadre habituel, et aux multiples déclinaisons du crafting viennent s'ajouter des trucs moins orthodoxes, comme "Oracle" qui permet de communiquer avec les dieux (en réalité les game-designers, qui fournissent des astuces en tous genres), ou "Orchestre" qui propose des améliorations de statistiques le temps que dure la musique. D'autres altèrent jusqu'aux règles du jeu : régler la fréquence des combats, sacrifier des statistiques contre un gain en expérience, négocier à la baisse les prix en magasin.
En farfouillant un peu, on peut complètement briser le jeu (j'ai fait 80% du jeu - dont le boss de fin - avec un seul personnage dans mon équipe), on y est même invités, il regorge de monstres et de challenges optionnels, dont un post-game paraît-il bien velu. Au global, les ajustements de confort sont prodigieux : outre les menus rendus digestes et les règles explicites, les combats ne sont plus aléatoires, on peut les relancer immédiatement en cas de défaite (avec la latitude de revoir sa configuration ou même de baisser la difficulté), tous les évènements optionnels sont indiqués sur la carte, ... Pourtant tout le jeu d'origine est là, rien de moins, et pas grand chose de plus : c'est moins un remake de Star Ocean 2 que de son interface. Ça suffit pour en redéfinir complètement le ressenti.
God of War - Ragnarok (PS4/PS5 - 2022)
Ce deuxième épisode s'ouvre sur une séquence véritablement poignante, les dernières heures d'un animal de compagnie malade, quelques minutes pour raconter la lutte désespérée pour sa survie, les espoirs douchés, la réalité crue, l'imminence de la fin, le renoncement, enfin le deuil et la solitude.
C'est la dernière fois que j'aurais pensé du bien du jeu.
Ce que j'écrivais au sujet du premier épisode est toujours vrai ici : c'est un cahier des charges ambulant. Qui peine à proposer des récompenses endogènes, à mon avis parce que le joueur n'y a aucune agency, c'est à dire qu'il n'y aucune place pour récompenser ses initiatives ou sa curiosité : il y a un chemin critique et des diversions, qui le sont littéralement : des chemins de traverse vers lesquels on oblique, mais il n'y a aucune mise en espace, on a jamais ni le besoin ni la possibilité de s'y repérer. De la même manière, on croule sous les modalités d'équipement et les arbres de compétence, mais les possibilités de build sont marginales, et leurs effets réservés aux modes de difficulté supérieure. En terme d'exploration, en terme de build, comme en termes scénaristiques, on subit le tempo du jeu.
J'ai choisi d'y jouer dans son mode de difficulté le plus bas, et en m'en tenant à la quête principale. Même comme ça, l'aventure frôle les 20h, 20h proprement interminables, tant elle peine à se renouveler. Le game design a au moins 20 ans de retard, et je peine à le différencier de celui d'Ico : une ligne droite d'énigmes et de combats, où l'épreuve suivante est une répétition plutôt qu'une itération de celles qui précède, dans des décors magnifiques (c'est incontestablement un tour de force technique) dont il faut se persuader qu'on a envie de les contempler, tant on se sent extérieur à eux.
L'histoire est un gros bol d'osef, écrit comme un Marvel, avec son ensemble cast, ses personnages secondaires volubiles, ses bons mots qui fusent, et son lore, son lore, son looooore. Et l'adjonction de thématiques contemporaines ne fonctionne pas du tout. Par exemple, Thor y est un ancien alcoolique, et on comprend qu'il a arrêté de boire pour sa famille. Mais c'est une problématique qui n'a de sens que dans une société donnée, et pour une structure familiale donnée, et ici l'histoire n'articule ni l'une ni l'autre, on nous demande simplement d'y plaquer les nôtres. Ça m'a fait penser à cette controverse sur la pratique de l'histoire contrefactuelle, à propos de la question de l'athéisme de Rabelais : il y aurait quelque chose de fondamentalement anachronique à imaginer Rabelais athée à une époque où la religion est partout. Ici rien n'est fait pour qu'on puisse imaginer que l'alcoolisme puisse être un sujet, fusse-t-il intime ou social. Ne reste alors qu'un arc narratif, aux visées fonctionnelles et thématiques (quelque chose comme un traité sur la "paternité toxique").
Bref, c'est très bien fait, mais ça n'a strictement aucun intérêt.
Sayonara Wild Hearts (Tous supports - 2019)
Pourrait être rapidement décrit comme "un jeu de rythme qui se termine en moins d'une heure". Ou comme "le Hugo Délire de la génération Z" si on est mal luné. Ou comme "une relecture synthwave de Rez" si on est un connard pédant de bon goût. Je me range dans cette dernière catégorie : c'est vraiment super cool. Le jeu se réinvente en permanence, remixe et sample ses propres règles pour proposer des niveaux visuellement toujours plus audacieux, sur une base similaire de runner pour smartphone. Y a du scoring pour qui veut du scoring mais mieux vaut totalement s'en foutre, et profiter du ride. On peut juste regretter qu'il sombre parfois dans le die and retry, au risque de briser ses élans synesthétiques.
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- G.bédécarrax
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