Je suis en passe de terminer
The Saboteur (PS3, X360, PC)
Sorti en 2009, cet open-world a eu son petit succès d'audience (1,5 millions de copies vendues) et critique, succès malheureusement posthume, son développeur, Pandemic Studios, ayant été débranché par EA quelques jours avant la sortie du jeu. Pandemic, c'était aussi Mercenaries et Star Wars Battlefront, c'est à dire des jeux très solides techniquement mais aux finitions souvent baclées par manque de temps. The Saboteur ne fait pas exception.
The Saboteur, c'est d'abord une histoire. Une histoire très conne. 1939, l'armée nazie s'apprête à déferler sur l'Europe. Mais ça, Sean McBidule, héros irlandais, il s'en fout pas mal. Sean est pilote de
poney voiture, et ce qui l’intéresse, c'est surtout de gagner la prochaine course de bagnoles se déroulant à Sarrebruck, sympathique bourgade allemande située à 5 minutes de Paris (la carte de France ayant été un peu réduite par les développeurs). Sean affronte la star locale, le colonel SS Heinz Dierkaard, aryen polygoné façon Arno Breker.
Sean est en tête, Sean va gagner. Il vient de doubler la Mercedes du SS, comme Jesse Owens aux JO de Berlin en 36. A lui la gloire, les putes, la drogue et un biopic signé Claude Lelouch (pour l'anecdote, le personnage de Sean est librement inspiré par William Grover-Williams, authentique pilote de course et résistant franco-britannique, et le jeu prendra soin de ne rien respecter du tout de sa véritable histoire). Sean est en tête donc, mais le SS n'a pas dit son dernier mot, il sort un flingue de l'habitacle, et tout en roulant, éclate un pneu de Sean. Au passage, il tue aussi Jules, son mécano et ami. Sean est dégouté, putain une bagnole toute neuve et une course qui était normalement gagnée. Ceci réclame vengeance.
Ça tombe bien, les nazis (le jeu ne dit pas les "allemands" : tout ce qui est germanique = nazi) envahissent Paris dans la soirée (quels développeurs s'emmerderaient à modéliser l'Autriche, les Sudètes, la Pologne et la Belgique, sérieusement ?), Sean en profite pour rejoindre la Résistance afin de réclamer justice pour sa bagnole confisquée et son pneu crevé facturé 150 francs chez Speedy.
Globalement, pour terminer sur le script, il faut bien se rendre à l'évidence que tout le jeu est caricatural et foutraque historiquement.
Le jeu nous présente des nazis antipathiques, l'occupation est particulièrement inhumaine, le fascisme est décrié en bloc, les juifs sont forcément innocents, alors que nous savons bien que ce n'est pas si simple. Cette histoire est compliquée et le jeu l'aborde avec la finesse d'un film de Steven Seagal qui ferait équipe avec Mélanie Laurent dans
Inglorious Basterds 2 : Ta bagnole va bien ne t'en fais pas. Le gameplay, mélange de GTA pour la partie voiture/fusillade et Assassin's Creed pour la partie escalade des bâtiments parisiens, fait qu'il y a des nazis absolument partout, et qu'il faut les buter. Tous. Tout le temps. De toutes les manières possibles. Et je dois bien le reconnaitre, je ne connais pas grand chose de plus réjouissant que de casser du boche en plein Paris pendant l'occupation, et par le pouvoir de l'uchronie, réécrire l'histoire qui assassinera Harald Schumacher avant qu'il ne torture Jean Moulin.
J'ai donc tué du nazi. J'ai fait exploser du nazi à la dynamite sur les toits de Paris, j'ai fait cramer du nazi au lance-flamme dans les catacombes, j'ai snipé du nazi depuis le haut de Montmartre, j'ai atomisé du nazi au lance-roquette dans son zeppelin, j'ai jeté du nazi dans la Seine, j'ai fusillé du nazi pendant son mariage aux Buttes-Chaumont, j'ai étranglé du nazi, j'ai grenadé du nazi, j'ai écrasé du nazi, j'ai embroché du nazi... j'aurais de quoi faire des centaines de fiches sur OMForum Cuisine sur la manière de cuisiner du nazi. Cependant, le vrai plaisir n'est pas forcément dans le
Gotta kill 'em all (après en avoir tué un millier, forcément on se lasse), mais dans les commentaires hilarants -et totalement bas du front- de Sean après chaque exécution :
"Fils de pute !" "Je vais vous botter le cul jusqu'à Berlin !" "Un de moins ! Plus qu'un million !" "Ma grand-mère a plus de couilles que toi !" "Ça c'est pour Battiston !" . Les dialogues font souvent mouche, grâce à de très bons doubleurs également (faut jouer en français, of course), malgré un mixage absolument dégueulasse (quand je parlais de finitions à l'arrache, on est en plein dedans)
Le gameplay du jeu est imparfait : l'IA des ennemis est digne de généraux français sur la ligne Maginot, les phases de plate-forme peuvent être crispantes quand cet immeuble hausmannien devient subitement impossible à grimper alors que j'ai la gestapo au cul, et l'infiltration est évidemment très limitée par rapport à celle d'un Hitman ou Metal Gear Solid. La musique est insupportable, avec ses standards des années 60 débités dans mon auto-TSF alors que mon personnage n'a pas l'âge d'écouter
ce bon vieux rock bien rétro.
Mais le jeu a une âme, et si ses ressorts scénaristiques et sa grammaire restent les mêmes qu'un GTA, j'ai pris beaucoup plus de plaisir à aller sauver ce résistant juif, supprimer ce collabo, dynamiter l'obusier du Panthéon ou encore approvisionner le QG de la Villette, que de faire progresser mon gang, dealer du shit ou affronter les negros du
WhoDidFuckMySister. Bien sûr, The Saboteur est davantage premier degré, cherche l'immersion plus que le fun, donc les comparer peut être injuste, tant ils ne jouent pas dans la même catégorie, techniquement vous l'avez compris, mais également dans leurs intentions. Mais au final, le plaisir de jeu est bien là, et il m'est difficile de décrocher. Dans ses meilleurs moments, rares mais véritables, The Saboteur m'évoque l'Armée des Ombres de Melville, quand les textures noires, blanches et rouge habillent les zones encore occupées. Puis les couleurs apparaissent, déjà je vois au loin le jeu se terminer, et les américains débarquer sur Omaha Beach. Dans quelques minutes ils seront au Bois de Boulogne, et Paris outragé, Paris martyrisé, Paris Libéré, vive
l'OM la France, enfin je pourrai récupérer ma bagnole.
