Le Figaro
La Commission a présenté, hier, sa nouvelle politique de voisinage
Le plan de Bruxelles pour une très grande Europe
Bruxelles : de notre correspondante Alexandrine Bouilhet
Alors que le débat sur l'adhésion de la Turquie affole les capitales, la Commission européenne brouille un peu plus les cartes sur les futures frontières de l'Europe. A l'issue de la première réunion du collège élargi à trente commissaires, l'exécutif européen a dévoilé, hier, son plan stratégique pour une nouvelle politique de voisinage. Le projet vise à créer une gigantesque zone de libre échange qui s'étendrait du Maroc au Liban, incluant la Russie, l'Ukraine, la Moldavie, les pays du bassin Méditerranéen, et trois républiques du Caucase.
A long terme, Bruxelles plaide pour une «intégration économique complète» entre l'Union européenne et tous ses voisins, c'est-à-dire pour une libre circulation des biens, des services, des capitaux et des personnes. Cette perspective d'un très grand marché commun n'est pas exclusive : les «nouveaux voisins» de l'Europe pourront toujours poser leur candidature à l'entrée dans l'Union, comme les traités leur en donnent le droit.
Par son ambition, la Commission rivalise, en le surpassant, le projet américain pour «grand Moyen-Orient», censé propager la démocratie du Maroc à l'Afghanistan, en passant par l'Irak et l'Iran. A l'inverse de Washington, Bruxelles propose des pistes concrètes de coopération, avec un programme de financement précis et généreux, déjà évalué à 800 millions d'euros par an. A la démarche des Etats-Unis, accusés de vouloir restaurer à coup de slogan démagogiques leur crédibilité perdue dans le monde arabe, l'Europe oppose une stratégie «sincère», reflétant une implacable logique géographique, celle du voisinage.
«Ce plan, qui intervient après le 1er mai, c'est une réaction à l'élargissement», insiste le commissaire allemand Günter Verheugen. «Nous devons approfondir notre relation avec les pays de l'Est et le Sud, afin d'éviter de nouvelles lignes de démarcation.» A l'heure des élections européennes, placées sous le signe de la frilosité, l'ère géographique couverte par la stratégie de Bruxelles a de quoi effrayer les partisans d'une «l'Europe chrétienne», mais aussi les nostalgiques du «club des Six».
Sur le continent européen, la nouvelle politique de voisinage s'adresse à la Russie, à l'Ukraine, à la Moldavie et à la Biélorussie, avec un bémol pour ce dernier pays, avec lequel l'Union européenne a rompu tout dialogue politique. «Dans le contexte actuel, nos options sont limitées : nous pouvons aider la société civile, les ONG, les forces démocratiques à se faire entendre, mais pour aller au-delà, il faut que le gouvernement de Minsk arrête de violer les réglementations européennes et respecte les droits de l'homme.»
En Asie centrale, la Commission propose d'étendre le partenariat européen à l'Arménie, à l'Azerbaïdjan et à la Géorgie. «L'évolution récente de cette région rend cette perspective indispensable, estime Günter Verheugen, d'autant que les dirigeants de ces pays ont formulé des demandes très claires dans ce sens.» Au Proche-Orient, l'invitation de Bruxelles s'adresse à la Syrie, à la Jordanie, à Israël et à l'Autorité palestinienne. Si la Commission ne prétend pas aider à résoudre le conflit israélo-palestinien, elle pense que sa politique de voisinage, très incitative, représentera un «attrait» pour toute la région. En Méditerranée, l'Union européenne entend renforcer sa coopération avec le Maghreb, l'Egypte et surtout la Libye, appelée à rejoindre le processus de Barcelone, lequel prévoit la disparition des barrières douanières en 2010. «Notre nouvelle politique nous aidera à atteindre plus vite et plus efficacement cet objectif», prétend la Commission.
Derrière l'effet de nombre, cette proposition de partenariat essentiellement économique dissimule des messages politiques importants. Le plus évident s'adresse à Ankara. Si la Syrie, l'Arménie et la Géorgie se trouvent inscrites sur la liste officielle des nouveaux voisins de l'Europe, c'est que la Commission inclut déjà la Turquie dans l'Union européenne.
Six mois avant de rendre un avis décisif sur l'ouverture des négociations avec Ankara, Bruxelles donne aux Turcs une raison supplémentaire de ne pas perdre espoir. Mais d'autres pays sont également confortés dans leurs aspirations européennes, notamment les Balkans.
De turbulents voisins, les pays d'ex-Yougoslavie deviennent, un à un, candidats. «Pour eux, les perspectives d'adhésion sont bien réelles», confirme Günter Verheugen. La Commission récemment a donné son feu vert à la candidature de la Croatie, qui attend le verdict des chefs d'Etat et de gouvernement des Vingt-Cinq au prochain sommet européen. La Macédoine est le second pays balkanique sur les rangs. «Cela devrait inciter les autres à accélérer les réformes pour remplir les critères européens», se félicite-t-on à Bruxelles.
Après les Balkans, d'autres pays envisagent de tenter leur chance, notamment l'Ukraine. Le plan de la Commission ne s'adresse pas aux adhésions lointaines, mais il ne les exclut pas non plus. «Si l'Ukraine se porte candidate et qu'elle remplit les critères» confie Günter Verheugen, «elle pourra peut être entrer dans l'Europe dans vingt ans, pourquoi pas ?» D'après les traités, les portes de l'Union restent ouvertes. Il suffit de frapper.
C'est une grande idée dont je rêve depuis longtemps, et ça sera fait d'ici 40 ans