Pour ceux qui auraient pas suivi...
Boulogne Boys contre Tigris Mystics
Guerre en tribunes
Source : LIBERATION du lundi 21 novembre 2005
Provocations, castagne, vandalisme... Autour du PSG, s'affrontent les «petits Blancs» du Kop de Boulogne et les Tigris, supporters des cités. Deux mondes opposés qui rivalisent sous l'oeil d'un club qui a joué avec le feu.
Coca, sandwich ou billet de cinq euros ? Sur l'origine du contentieux, les versions diffèrent. Seule certitude : il a éclaté le 24 septembre, devant la buvette du stade du Mans. «Une embrouille sans queue ni tête entre deux types bourrés», tous les deux supporters du PSG, selon un témoin. Un des «Boulogne Boys» (de la tribune dite «Boulogne») contre un membre des «Tigris Mystics», un des groupes du «virage Auteuil», la tribune opposée. Le différend se réglera à 2 heures du matin, après le retour en bus, à coups de lance-fusée, de bouteilles et de barres de fer, devant le siège du club parisien. Selon la police, ceux d'Auteuil ont tiré les premiers. Bilan : un supporter de Boulogne sérieusement blessé, un des Tigris interpellé et condamné, et le point de dépar
d'un affrontement hebdomadaire, brutal et ritualisé entre fans du même club.
Provocations et mobilisation, batailles rangées et gardes à vue : de foot, il n'est guère question dans cette affaire. Plutôt de «choc des cultures entre fafs et cailleras», estime un supporter d'Auteuil, de «querelles de tribune pour le leadership au stade». Et, à l'arrivée, d'une ahurissante guerre de stade et de rue, menée sous l'oeil d'un PSG plus que jamais impuissant face à la violence de ses fans. Et d'un ministre de l'Intérieur passablement agacé de n'avoir encore pu promener son Kärcher dans les tribunes du stade. Un supporter d'Auteuil résume : «Le Parc, c'est une poudrière. Ça peut péter de partout...»
Fief historique et nouvelle génération
Au Parc des Princes, chaque groupe a sa réputation et ses figures, son histoire et sa place. A droite : le Kop de Boulogne, fief historique des supporters parisiens. En haut de la tribune, les associations officielles avec, au premier rang, les Boulogne Boys. A l'étage d'en dessous, la section «R2», celle des fachos pur jus, pratiquants assidus du salut
nazi et du cri de singe. A divers endroits de la tribune, les «indépendants» et hooligans rompus à la guérilla des stades. Des tribus distinctes, mais une tribune «nationaliste». «Boulogne est une tribune solidaire et unitaire, explique un supporter. Il y a une culture de famille.» Noirs et Arabes n'y sont pas les bienvenus, orientés vers d'autres tribunes par les stewards du club eux-mêmes. Mesure de sécurité. «Boulogne a une solide réputation, qui attire certaines personnes plus que d'autres, euphémise un membre du Kop. Quand on vient des cités, on va à Auteuil...»
De l'autre côté de la pelouse, et aux antipodes : le virage Auteuil, ses vapeurs de shit et ses groupes ultras plus «cosmopolites et racailleux», dit un habitué. Les policiers l'avaient remarqué : «Depuis plusieurs années, une nouvelle génération est arrivée. Avec une autre mentalité, exubérante. Le comportement "cité" au stade.» En première ligne : les Tigris Mystics, 500 encartés, considérés comme un «bon groupe» par ses voisins d'Auteuil. Mais un peu trop «hégémonique» et remuant. «Chez les Tigris, il y a des mecs
extrêmement violents, aussi cons que ceux d'en face, estime un proche du club. A Boulogne, il y avait des "sales Noirs", des "sales Arabes". Maintenant, on entend aussi des "sales Français".»
Boulogne contre Auteuil, ou l'irrésistible face-à-face entre supporters de la même équipe, mais pas du même monde ? «A l'origine, les supporters du PSG, c'était une population blanche, avec des éléments d'extrême droite qui considéraient que Boulogne était un territoire "libéré", décrypte le sociologue Patrick Mignon. Et les ultras d'Auteuil ont progressivement voulu montrer, de manière volontariste, qu'une population multiculturelle pouvait aussi être attachée au PSG.» Comme souvent entre supporters, tout a commencé par des mots, inscrits sur une banderole des Tigris pour leur dixième anniversaire, en 2003 : «L'avenir est à nous.» Impardonnable affront pour la tribune Boulogne, forte de ses vingt ans de métier. Il débouchera sur plusieurs incidents sérieux
La guerre des tribunes est annoncée. Elle n'aura pas lieu pendant la saison 2004-2005, où un nouveau directeur de la sécurité du PSG met tout le monde d'accord. A ses dépens. Ancien commissaire divisionnaire de Bordeaux, Jean-Pierre Larrue a tenté de remettre de l'ordre au Parc. Trop vite, trop fort. «Union sacrée» de tous les groupes de supporters, banderoles incendiaires, grève des tribunes, et même une procédure judiciaire contre le club... «Nous sommes devenus un véritable lobby, en mesure de gêner le PSG», juge un ultra. Et de faire limoger, en mai dernier, le très détesté patron de la sécurité d'un club empêtré dans une politique à double tranchant. Les différentes directions du PSG ont toujours plus ou moins toléré la présence de groupes extrémistes et violents à Boulogne, allant parfois jusqu'à employer certains de leurs membres. Pour faire contrepoids, elles ont encouragé l'émergence des associations ultras à Auteuil... «La tentation a toujours été forte, au PSG, d'instrumentaliser les supporters afin d'avoir prise sur eux, résume un observateur. Le club considérait que
l'essentiel était d'éviter un grave accident ou un affrontement d'envergure.»
Le début de cette saison s'annonçait paisible. Cet été, en signe d'apaisement, le PSG avait même laissé les supporters peindre leurs fresques dans les coursives du Parc. Mais, sous la couche de peinture, l'Ile-de-France bouillonne toujours. «Le stade anticipe et grossit des phénomènes sociaux existants, rappelle Patrick Mignon. L'existence d'un phénomène "petits Blancs" à Boulogne préfigurait le repli sur soi, la crainte des gens différents et le vote FN.» La rage de certains ultras d'Auteuil annonçait-elle la révolte des cités ?
Toujours est-il qu'un mois avant le déclenchement des violences urbaines, l'«embrouille» du Mans fournit à la tribune Boulogne l'occasion idéale pour se dresser contre la «racaille».
Chants natios et ratonnades
«Tout le monde était très énervé, sur les dents», confirme un responsable des Boulogne Boys. Les forums Internet fourmillent de projets d'expéditions punitives. «Les indépendants se sont dit : "Boulogne est agressé, on va reprendre les affaires en main", observe-t-on au ministère de l'Intérieur. Des anciens, qui s'étaient calmés, sont revenus.» Le 1er octobre, jour du match contre Nantes, dès 11 heures, «150 indépendants chargés, bourrés, organisés, attendent dans les rues autour du stade pour faire la chasse aux Tigris», rapporte un témoin. Ces derniers ne viendront pas, refoulés par mesure de sécurité. Autour du Parc, l'ordre règne : bras levés, chants natios, jeunes Noirs et Arabes ratonnés. Pas moins de 85 hooligans sont interpellés, pour la plupart relâchés quelques instants plus tard. A l'intérieur, la tribune Boulogne porte le coup de grâce, symbolique celui-là : «
«Tigris Mystic, manipulés par les anarchistes de la CNT, protégés par le PSG». Une simple banderole, mais une terrible accusation jetée aux yeux de tous les groupes ultras du Parc, dont la légitimité repose avant tout sur la réputation d'indépendance.
Le politique ne s'éloigne jamais du stade. Nicolas Sarkozy, lui, y est déjà. Il rencontre en personne les responsables des Tigris et des Boulogne Boys, pendant le match PSG-Nancy, pour calmer le jeu. Mais la compétition entre ultras tourne à l'opération commando. Trois heures après la réunion, à minuit, une vingtaine de «hools» lance l'assaut contre le local des Tigris, à Montreuil (Seine-Saint-Denis). L'un d'eux, membre de la «Casual Firm», un influent groupe de hooligans de Boulogne, sera interpellé peu après dans les parages, en possession de cocaïne. D'autres membres de la «Firm» ont été reconnus par les Tigris, mais présentent un alibi. L'un d'eux, ancien salarié du club, a été aperçu après le match au café des Trois Obus, proche du Parc, par des anciens joueurs et Jean-Michel Moutier, responsable du secteur pro du PSG...
Le ministre de l'Intérieur, qui prépare une batterie de mesures anti-hooligans, a prévenu : il va «débarrasser nos stades des voyous». Trois jours avant le match à Auxerre, il réunit les responsables du club, les associations d'Auteuil, le préfet de police Pierre Mutz, le directeur général de la police nationale Michel Gaudin et le patron des RG parisiens. Le président du PSG a alerté, par lettre, le préfet de l'Yonne sur la présence de «factions dangereuses» et la nécessité de refouler «tout supporter ou sympathisant faisant le déplacement de manière indépendante». Mais les hostilités ont leur dynamique que les dispositifs sécuritaires ignorent. «Auteuil séduit de nouveaux supporters contents de s'opposer à la vision rétrécie de Boulogne, analyse Patrick Mignon. Et les supporters de Boulogne se radicalisent au fil de la confrontation avec ceux d'en face.»
Lancers de cuvettes
Un témoin confirme : le 30 octobre, «cinq heures avant le match, 100 hooligans fichés, hors catégorie, sont là. Des fous. Et l'AJ Auxerre, qui veut faire du chiffre, leur a vendu des places à 6 euros. Juste pour remplir les tribunes.» En plein match, les «hools» traversent sans encombre le stade champêtre de l'Abbé-Deschamps pour bombarder la tribune visiteurs, où siègent les Tigris : sièges, boulons, et même des cuvettes et carreaux en faïence arrachés dans les toilettes du stade, retrouvées atomisées. Sous l'oeil de Canal + et de TF1. «Quand il n'y avait plus de Tigris, ils ont cherché les Beurs dans le stade. Après, ils ont chargé les CRS avec des barrières en métal. On n'a pas eu de mort, mais on n'en est pas loin.» Une aimable soirée de football, qui se conclut sur le score de zéro interpellation. Le lendemain, après une sévère «explication de texte» du ministre, selon un de ses proches, la police de l'Yonne montera à la capitale pour y arrêter deux hooligans parisiens
Nicolas Sarkozy n'a pu rencontrer comme prévu les supporters du PSG, lors du dernier match au Parc des Princes. Ce soir-là, le premier flic de France visitait ses troupes à Bobigny (Seine-Saint-Denis) et à Grigny (Essonne), après plusieurs nuits violentes en banlieue. Le match contre Monaco a été calme. Tout juste un tract des Tigris évoquant leur «combat pour la liberté d'accès au stade». Réplique d'un représentant des Boulogne Boys : «Leur quête de purification du Parc des Princes, c'est du vent. C'est pour justifier leur arrogance.» Les braises s'entretiennent d'elles-mêmes, dans une imparable dialectique. Une source au ministère de l'Intérieur résume : «Peut-on mettre côte à côte sans heurts des gens qui ne se supportent pas et qui, sans le foot, n'auraient aucune chance de se croiser ?» Et de poursuivre, sans illusion : «Avec les fêtes et le dispositif Sarkozy, ça va se tasser un moment. Mais ça repartira.
Tigris Mystic contre Boulogne Boys, haine contre haine, poings contre poings, voilà la véritable affiche, au Parc des Princes, à chaque soirée de Ligue 1. Depuis quatre mois, ces "supporteurs" du PSG s'étripent, sur fond de racisme, bien loin du football. Comme cedimanche 15 janvier, vers 17 heures. Devant la tribune Auteuil, celle des Tigris Mystic, une vague de fans du PSG, les Kar Sud, essaie de forcer l'entrée. Ils sont chauds, un peu éméchés à la bière. Ils s'arrachent les cordes vocales en hurlant : "Tigris, on t'encule". Plus de cent policiers les bloquent. Kar Sud et Tigris Mystic partagent pourtant la même tribune.
Le PSG ne peut plus faire face, confronté à une sorte d'apartheid qui s'exprime jusqu'à la configuration même du stade. La tribune Boulogne a vu naître le premier club de socios du PSG en 1985 : les Boulogne Boys, 800 membres. Leur culture est calquée sur celle des Anglais, à tendance nationaliste — voire, pour certains, "fachos" adeptes du salut nazi. Dans cette tribune, la mixité, connaît pas. Les stewards en charge de la sécurité et de l'accueil sont uniquement des "Blancs". Et lorsqu'un Noir ou un "basané" se présente à la boutique du PSG, sur les Champs-Elysées, pour acheter un billet pour Boulogne, il est averti par des vendeurs, assez embêtés : "Je n'ai pas le droit de vous dire que Boulogne est une tribune raciste, faf (fasciste), car SOS-Racisme nous a fait des scènes."
Le PSG juge cette situation "intolérable" et se sent "impuissant". Jean-Philippe d'Hallivillée, directeur de la communication, de la sécurité et des relations avec les supporteurs : "Comment faire le ménage ? Et, surtout, qui le fait ? Ce n'est pas au PSG de se substituer à la police." Nicolas Sarkozy, le ministre de l'intérieur, a pourtant clairement averti qu'il ne tolérerait plus ces déborde-ments. Et qu'il n'envisageait pas pour autant d'augmenter les effectifs des forces de l'ordre les soirs de rencontre.
Le club consacre 2 millions d'euros pour la sécurité du Parc, emploie sept cents vigiles et met à disposition des agents des renseignements généraux (RG), des badges "all access" afin qu'ils identifient les plus radicaux de ses "supporteurs". Depuis le début de la saison, 50 d'entre eux sont interdits de stades, la plupart pour avoir allumé un fumigène. Dix autres ont été repérés, grâce à la vidéosurveillance, pris en flagrant délit d'hommage hitlérien.
Pierre-Louis Dupont, président des Boulogne Boys, se défend d'être proche de l'extrême droite. Il fustige la police. Selon lui, elle est loin de faire son travail : "On a eu des rendez-vous avec Sarkozy. Il nous a dit qu'il voulait éradiquer le racisme. Et que fait la police ? Elle arrête des gens qui allument des fumigènes. Si la police voulait vraiment arrêter des gars, elle sait où orienter la caméra."
C'est l'unique point qui le rapproche de Mehdi Benslama, diplômé de Sciences Po, président des Tigris Mystic. C'est le club de supporteurs le plus important de la tribune d'Auteuil, 400 membres. Des gars des cités, du "9-3". Leur président explique la tension actuelle : "Une omerta régnait depuis des années. On a brisé le consensus au Parc. Nous ne voulons plus que le racisme s'exprime au stade. Et ça ne plaît pas."
Entre Boulogne Boys et Tigris, la haine transpire. Ils se provoquent, s'appellent sur les portables... C'est "Paris contre la banlieue", les "sales Français" contre les "sales Arabes". "C'est une lutte quasi à mort", lâche un membre influent des Tigris. Au matin du 12 janvier, à la gare d'Austerlitz, une dizaine de "Boys" revenant d'un match à Toulouse était cueillie par une trentaine de Tigris prêts à les "bouler". Une vengeance mûrement préparée. Le 7 janvier, à Lens, le bus des Tigris avait été attaqué à coups de barres de fer par des Boys dérobant les drapeaux rangés en soute.
L'origine du conflit remonte au 24 septembre 2005, lors du match Le Mans-PSG. Selon les Tigris, l'un d'entre eux se serait fait traiter de "sale négro, retourne à ton MacDo" par un Boys. Baston. Une trentaine de Tigris auraient été agressés par une soixantaine de jeunes de Boulogne. Du côté de Boulogne, la version diffère : les Tigris les auraient provo-qués dès la mi-temps à la buvette. Puis soixante d'entre eux auraient attaqué vingt Boys devant le siège du PSG. Et les différends s'entremêlent. Les Tigris ne s'entendent plus avec les Kar Sud, des indépendants d'Auteuil. Ces derniers se sont liés, depuis peu, avec d'autres indépendants de... Boulogne. En clair, les jeunes des cités, parfois d'origine africaine, se sont rapprochés des hooligans d'extrême droite. Leur lien ? Le même attrait pour la violence. Ils se sentent solidaires pour "casser" du Tigris, devant le regard amusé des Boys et d'autres clubs d'Auteuil comme les Supras.
Le PSG évoque "une guerre des gangs". Le club a même envisagé, en octobre, de dissoudre les Tigris Mystic pour calmer le jeu. Mais, dans une note interne destinée au président du directoire du PSG, Jean-François Meaudre, dont Le Monde a eu connaissance, "la dissolution de cette association spontanée ou forcée n'est pas possible. Une disparition des Tigris Mystic de la tribune Auteuil pourrait entraîner la création de groupuscules indépendants difficilement contrôlables".
Et épilogue... :|
J'ai quand même du mal à croire qu'il n'y ait pas eu de fortes pressions du P.
En tous cas, je suis pas prêt de remettre les pieds au Parc...