Robert Louis-Dreyfus a passé
les fêtes de fin d’année dans
la station de sports d’hiver de
Davos,àdeuxheuresderoute
de Zurich, son lieu de résidence
principal. Quelques
jours de répit avant de
reprendre le cours de ses
affaires internationales.
C’est là qu’il nous a reçus, en
début de semaine, pour parler
longuement de son club,
l’Olympique de Marseille, qui
continue à le passionner,
même s’il ne peut assister
qu’à quelques matches par
saison.
DAVOS – (SUI)
de notre envoyé spécial
« COMMENT JUGEZ-VOUS la
saison de l’OM ?
– Elle est correcte.Ona eu un départ
difficile, puisque nous étions derniers
après la 5e journée. C’est un
Championnat dans lequel on peut
finir deuxièmes ou dixièmes. Derrière
Lyon, personne ne se détache.
Tout le mondea des hauts et des bas.
– À la fin août, lorsque l’OM
pointait à la dernière place,
avez-vous craint d’être reparti
pour une saison galère ?
– Pas du tout. Parce que, en dehors
de la saison 1998-1999, je n’avais
jamais vu une aussi bonne ambiance
dans l’équipe. Les joueurs sont très
solidaires. Donc, je n’étais pas
inquiet. Mais, pour être tout à fait
honnête, je ne pensais pas non plus
qu’on allait faire une très grande
saison. La qualification pour la
Coupe de l’UEFA était déjà un
succès.
– La Ligue des champions estelleun
objectif àvotre portée ?
– Il ne faut pas rêver. Avec de la
chance, oui, c’est possible. Mais je
n’ai pas changé d’avis : on a une
équipe pour finir entre la 5e et la
10e place. Il ne faut pas négliger le
problème de la CAN, durant laquelle
nous allons perdre Niang, Oruma,
Beye, Meïté et Taiwo. Nos adversaires
directs au classement perdront
moins de joueurs que nous. On
est un peu juste au niveau de
l’effectif.
– Et sur le plan du jeu, qu’en
pensez-vous ?
– C’est une équipe qui joue agréablement.
Le flanc gauche est excellent
avec Taiwo et Ribéry. Le flanc
droit l’est un peu moins. Il nous
manque un buteur, même si Niang
pourrait être celui-là. Mendoza, je ne
le connaissais pas. Gimenez, je
n’étais pas convaincu. Pour le reste,
Lamouchi tient la baraque au milieu
et apporte beaucoup de sérénité. Sur
le terrain, c’est le vrai patron. Cana
est bon, voire surprenant. Dans
l’ensemble, ils ont fait un bon recrutement.
– Avez-vous été consulté ?
– Sur Ribéry, oui. Sur un ou deux
autres aussi. Je donne mon avis et,
ensuite, ils décident. Je fais
confiance aux gens que j’ai mis en
place. Ils sont trois à s’occuper du
recrutement : Diouf, Anigo et
Fernandez. La saison dernière,
j’avais suggéré de prendre Oruma.
Mais ils avaient préféré Costa. En
2004, je n’étais pas fan de certains
joueurs qui avaient été recrutés. Et je
l’avais dit.
– L’homme de la saison à l’OM,
c’est Ribéry. C’est un joueur qui
vous plaît ?
– Oui. Il a tout pour réussir à Marseille.
Déjà, c’est un battant, même
s’il doit mieux contrôler son tempérament
qui l’expose aux cartons. Il
fait partie de ces joueurs qui peuvent
faire basculer un match. Toutes
proportions gardées, sa couverture
de balle me rappelle un peu celle de
Maradona. Je savais qu’il était bon,
car jeme rappelais qu’avec Metz, en
août 2004, il nous avait massacrés
au Vélodrome (1-3). Mais je ne
savais pas qu’il était aussi bon.
– Diouf a déclaré qu’il était
intransférable avant de nuancer
sa position ; Anigo a dit
qu’il ne partirait pas et Acariès
a estimé que personne n’était
irremplaçable. À qui doit-on se
fier ?
– Bien sûr qu’on a envie de le garder.
Mais s’il nous explique, un jour,
qu’il a une offre mirifique et qu’il
veut partir, on ne va pas le garder
pieds et poings liés. C’est un garçon
qui a la tête sur les épaules. Je pense
qu’il est heureux à l’OM et qu’il a
envie de rester deux ou trois saisons.
– Ribéry a-t-il comblé le vide
laissé par Drogba ?
– Dans l’esprit des supporters, oui.
Drogba a laissé des regrets, c’est
vrai. Mais son départ a-t-il été une
bonne chose pour lui en dehors de
l’argent ? Je ne sais pas. Je le vois de
temps en temps à Londres, mais pas
du tout dans l’intention de le faire
revenir. Il est mieux cette année que
l’an dernier. Mais je ne crois pas qu’il
soit tombé amoureux de Londres
comme certains joueurs français.
– Après la victoire contre La
Corogne (5-1) en finale de
l’Intertoto, on vous a vu danser
sur la pelouse au milieu des
joueurs. La scène était très
inhabituelle…
– C’était un beau moment. Quand
une équipe se surpasse, comme ce
fut le cas contre La Corogne, c’est
beau. Il s’est passé quelque chose ce
soir-là.
– Ces moments
ont été r a res
depuis que vous
êtes à l’OM…
– Il y en a tout de
même eu quelquesuns.
Quand on est allé
en finale de l’UEFA en
2004, en tapant Liverpool,
l’Inter et Newcastle,
c’était des
vrais bons moments.
Finalement, mesmeilleurs
souvenirs sont
liés à la Coupe d’Europe. Même si en
Championnat, on est passé à deux
minutes du titre en 1999.
– Jean Fernandez est- i l
l’homme de la situation ?
– Je suis très satisfait de lui. C’est
l’entraîneur qu’il nous fallait cette
année. Je le considère comme l’un
des meilleurs en France. Il n’est pas
nécessaire d’avoir un grand nom
pour entraîner l’OM. Au contraire,
même. Jean Fernandez est un grand
travailleur, compétent, qui a l’avantage
de connaître l’environnement
marseillais puisqu’il était déjà là
sous l’ère Tapie.
– Avec Acariès, Diouf et Anigo,
vous avez un trio de Marseillais
à la tête de l’équipe…
– Et c’est une bonne chose ! Dans le
passé, j’ai fait des erreurs de casting
en pensant qu’il fallait importer des
gens qui n’étaient pas des Marseillais.
Mais au début, je ne connaissais
personne à Marseille. Petit à petit, je
me suis rendu compte qu’il valait
mieux avoir desMarseillais pour diriger
le club. Encore fallait-il qu’ils se
révèlent.
– Au départ, le trio Acariès-
Diouf-Anigo était pourtant
entouré d’un grand scepticisme
?
– Beaucoup de gens pensaient que
cet attelage ne marcherait pas. Or,
aujourd’hui, il y a une bonne
ambiance dans l’équipe dirigeante.
Ils ne sont pas toujours d’accord,
mais ils se respectent. Acariès y a
beaucoup contribué. Il a grandi à
Marseille et il a une réelle affection
pour cette ville. Il est sur place tous
les jours. Et puis, c’est un meneur
d’hommes qui connaît le sport et les
sportifs.
– Pourtant, ce n’est pas un
connaisseur du football.
– Non, mais il connaît les hommes
et il maîtrise bien l’environnement
marseillais.
– Il restera à l’OM jusqu’à
quand ?
– Jusqu’en juin au moins. Après, on
verra.
– Du coup, 2005 a dû vous
paraître beaucoup plus calme
que 2004 ?
– Oui, les médias ont eu moins de
choses à écrire. Je dis toujours que
l’OM rend fou ! Si on vit sur place, il
faut être très costaud pour ne pas
succomber à la mégalomanie.
L’impact de l’OM est extraordinaire.
Je le vois à toutes ces personnes qui
me parlent de l’OM alors que j’ai
quand même réussi des choses dans
les affaires. Au départ, je ne m’en
rendais pas compte. Tenez, il y a un
truc dont je suis assez fier. Pendant
les événements dans les banlieues, il
ne s’est rien passé à Marseille. Je suis
convaincu que l’OM y a contribué. Le
club est un lien social. Depuis que je
suis là, j’ai toujours insisté pour que
les joueurs aillent dans les banlieues.
– Qui est le patron aujourd’hui
à l’OM ?
– Il y a un président, Pape Diouf, qui
s’appuie sur Anigo et Fernandez
pour le sportif et sur Dantin et De La
Brosse pour le business. Donc, le
patron, c’est Diouf.
– À trois, c’est mieux qu’à
deux, comme par le passé ?
– J’étais persuadé que l’attelage
idéal dans le foot consistait à
associer un grand manager, style
Ferguson, et ungrand financier, style
Peter Kenyon. À Marseille, je me suis
aperçu qu’il était préférable d’avoir
plus de monde. Si des gens ont trop
de pouvoirs, une ambiance malsaine
peut s’installer. C’est plus facile de
supporter la pression quand on est
plusieurs. Rolland Courbis était marseillais,
mais il était le seul dans
l’organigramme. Le fait qu’ils soient
trois Marseillais leur a peut-être permis
aussi d’avoir plus de temps.
Quand on était derniers, en août,
rien n’a bougé.
– Lorsque Acariès dit que vous
êtes présent à l’OM à travers
lui, il a raison ou il exagère ?
– On se parle, mais ce sont eux qui
décident. Je ne suis pas gestionnaire
de l’OM. J’ai toujours beaucoup
délégué dans mes affaires ou dans le
sport. Le seul dossier que je regarde
deprès actuellement, c’est celui de la
formation (il montre un dossier sur
son bureau). À part Flamini et Nasri,
on ne peut pas dire qu’on ait sorti
beaucoup de joueurs ces dernières
années. Or, c’est absolument nécessaire,
même si on nous les pique à la
sortie. Pour moi, le scandale de
l’année, c’est que la réserve de l’OM
soit descendue en CFA 2. C’est le
signe qu’il y a un problème. Il faut
revoir tout ça. C’est la grande tâche
de Pierre Dantin et José Anigo.
– Cet équilibre entre les dirigeants
n’est-il pas fragile tout
de même ?
– Non. Il y a une bonne
compréhension entre eux.
Les équilibres cassent
lorsqu’il y a crise. Si on
perd les quinze matches
qui viennent, on verra
bien.
– L’OM est-il devenu
un c lub norma l ,
comme le dit Anigo ?
– L’OM ne sera jamais un
club normal. C’est un club
hors normes. Mais on
essaye d’appliquer des
méthodes de gestion normales.
À l’OM, il y a toujours
une part de folie.
C’est aussi pour ça que
l’on aime ce club. Quand
je vais en Chine ou en Amérique du
Sud, tout lemondemeparle de l’OM.
– L’OM est-il sur la bonne
voie ?
– Oui, l’OM est sur la bonne voie,
même si j’en attends encore mieux.
– On parle beaucoup de Djibril
C i s sé depui s quel ques
semaines. N’est-ce qu’un doux
rêve ?
– On ne peut pas assumer le salaire
net de Cissé. Donc, si Liverpool ne
veut pas nous le prêter, il ne viendra
pas. Même s’il a le bon profil pour
l’OM.
– Quelle est la situation financière
de l’OM ?
– Le recrutement de la saison
2004-2005 (Pedretti, Luyindula,
Costa…) avait coûté très cher,
notamment en salaires. Vous pouvez
acheter un joueur très cher si vous le
revendez très cher. En revanche, il y a
une loi immuable dans le foot : si la
masse salariale dépasse 55 % du
chiffre d’affaires,
vous êtes dans le
rouge. Là, on était
monté à 79 %, ce qui
n’était pas tenable.
C’est pourquoi il a fallu
dégraisser cet été.
Et là, José Anigo a fait
du très bon travail. Il
n’y a aucune raison
que l’OM ne puisse
pas équilibrer ses
comptes ou gagner de
l’argent afin d’acheter
des joueurs. Le système
dans lequel le
mécène remet de
l ’argen t chaque
année estun mauvais système. Çane
marche pas. On a tout de même le
deuxième budget de Ligue 1. Et si on
était en Ligue des champions, on ne
serait pas loin de Lyon.
– Le 1er mars 2006, vous prendrez
officiellement la présidencedugroupe
Louis-Dreyfus
(voir ci-contre). Cela va-t-il
changer beaucoup de choses
pour vous ?
– Je m’en occupais déjà depuis
quelque temps. Mais oui, ça va me
prendre beaucoup de temps parce
que ce sont des métiers que je ne
connais pas. Pour l’instant, j’ai toujours
mené mes affaires sans me
préoccuper du passé, que ce soit
chez Saatchi & Saatchi ou chez
Adidas. Là, je dois tenir compte des
traditions du groupe familial. Je ne
peux pas le réinventer comme j’ai
réinventé Adidas. En gros, toutes les
six semaines, je vais passer une
semaine aux États-Unis, une
semaine en Amérique du Sud et une
semaine en Chine. Mais dès que j’ai
un moment de libre pour aller voir
l’OM, j’y vais avec grand plaisir.
Cette saison, je n’ai vu que quatre ou
cinq matches. Quand les gens me
reprochent de ne pas être assez
présent à Marseille, il faut qu’ils
comprennent que ce n’est tout simplement
pas possible. L’OMn’est pas
mon métier, maisma passion. Il faut
bien que je puisse exercer mon
métier par ailleurs. Aulas s’occupe
beaucoup de l’OL, mais il vit à Lyon et
ses affaires sont à Lyon.
– Vous avez été renvoyé
devant le tribunal correctionnel
pour abus de biens sociaux
dans l’affaire des comptes de
l’OM entre 1997 et 1999. Le
procès se déroulera du 13 au
31 mars 2006. Comment le
vivez-vous ?
– Très mal. Je ne pensais pas que
l’on pouvait être accusé d’avoir
commis un délit en utilisant son
argent personnel, et uniquement son
argent personnel, pour renflouer un
club de sport. J’ai dépensé près de
200 millions d’euros que j’avais
gagnés dans mes activités professionnelles
pour redresser l’OM. Je
l’ai fait par passion. Je n’ai jamais
pensé que cela pouvait être mal. Je
ne comprends toujours pas. Alors
oui,meretrouver devant un tribunal,
je trouve ça profondément injuste.
Mais je me réjouis de pouvoir faire
entendre mes arguments lors du
procès et je fais confiance à la justice
française.
– Estimez-vous que ce renvoi
en correctionnel “heurte le
bon sens” comme l’a dit votre
avocat ?
– Oui, absolument. J’ai toujours eu
une conduite morale dans ma vie et
dans mes affaires. Par conséquent,
ce n’est vraiment pas agréable. Cela
fait cinq ans que je vis avec ça et j’ai
hâte que le procès arrive.
– A-t-on abusé de votre
confiance entre 1997 et 1999 ?
– Je ne ferai pas de commentaires
sur le fond.
– En voulez-vous à Rolland
Courbis ?
– Je n’en veux à personne. Je n’ai
rien à voir avec la plupart des gens
qui ont été mis en examen dans cette
affaire.
– Si vous êtes condamné, quitterez-
vous l’Olympique de
Marseille ?
– D’abord, je n’imagine pas être
condamné. Mais si je l’étais, je ne
quitterais pas Marseille. Si je devais
le faire un jour, ça n’aura rien à voir
avec le procès.
– Vous avez toujours foi en
l’OM ?
– Oui, j’y crois toujours. J’ai été
approché par des investisseurs
étrangers qui étaient intéressés par
l’OM. Mais je n’étais pas vendeur. Et
je ne le suis toujours pas. Le foot me
fait vibrer et l’OM en particulier. Je
suis un battant, un gagneur, et je ne
veux pas partir sans avoir gagner un
titre. Ce qui ne signifie pas que je partirais
le jour où on en gagnera un.
– Vous êtes aussi le patron
d’Infront, une société qui gère
notamment les droits télé de la
Coupe du monde 2006. À ce
titre, estimez-vous que le
Championnat de Ligue 1 vaut
600 millions d’euros ?
– Le Championnat de France est
meilleur qu’on ne le croit. Il est peutêtre
inférieur à l’Italie et à l’Espagne,
mais il soutient la comparaison avec
l’Allemagne, si vous enlevez le
Bayern, et avec l’Angleterre, si vous
enlevez les trois meilleures équipes.
J’avais conseillé à la Ligue de lancer
un appel d’offres sur un contrat de
cinq ans au lieu de trois. Il était
inéluctable que les deux bouquets
satellites fusionnent un jour, comme
partout ailleurs. Dès lors qu’il y a
fusion, vous ne pouvez plus toucher
600M.Mais lors du prochain appel
d’offres, il y aura peut-être des nouveaux
acteurs qui rentreront en jeu,
des entreprises de télécommunications
comme France Télécom ou
Neuf Télécom (dont RLD est l’actionnaire
principal), des câblo-opérateurs,
voire des sociétés de paris sur
Internet. Le prix ne va pas forcément
baisser, car ce qui fait le prix d’un
Championnat, c’est la compétition
entre les diffuseurs. S’il n’y a pas de
compétition, vous ne pouvez pas
toucher le pactole. »
RÉMY LACOMBE