On savait notre équipe de France guère brillante sur le terrain ; on découvre que la Fédération aussi collectionne les cartons jaunes. Sureffectifs, gaspillages, salaires mirobolants, déficit chronique… et le pire reste à venir.
Pour ça, la Fédération française de football est bonne fille, a pensé Eric Surdej, le patron de LG Electronics France, un soir de mars dernier. Sur son écran de télévision venaient d’apparaître des joueurs du onze tricolore à l’entrainement, vêtus d’un splendide maillot frappé au logo de sa société. Passé le moment de surprise, Eric Surdej s’est interrogé sur le pourquoi de ce miracle. Son entreprise ayant interrompu quatre mois plus tôt son contrat de sponsoring avec l’équipe de France, il ne pouvait s’agir d’une prestation commerciale. Un problème de blanchisserie peut-être, qui aurait contraint les joueurs à ressortir l’équipement de l’an dernier ? Peu probable. Une affaire de superstition, alors ? Moins encore, car les Bleus ayant à peu près tout perdu avec ces fichues tuniques, on ne voit pas très bien en quoi il ils auraient pu y trouver un porte-bonheur.
Alors, pourquoi la FFF, qui court après les sponsors, écoule de moins en moins de billets dans ses stades, doit des fortunes à l’Urssaf, croule sous les sureffectifs, affiche pour la première fois de son histoire un déficit de 2.6 millions d’euros et risque de sombrer dans la mouise si l’équipe de France ne se qualifie pas pour le Mondial, ce qui, entre parenthèses, lui pend au nez comme la goutte de sueur de Zidane, pourquoi la FFF offre-t-elle une pub gratuite à la filiale d’un groupe électronique coréen ? Parce que, avouent ses responsables, « <span style='color:blue'>ça coûtait trop cher de changer les maillots</span> ».


Le nouveau président a promis de « vider les tiroirs ».
<span style='color:blue'>Fichtre ! Cette drôle de maison serait-elle tenue par des cinglés </span>? :boco: Disons que, ces dernières années, elle n’a pas été gérée au cordeau. Confortée par la double victoire de nos champions au Mondial 98 et à l’Euro 2000, cette association loi 1901, qui fédère et organise tout le foot français par délégation du ministère de la Jeunesse et des Sports, devrait pourtant surfer sur le succès. <span style='color:blue'>Son budget (137 millions d’euros pour l’exercice 2003-2004, essentiellement constitué de recettes de sponsoring et de droits télé)</span> n’a-t-il pas progressé de 11.4% depuis 2000 ? Au lieu de quoi, <span style='color:blue'>Claude Simonet</span>, son président pendant onze ans, et <span style='color:blue'>Gérard Enault</span>, son ex-directeur général, tous deux écartés il y a quelques semaines, en ont fait un capharnaüm financier farci de bombes à retardement. « Nous allons vider les tiroirs », prévient Jean-Pierre Escalettes, le nouveau patron. Eh bien, il va y avoir du boulot.
Commençons par l’Urssaf. L’organisme de recouvrement des cotisations sociales a effectué il y a quelques mois une descente à la FFF. Et découvert que les deux dirigeants <span style='color:blue'>payaient depuis des lustres les arbitres avec des primes sous forme d’honoraires, et non de salaires, comme ils l’auraient dû, afin de faire l’économie des cotisations sociales</span>. Une triche dont on finit toujours par payer les pots cassés, toutes les PME le savent. Simonet (qui n’a pas souhaité répondre à nos questions) a eu beau plaider sans rigoler que les relations entre les arbitres et la Fédé « appartient à une autre sphère que celle qui régit les relations de travail habituelles », et qu’il convient par conséquent de ne point perdre son temps à régler des charges sociales pour ces employés-là, il a peu de chances de convaincre les juges du tribunal des affaires sociales, saisis par l’Urssaf. Une fois leur décision rendue, en septembre prochain,<span style='color:blue'> la FFF devra très probablement se fendre de 5 millions d’euros d’arriérés</span>.
<span style='color:blue'>Et comme le truc de la prime a aussi servi pour rémunérer des joueurs </span>–selon les vérificateurs, l’argent aurait été versé via « une cascade de sociétés-écrans » créées pour la circonstance par les footballeurs eux-mêmes – il lui faudra sortir au moins 2 millions d’euros supplémentaires, pénalités non comprises, pour les seules frasques antérieures à 2002. Un nouveau contrôle est prévu pour examiner la situation après cette date. Il pourrait s’avérer plus salé encore.
Une tuile ne tombant jamais seule, <span style='color:blue'>la Fédé risque aussi de se prendre sur la tête une grosse ardoise du conseil des prud’hommes</span>. Il faut dire qu’elle n’y est pas allée avec le dos du ballon rond pour licencier certains de ses collaborateurs. Voyons par exemple Albert Gal. Kiné de l’équipe de France pendant douze ans, adoré des joueurs, c’est lui qui bichonnait le deuxième trésor national après Mona Lisa, les jambes de Zidane. Du jour au lendemain, à la fin de 2004, Gal n’a plus reçu de bulletin de salaire (ni de salaire). Pas une lettre. Pas un coupe de fil. Pas un entretien pour lui signifier qu’il était à la porte, et moins encore pour lui en signifier la raison. Ils sont cinq dans ce cas, dont le médecin du onze tricolore, débarqués parce qu’ils faisaient double emploi avec les proches, tout juste embauchés, du nouvel entraîneur Raymond Domenech. Le dénouement de ce dossier embarrassant risque de coûter pas loin de 1 million d’euros d’indemnités à la FFF.
Troisième tiroir miné : <span style='color:blue'>les droits télé attribués à TF1 pour l’année 2006. Cette fois, c’est la Direction de la concurrence qui est en colère</span>, car ce marché de 43 millions d’euros avait été passé sans aucun appel d’offres. Or la FFF, qui reçoit chaque année entre 3 et 5 millions de subventions de l’Etat, est tenue de satisfaire aux règles des marchés publics. Cette petite entorse pourrait lui valoir des centaines de milliers d’euros de pénalités. <span style='color:blue'>Ce n’est pas tout. Certains contrats de sponsoring auraient eux aussi été attribués sans appel d’offres à Sportfive, l’ex-société de Jean-Claude Darmon</span>, le pape du foot-business. Cela aussi pourrait peut-être se terminer par des amendes, voire par l’annulation des contrats. « C’est vrai qu’on a un peu dérapé », confesse le trésorier de la maison.
Bien qu’ils fassent mauvais genre, <span style='color:blue'>ces millions d’euros de rattrapage seraient peu de chose si, pour le reste, la Fédé avait adopté une gestion de bon père de famille. </span>Hélas ! Voilà cinq ans que son budget flambe comme une allumette. Passons sur le splendide appartement du boulevard Haussmann attribué à l’ex-sélectionneur Jacques Santini, sur les luxueuses voitures de fonctions de Claude Simonet ou sur les bouteilles de Romanée Conti à 4800 euros dénoncées par la Cour des Comptes, mais réglées jusqu’à la dernière goutte par celui-ci. Il y a plus grave. Selon nos informations, les frais du personnel auraient bondi de 33% en cinq ans, trois fois plus que le budget de l’association. Cette dérive tient d’abord à une pluie d’embauches quasiment tropicale : depuis 2000, le nombre de salariés est passé de 125 à 179, sans compter les 84 conseillers détachés du ministère des Sports. Un vrai problème, car les locaux du somptueux siège de l’avenue d’Iéna se son vite révélés trop petits pour loger cette foule, et il a fallu en louer d’autres, avenue d’Iéna naturellement, l’une des artères les plus chères de la capitale.
Or ces salariés ne paraissent pas tous indispensables. En plus de quelques personnes placées à la Direction technique nationale de l’arbitrage et au centre d’entraînement de Clairefontaine (déficitaire depuis sa naissance), on a créé des postes au Web, dont personne ne connaît le coût, et on a renforcé les effectifs affectés au service marketing et à la « gestion d’événements ». Or le marketing et la gestion d’événements font précisément partie des tâches sous-traitées à Sportfive. Ceinture et bretelles…
64% d’augmentation de salaire pour le staff de l’équipe de France
La seconde raison de l’envolée des coûts de personnel tient à l’explosion des primes et des salaires. Un exemple : <span style='color:blue'>alors que l’équipe de France n’a pratiquement rien gagné depuis 2000, les rémunérations de son staff ont grimpé de 64%. Pour avoir conduit ses garçons à la débâcle de la dernière coupe du monde, jacques Santini a perçu 923 000 euros brut par an, somme arrondie de quelques primes vaillamment conquises (140 000 euros de bonus pour la défaite de l’Euro 2004).</span> « La logique de notre politique d’intéressement ne saute pas toujours aux yeux », résume un cadre technique agacé par ces dérives. On oserait dire qu’elle nous échappe.
Jean-Pierre Escalettes s’est donné deux ans pour remettre la maison d’équerre. Son pari est comme le prochain Mondial : pas gagné d’avance.
Jean-Pierre Gonguet, Capital n° 164, mai 2005.
simonet et sa cour
