



Je me doute bien qu'environ 90 % d'entre vous ne liront pas cet avis en entier,

IAM
Akhénaton, du nom d'un ancien pharaon égyptien et avant de produire cet album solo, est sans doute la figure de IAM la plus célèbre, et il joue le rôle de porte parole de ce groupe pas comme les autres. Au cas ou vous ne le sauriez pas, ce surdoué (ça existe aussi dans les quartiers populaires, et si vous ne me croyez pas téléchargez donc un ou deux de ces morceaux sur internet, vous comprendrez…), non content d'appartenir à un groupe vraiment célèbre et de s'occuper d'une myriade d'association (c'est grâce à IAM que tous les autres marseillais ont eu une porte ouverte sur le succès), s'est récemment lancé dans la production de films avec Comme Un Aimant…
Mais les marseillais d'IAM ont toujours eu un faible pour les racines de leur cité, et c'est pourquoi leurs textes vont souvent chercher leur inspiration chez des peuples mythiques (on citera juste Samouraï, de Shurick'n, L'école du Micro d'Argent dans son ensemble et les noms des artistes [DJ Khéops, Ihmotep, etc.]). Dans un sens, on peut dire que cet album sorti en 1997 est LE retour au source pour Akhénaton, d'origine sicilienne. Il ne plaira pas aux amateurs de rap pur et dur, et les autres, à qui il pourrait plaire (en particulier les amateurs de poèmes…) n'auront probablement jamais l'occasion de l'écouter à cause des préjugés débiles dont est victime le rap (tout comme le rock pop à ses commencements).
UN ALBUM PAS COMME LES AUTRES
Rien qu'à voir la jaquette, on comprend que Métèque et Mat n'est pas un album ordinaire. Pas de racaille ni de joints qui tournent sur les photos… Juste de l'ocre, du beige, un jeu d'échec et un papy à béret qui fume la pipe en vous jetant un sourire ironique. L'heure est donc au souvenir, à la mémoire (et même à la paléontologie avec Prométhée ou l'île de Pâques ;o) ). Ici, on ne vous parlera pratiquement pas des banlieues ni des problèmes des jeunes en galère, ou alors simplement sous la forme de parabole. Des mélodies nostalgiques, à écouter pour elles-mêmes, et qui créent un univers mystique inconnu (de moi en tout cas) en matière de musique. De la Cosca à l'amérique en passant par l'Orient, cet album est une véritable occasion de voyager en restant tranquillement allongé sur son lit les yeux fermés…
A ce stade là, les "novices" se disent, circonspects : "Il s'est trompé de rubrique !" Mais non. Allez, j'en rajoute une couche : la voix d'Akhénaton, posée et jamais survolté sauf lors de rares envolées, ainsi que les textes d'une richesse incroyable (si vous lisez jusqu'au bout il y aura un extrait…) et le vocabulaire employé, font que ces chansons ressemblent à s'y méprendre à … des poèmes. Les titres confirment cette impression, que ce soit Le Calme Comme Essence, Au Fin Fond D'une Contrée, Lettre Aux Hirondelles. Un des aspect du rap que les médias comme le grand public n'ont jamais pris la peine de voir, c'est que la richesse de ses textes en fait le descendant scandé du poème, et je suis sûr que dans cinquante ans, lorsque les problèmes des cités ne feront plus la une de l'actualité, on étudiera à nouveau ces textes avec sérénité et on les appréciera enfin à leur juste valeur.
Voilà, ceux qui ont ricané en lisant ce début d'avis (parce que leur esprit est incapable de faire dans la nuance) ou qui ont les yeux trop fatigués (pardonnés !) peuvent décrocher, les courageux je les remercie d'avance ;o)
Voici maintenant un résumé du disque :
Métèque Et Mat s'ouvre avec La Cosca, une longue histoire de 6'20" où Akhénaton raconte à la première personne la vie d'un ex-mafioso repenti de 90 ans, en passe de se faire assassiner par d'anciens complices revanchards. Premier essai sur le souvenir transformé : 100 ans d'histoire nous sont narrés avec passion sur fond de critique du fascisme, le tout fleurant bon la chaleur et la Sicile. Les mots s'enchaînant sur un rythme berçant, et Akhénaton réussit à trouver exactement les sonorités attendues de l'auditeur… Le message passe parfaitement, et lorsque la chute arrive - attendue et inévitable - on a des images plein la tête et l'impression d'avoir visionné un excellent film. Une réussite.
Calme Comme Essence est, comme tous les titres de cet album, à écouter pour les superbes rimes et, justement, pour se relaxer…
Je Ne Suis Pas A Plaindre, lorsque l'heure est à la frime et à l'autosatisfaction chez les rapers, est vraiment bienvenu. Akhénaton raconte ses expériences et ses rencontres ici et ailleurs, pour distiller une fantastique leçon d'humilité :
"Il y a des soirs où je suis si malheureux
J'ai réalisé être un petit con capricieux
Steve, d'où tu es, je suis sûr que tu peux me voir
Ces mots sont à jamais pour ta mémoire…"
Une mélodie plus entraînante que les premiers titres, mais toujours mélancolique, et des lyrics de grande qualité…
Métèque Et Mat, au son plus lourd, et le premier titre revendicatif, critiquant le racisme à l'aide de métaphores pas toujours évidentes à décrypter, des triples jeux de mots et des rimes à raison d'une tous les trois mots ! Beaucoup d'humour aussi, le Sud reprend le dessus et la tradition de la castagne aussi… Mais sans oublier de dénoncer la violence.
Eclater Un Type Des Assedic est sans aucun doute le titre le plus drôle de l'album (et il n'y en a pas beaucoup) et critique l'administration et les fonctionnaires désagréables sur fond de cornemuse et de son de Street Fighter. L'occasion d'un défoulement avant de retourner à plus sérieux.
Avec Au Fin Fond D'une Contrée, on atteint des sommets. Sur une mélodie triste, et en faisant la parallèle avec les statues de l'île de pâques, AKH se souvient de son enfance et de ses amis qui ont tous sombré avec le passage à l'âge adulte, rattrapés par le destin. Une pointe de regret pour l'auteur qui s'en veut de n'avoir pas pu les sauver "Pourquoi suis-je devenu comme un souverain de l'île de Pâques ?", et se réfugie dans la mémoire. Peut-être le plus beau titre de l'album, avec un texte d'une beauté extraordinaire…
La Face B, en duo avec le rat de la FF, est complètement survolté, avec une basse assourdissante et AKH qui reprend le style de chant de "Je danse le MIA" pour un exercice de style à hurler tout seul dans votre salon quand vous connaîtrez les paroles. On réalise avec ce morceau à quel point la voix d'AKH convient à n'importe quelle occasion, et lui permet d'exceller partout, là où d'autres ne vont bien nulle part… A écoutez avant d'aller vous expliquer avec votre patron (si vous avez envie de lui coller une droite).
L'Américano, qui fut un tube il y a un certain temps, est clairement destiné à la danse, avec des paroles et un rythme entraînant, beaucoup d'humour et encore une petit couplet sur les origines. L'appel du grand large se fait sentir et fait planer, pour un titre gentiment critique à l'égard des ricains.
2 Pages de photos en noir et ocre, avant de passer à la deuxième partie…
Lettre Aux Hirondelles est un peu bizarre, et à mon avis s'éparpille un peu trop, avec un problème de compatibilité entre les paroles et la musique…
Avec Dirigé Vers L'Est, on plonge carrément dans le mystique : une parabole sur l'écriture, une mélodie étrange et inquiétante et des paroles complètement allumées, mais finalement très belles Allez, pour le plaisir, un extrait :
Abd-El-Hakêm, l'insecte
Apparaît à une époque où les divisions revendiquent être
La soixante treizième secte
Où les traditions sont soulignées, la communauté est vouée
Au néant, au grand malaise de l'exégèse
S'écroulant doucement comme le temple d'Ephèse
Messager de l'ombre car en latin Lucifer
Signifie celui qui apporte la lumière
Une nouvelle pause rigolade avec Je Suis Peut Etre, où AKH enchaîne la frime et l'autodérision :
"Dans les boîtes je me fais chier pour de bon
Je suis comme ET, je veux rentrer maison
(…) Mais putain qu'est-ce que je tue sur le micro !"
… Comique et pas si bête…
Bad Boys I et II sont sublimes (seul la partie II est ultra connue) et ont permis à la FF de se faire connaître. Pas besoin d'expliquer plus, vous êtes impardonnables si vous ne connaissez pas !
Prométhée retourne explorer les mythes de l'antiquité, et AKH nous offre une démonstration de son talent… L'histoire de Prométhée sur un album de rap, qui l'aurait cru. Une morale finalement très actuelle, une histoire bien construite, et des paroles qui pour le coup iraient bien dans un poème de Beaudelaire (si si j'vous jure). Les rimes ne sont plus alignées simplement 2 par 2 mais selon des shémas de plus en plus complexes. Démonstration (oui 1 couplet je me lâche mais c'est le dernier, promis !)
"Au début il y avait la terre, la mer et le ciel
Des forêts verdoyantes et des rivières de miel
Des fruits d'or poussaient sur les arbres
La vigne s'enlaçait discrètement
Sur des colonnes de marbre]
Où nichaient des oiseaux de toutes espèces
Dans un ballet sempiternel, c'était une pièce
Mise en scène par un maître parfait
Et dans ce tableau, l'homme fut élevé, on racontait
Que si l'Eden fut l'écrin de ce monde établi
L'humain devait être le rubis qui l'avait serti
Peut-être à sa première heure, lorsqu'il n'avait pas peur
Des choses qui meurent, le bonheur était
Une somme de choses simples d'une vie
Dans un état appelé harmonie
L'homme prospérait, le monde embellissait
Sous cette ère de paix le roi s'appelait Prométhée…"
OK ?
Un Brin De Haine est la seule chanson sur la banlieue, encore une histoire tragique, encore une morale unique et bienvenue, encore une réussite (mais y'en a tellement ;o) )
Je Combats Avec Mes Démons est un nouveau titre mystique, où AKH se dit possédé… Très efficace grâce à des paroles et un rythme proprement endiablés.
Je N'ai Pas De Face, qui clôt l'album, est le seul titre passé à la radio avec Bad Boys… Humoristique et sans aucun doute meilleur que les parodies de Disiz, mais incongrue quand on voit l'esprit de l'album. Un titre pour finir en tripant…