

J'ai hésité à publier là-dessus parce que le sujet est sensible et qu'en général on n'a pas trop envie de s'y confronter. Mais allons-y.
Les abus sexuels sur les enfants, selon les estimations les plus probables découlant des diverses études internationales les plus sérieuses, concernent environ 1 femme sur 4 et 1 garçon sur 6.
J'en fais partie.
J'ai nié cette réalité pendant 30 ans et je ne l'ai verbalisée, conceptualisée, assumée, que récemment en thérapie, ce qui arrive souvent. Statistiquement, sur un forum fréquenté par quelques dizaines de personnes, forcément certaines ou certains d'entre vous sont concerné/es aussi. Je tiens à préciser que je n'encourage nullement à la confession. Chacun/e fait comme il veut. En ce moment c'est important pour moi d'en parler, et si ça peut permettre à certaines personnes de se dire qu'elles ne sont pas si seules et isolées que ça dans leur parcours, ça ne peut être que bénéfique.
Le Berceau des dominations de Dorothée Dussy a été un déclencheur important. C'est une étude sociologique magistrale. Elle a étudié le sujet à fond pendant plusieurs années, sans idées reçues ni lieux communs, a analysé le phénomène de l'inceste et interrogé une vingtaine d'agresseurs sexuels pour comprendre les logiques sous-jacentes, ce qui donne lieu à des comptes-rendus d'entretiens saisissants, et sur lesquels il faut placer tous les trigger warnings imaginables.
Sa thèse (je vous divulgue la fin), c'est que dans la galaxie des rapports de domination qui traversent les sociétés et les époques (sexisme, racisme, lutte des classes, etc.) il y en a un qui est trop rarement interrogé et analysé parce qu'il génère un malaise universel, c'est celui des adultes sur les enfants, particulièrement celui des parents sur les membres mineurs de la famille. Il faut noter qu'on ne doit absolument pas réduire les abus sexuels sur mineurs à l'image caricaturale du père/grand-père/oncle sur une petite fille : les agresseurs peuvent être des agresseuses ou encore d'autres mineurs, et les victimes peuvent être des garçons, des tout petits enfants jusqu'à des adolescents. Ce qui est certain et que vous savez sans doute déjà, c'est que l'agresseur/se est rarement un étranger. La plupart du temps, les viols, les incestes et les agressions sexuelles surviennent dans le cercle familial plus ou moins élargi, et souvent perpétrés par des personnes que la victime aime profondément, ce qui complique encore la chose.
Pour Dorothée Dussy, l'inceste est la reine alien des rapports de domination, en cela-même qu'il est universel et placé sous le sceau du silence, de la honte et de la culpabilité. Pour elle, il est le résidu social/humain des rapports antagonistes qu'on constate entre adultes et petits dans le règne animal, et qui peut donner lieu à de la violence physique, de la soumission voire du meurtre. Chez les humains, cela se traduit en une domination d'ordre entre autres sexuel qui envoie le message implicite que les enfants sont "à disposition" des adultes, toutes les formes de disposition dont sexuelle. Je ne vous cache pas que la lecture est rude, frontale, mais aussi salutaire.
Le livre Guérir d'un abus sexuel de François Louboff aborde la question de la réparation. Toute la première partie du livre est très intéressante dans son analyse des conséquences physiques, psychologiques et sociales des abus sexuels sur mineurs. Les mécanismes psychiques à l'oeuvre sont bien expliqués. La seconde partie me laisse un peu plus circonspect car elle fait la promo des approches que pratique le psychiatre lui-même, à savoir hypnose et EMDR, sur lesquelles je nourris des doutes mais qui semblent obtenir des résultats pour soigner les syndromes de stress post-traumatiques qui sont monnaie courante dans de tels cas. Je ne m'interdis pas de les essayer, mais j'ai une méfiance.
N'hésitez pas à me MP si vous avez des questions à ce sujet et que ça vous gêne de les poster sur le forum. Je vous encourage aussi à écouter la série documentaire en podcast de Caroline Pothier 20 000 lieues sous ma chair, qui est extraordinaire :