FFVII Remake (qui en réalité n'est que la première partie d'un remake qui en comptera trois
) est un jeu qui souffre d'aérophagie, enrichissant Midgar de la pire façon qui soit : non pas en imaginant les secteurs non visités dans l'OG (on n'en voyait que 2 ou 3 parmi les 8), mais en délayant l'existant dans d'interminables couloirs. J'en garde le souvenir d'un jeu étriqué, contraint par des exigences contradictoires : extraire un jeu complet d'un arc qui faisait office de tutorial dans l'épisode d'origine, sans pour autant oser pousser les murs : le seul espace dans lequel le nouveau gameplay allait devoir se déployer, c'est celui de donjons rallongés jusqu'à l'absurde, culminant dans la séquence de l'ascension de la tour Shinra, qui à elle seule dure plus longtemps que toute la partie Midgar de FFVII (sans pour autant déborder d'enjeux narratifs nouveaux).
FFVII Rebirth fait péter toutes les cloisons. Pour autant, il ne soigne pas le mal initial, il est juste rempli d'un autre gaz, celui de l'open world. Sortons la sulfateuse.
L'espace y est organisé en chapelets : on y parcourt d'immenses zones ouvertes thématisées (une prairie, une jungle, un désert, etc), reliées entre elles par des goulets d'étranglements physiques (un donjon, un village) ou narratifs, à la manière de Xenoblade, en moins habité et spectaculaire. Pas de monstres gigantesques à l'horizon, pas vraiment d'horizon d'ailleurs, mais un terrain de jeu ubisoftisé, avec toute la morosité que ça implique : si un lieu d'intérêt est marqué d'une icône, alors une absence d'icône vaut pour une absence d'intérêt. Ce qui décourage toute velléité d'exploration, même si le jeu est plutôt joli et de bon goût.
C'est un open world daté et consternant. Tout juste pourra-t-on reconnaître à Rebirth de ne pas être le pire élève de sa classe (sur la quantité d'icônes il se montre plutôt réservé, et il tente maladroitement d'éditorialiser leur apparition), mais dès lors qu'on a compris qu'on ne tombera jamais par hasard sur un lieu secret, une cave à explorer, dès lors qu'on sait que nul mystère ne s'en exhale, il faudra se forcer pour ne pas aller d'un point A à un point B en utilisant le déplacement rapide, réduisant ces gigantesques espaces à de simples index qui auraient tout aussi bien pu être des menus. Pour achever ce qu'il pourrait rester d'immersion, le jeu affiche et maintient une checklist d'activités effectuées, et récompense par paliers sa complétion.
Les activités elle-mêmes - quasiment toutes optionnelles - vont du
okay-ish au franchement ridicule quand elles s'accompagnent de mini-jeux risibles d'inintérêt (ex : appuyer trois fois sur triangle pour analyser un réservoir à mako). On note qu'elles portent toutes leur propre aboutissement. En accomplissant toutes les chasses au monstre d'une zone, on fait apparaître son "monstre légendaire" qui, une fois battu, donne accès à une technique de cet ennemi. Explorer tous les sanctuaires d'invocation affaiblit la chimère de cette zone, qu'on peut plus facilement vaincre et capturer. Ce qui prouve que Squenix est conscient du problème et de la routine qu'il installe : il n'a juste pas vraiment réussi à le résoudre. Tout comme il tente d'inciter le joueur à explorer quand même via profusion de ressources à ramasser qui rajoutent une surcouche, vous l'avez deviné, de craft. Heureusement, elle n'est pas très invasive, même si nécessaire à quelques quêtes secondaires, et permet de se fabriquer, moyennant ressources, potions et équipement. En fabriquant des objets, on gagne des niveaux, qui permettent de fabriquer de nouveaux objets, qui permettent de gagner des niveaux, qui. Pourquoi je vous dis ça ? Pour introduire le fait que dans ce jeu, tout a un niveau. Vous avez un niveau. Votre équipe a un niveau. Vos objets ont un niveau. Vos materia ont un niveau. Vos armes ont un niveau. Signe que quelque chose progresse, mais ça a lieu dans tellement de menus différents qu'on a bien du mal à comprendre quoi. Le producteur dit avoir été marqué par The Witcher III. En effet.
Vous me direz, quoi de mieux qu'un système de progression confus pour accompagner des combats confus ? Là encore, pensez à Xenoblade (désolé de vous faire penser à Xenoblade si tôt dans la semaine, pensez-bien que ça ne m'enchante pas non plus) : chaque personnage se joue d'une façon qui lui est propre. Certes on remplit toujours des jauges en appuyant sur carré, mais la ressemblance s'arrête une fois celle-ci remplie, car elles ne seront pas consommées de la même manière. Je ne rentrerai pas dans les détails, mais sachez que si Clad et Tifa se jouent globalement comme Kratos, en appuyant sur Carré jusqu'à ce que
mort tendinite s'ensuive, Aerith peut poser des sceaux avec différents pouvoirs et s'y téléporter, et Red XIII propose un gameplay axé sur les contres, etc. C'est le seul aspect du jeu qui soit bien cuit. Il est très mal expliqué mais derrière ses atours de
button masher bas du front, il faut porter attention à son build et la composition de son équipe, sous peines de déconvenues robertpiresques à la moindre adversité.
Malgré tout, il souffre d'être à la fois un jeu d'action et un RPG. Du jeu d'action, il exige doigté et réflexes, esquives et parades en rythme - c'est pas Sekiro non plus - du RPG une dose de macro-management, il faut surveiller les jauges de ses équipiers, gérer leurs HP/MPs, passer très régulièrement de l'un à l'autre pour déclencher actions et compétences synchronisées (ne me demandez pas), d'autant que leur comportement n'est que marginalement configurable, comme si on contrôlait trois équipes d'un personnage plutôt qu'une équipe de trois. C'est une interprétation certes baroque mais sensée de l'ATB du jeu original - qui toutes proportions gardées hybridait déjà le tour par tour et la nécessité d'agir vite, mais la barrière à l'entrée est assez élevée, ce qui détonne quand tout le reste est à ce point consensuel.
A froid, on aura raison d'y voir un open world sommaire, aux charmes rapidement éventés, en guise d'écrin à un action-RPG qu'on pourra trouver passionnant, trop complexe ou boursouflé. Honnêtement conçu, respectant tous les canons des genres dans lesquels il s'inscrit, et s'il ne brille que rarement, il offre largement de quoi s'occuper, même si on n'est pas toujours sûrs de s'amuser. Ça donne envie hein ?
Reste que si le jeu n'est pas impeccable, en tant que remake, c'est
une tuerie
On pourrait bien être en présence du jeu qui coulera Square, en raison d'un modèle économique insensé, où le budget augmente tandis que l'audience se réduit (c'est un
remake, c'est un remake
en plusieurs parties, c'est un remake en plusieurs parties
sur plusieurs consoles), et d'une absence de concessions qui l'est tout autant. Quelques lieux ont été sacrifiés, mais l'essentiel a été plus que préservé, il a été enrichi comme on ne saurait en rêver. Je ne crois pas qu'on ait déjà eu droit à un remake à ce point conforme aux fantasmes qu'il porte. Toutes les villes ont été ré-imaginées, et ce nouvel écrin leur rend leur cohérence ensevelie sous les gravats de l'atroce traduction d'époque. On y rajoute des quêtes secondaires pas formidables mais qui au moins dépassent le stade de la simple
fetch quest, et une tonne d'activités annexes aussi affligeantes que celles du jeu d'origine (le Gold Saucer, c'est "
une dingz")
On s'imaginait bien que les courses de Chocobo portaient en leur sein la promesse d'un Mario-Kart like. Que Fort Condor pourrait faire un Clash-Royale correct. Mais pensait-on que le mini-jeu du dauphin deviendrait un Wave-race like (nul) ?
Que Red XIII jouant au foot à Costa Del Sol se traduirait en un simili-Rocket League (nul) ? S'ajoutent un jeu de cartes très sympa (et scénarisé) et ses variantes, un pseudo-Fall Guys (nul), un ersatz de Starfox (nul), du piano, une séquence de jeu de rythme, même la cueillette des champignons a son propre gameplay. Témoin de l'invraisemblable générosité du jeu, mais aussi de sa bonne humeur.
Il faut dire que le jeu original n'y est pas particulièrement sacralisé. Sans hommage dégoulinant de nostalgie, parfois presque parodique, et probablement stupidement meta (je m'attends à ce qu'il s'achève dans un
mindfuck affligeant), mais avec un amour sincère pour sa galerie de héros, ici magnifiée aussi bien en terme de caractérisation que de modèle 3D. Il y a bien quelques fautes de goût, certains passages sont devenus moins poignants (la prison de Corel, notamment), mais pour peu que l'on n'exige pas une fidélité 1:1, c'est une réussite éclatante, et toutes ces activités annexes nulles deviennent alors de formidables prétextes pour passer plus de temps avec eux. Aerith en particulier est devenu un personnage magnifique, presque une figure féministe tragique soumise aux injonctions quasi-patriarcales de sa fanbase d'incels.
Il y aurait beaucoup à dire de la crise d'identité qui traverse un jeu qui plie sous le poids de ses syncrétismes : il voudrait être Xenoblade, il voudrait être Yakuza, il voudrait être Uncharted, il voudrait être Assassin's Creed, il voudrait être The Witcher. Plus exactement, il se doit de l'être, parce que pour rendre son budget soutenable, il doit s'adresser à tous les publics possibles. Dès lors, difficile pour le joueur de ne pas être mitigé, quand la mitigation est l'incipit même de son game design. On a aussi parfois l'impression d'un jeu
back by popular demand, qui préfèrerait ne pas exister et qui ne sait pas bien qui il devrait être (à l'image de son héros héhé). Je pense qu'en tant que démarche, cette entreprise de remake va marquer l'histoire du médium, mais pas forcément de la bonne manière (plutôt Heaven's Gate que Star Wars
), symbole d'une impasse économique et signe que certains rêves ne sont pas faits pour être réalisés. La série est vieillissante, sûrement pas suffisamment porteuse pour exister dans le champ du AAA, en tous cas pas sans subir une mutation existentielle vers l'open world total, comme Zelda ou Elden Ring. Ironie du sort, ce "grand jeu écologiste" va devoir choisir entre la décroissance et le techno-solutionnisme.