Pour moi la vraie claque de BotW était la possibilité d'aller partout, genre vraiment partout. Escalader les maisons, aller au sommet de n'importe quelle montagne. Aucun Open World n'avait jamais fait ça, aucun développeur ne m'avait paru assez "sûr de lui" pour vraiment tout permettre en gardant un jeu cohérent.
Oui, c'est ce que j'entendais par "open world sensible"

Où tout est conçu pour que l'on veuille se rendre vers la prochaine montagne plutôt que vers la prochaine icône.
C'est peut-être une limite de BotW, le prix à payer de cette liberté pour les développeurs, c'est limiter leur influence et leur interdire quelque part de raconter et développer une histoire comme ils voudraient. On finit par avoir une impression de bac à sable incroyable mais que tu vas forcément payer quelque part ailleurs dans le game design.
(Tears of the Kingdom démontre malheureusement que cette structure-là ne les empêche pas de raconter une histoire (nulle)).
Pour moi, la limite de BOTW, c'est que son ouverture totale, censée venir à rebours de la tendance au cloisonnement dans laquelle la série s'enfermait, a accentué son autre défaut : la difficulté à récompenser correctement le joueur pour ses efforts, comme l'expliquait déjà à l'époque
ce papier sur Minish Cap :
Comme ses compagnons d’infortune, Link est immortel. Et comme tous les immortels, Link n’attend même plus. Il est. Ce n’est pas grand-chose et c’est déjà beaucoup trop. Il ouvre un premier coffre. C’est un rubis. Il vaut vingt roupies. Il y a plusieurs types de coffres. Beaucoup renferment des bombes, des roupies, ou des clés. Certains renferment des quarts de coeurs, dont il n’a pas vraiment besoin. Au bout du quatrième quart de cœur, Link se sent plus fort. Cela ne signifie pas qu’il est plus capable. Simplement qu’il est plus résistant. Mais dans un jeu aussi facile que The Minish cap, à quoi pourrait bien servir un nouveau coeur ?
Seulement, les anciens Zelda ont pour eux cette structure labyrinthique qui nous piège cognitivement : dans un cas comme dans l'autre, il n'y a que des rubis au bout du chemin. Mais dans un vieux Zelda, vient la satisfaction d'avoir dans le même résolu une énigme. Il ménage mieux les promesses qu'il ne tiendra pas. Avant Breath of the Wild, la série ressemblait à une chasse aux oeufs de Pâques. Certes c'est du chocolat au lait dégueulasse, mais on s'est bien amusés à les chercher dans le jardin. Maintenant, c'est un réveillon de Noël, où l'on se rue de cadeau en cadeau pour pousser un soupir de déception au moment d'ouvrir le dernier.
Ça ne m'a pas dérangé à l'époque de BOTW car le suspens de ce nouveau
game design dissimule suffisamment longtemps les déceptions qu'il prépare. Et puis le voyage qui prime sur la destination, quelque chose comme ça. Au bout d'un moment, le terrain de jeu commence à ressembler à une série d'instances, d'activités que l'on peut ranger en catégories comme dans le plus affreux des Assassin's Creed. Ce n'était pas encore très grave, car il y a eu tous les moments avant celui-là. Et parce que le jeu, à mon avis justement parce que plutôt vide, parvenait à exister entre ses activités, comme déambulation solitaire.
Mais je ne crois pas que les principaux problèmes de Tears of the Kingdom viennent de sa structure en open world. C'est plutôt qu'en réponse au prétendu vide de son prédécesseur, il est gorgé d'activités itératives et quantifiables, de ressources qu'on accumule comme autant de serpents qui se mordent la queue. C'est un jeu qui dégueule son économie au visage du joueur : je veux construire un véhicule (enfin, il paraît). Il me faut des cellules des batteries pour l'utiliser. Il me faut du minerai pour obtenir des batteries de cellule. Il me faut des armes pour extraire du minerai. Il me faut combattre pour trouver des armes. Il me faut de l'équipement pour pouvoir combattre. Il me faut des ressources pour améliorer mon équipement. Il me faut explorer pour obtenir des ressources.
OK, et si je n'ai pas spécialement envie de construire un véhicule ? La bulle éclate.
Moi, je voulais juste explorer pour explorer. Ce qui suit est exemplaire de ce que je reproche au jeu. Hyrule est désormais traversé de grottes et cavernes. Cool, c'est exactement ce que je réclamais après BOTW. Mais au bout d'une ou deux, on comprend qu'elles ne raconteront rien, qu'en fait de promettre d'exaltantes aventures souterraines, elles offriront des récompenses qui sont toujours les mêmes. D'ailleurs y a même une coche sur la carte quand elle est complétée. Tellement nombreuses et anonymes qu'elles auraient pu être générées procéduralement. On en ressort non pas avec la sensation de les avoir explorées, mais de pouvoir les barrer de la liste avant de passer à la suivante.
(pour être honnête, ça n'est pas la plus grande déception que le jeu réserve. Mais ça serait spoiler que de parler de l'autre, et elle est de la même nature, juste d'une toute autre magnitude)