Alors, t'as aimé la fin ?
Legend of Mana (PS1, puis Switch/PS4/PC)
La série des Mana s'était jusque-là satisfait d'une certaine simplicité. Des règles de jeu pas bien compliquées et une certaine linéarité (même si le premier était un Zelda-like), dont le rôle premier est de ne pas se mettre en travers des qualités dites "superficielles" du jeu (en particulier, les graphismes et la musique), chargées d'en sceller l'identité. Legend of Mana accepte cette partie de son héritage, je ne crois pas qu'il y ait eu beaucoup de jeux 2D plus beaux que celui-là et la bande-son est encore une fois magnifique, même si parfois plus épique qu'elle ne devrait l'être. En revanche, s'il y a quelque chose que ce jeu n'est pas, c'est : "simple".
Pour des raisons scénaristiques qui me dépassent un peu, les différentes régions du monde sont enfermées dans des artefacts, artefacts que l'on récupère au cours de certaines missions. Et le joueur choisit ensuite où il déploiera l'artefact reçu, composant à sa guise la carte du monde. La boucle est ainsi la suivante : on installe un nouveau lieu à partir d'un artefact, on s'y rend, ce qui active une quête, on l'achève, on récupère un nouvel artefact grâce auquel on installe un nouveau lieu, etc. Comme on peut l'imager, en résulte une narration fragmentée, sans grande histoire mais articulée autour de trois arcs principaux, sachant qu'il suffit d'en terminer un seul pour pouvoir accéder à la fin du jeu.
Premières complications : ces arcs sont conduits un peu au hasard, s'achevant provisoirement pour reprendre quelques artefacts - et quelques heures - plus tard, et s'activent selon des conditions un peu aléatoires et difficiles à lire. Les autres quêtes, optionnelles, se déclenchent aussi un peu au pif au gré de nos pérégrinations. Jusqu'à un certain point, ça récompense la curiosité du joueur et son investissement, mais le jeu prend vite des proportions décourageantes, d'autant que les donjons sont d'épouvantables labyrinthes où tous les écrans se ressemblent, où aucune carte n'est fournie, et où les combats, particulièrement désagréables car heurtés et imprécis, s'enchaînent à un rythme difficilement supportable, à tel point que la nouvelle version permet de les couper (mais si on veut l'XP, on est bien obligés d'en faire quelques uns).
Envolé donc, le plaisir du voyage, rouage essentiel à la série, où les combats n'étaient qu'une distraction d'un paysage à l'autre, entre musique et la suivante. S'y substitue cette logique d'instances, qui n'a pas que des inconvénients : l'histoire du jeu, ou plutôt son cadre, s'offre par bribes, et le joueur avance tel un anthropologue, cherchant les liens que tissent toutes les histoires qu'on lui raconte. Ça a son charme, dommage que d'y naviguer soit aussi fastidieux : le problème du jeu, foncièrement, ça n'est pas qu'il est cryptique, c'est qu'il est laborieux. Tant que l'on accepte qu'on ne verra pas tout, et qu'on se contente d'accomplir les quêtes que l'on croise, et celles que l'on trouve, il fonctionne plutôt. Mais on finit par se lasser de piétiner aussi souvent, de faire autant d'aller-retours sur la base d'intuitions non récompensées. On tombe alors dans l'écueil du jeu difficile à faire sans soluce, et qui perd tout son intérêt avec.
Le contenu des quêtes n'est pas bouleversant en soi. Mais elles ont le mérite de ne pas être de vulgaires
fetch quests, et surtout, elles surprennent par un niveau de langue (exceptionnelle traduction française

) et des thématiques qu'on ne pense pas trouver dans un jeu de ce genre. Leur forme m'a fait penser aux nouvelles de Kenji Miyazawa, des histoires (très) courtes, parfois drôles, parfois cruelles, toujours étranges, qui ne se concluent pas toujours comme on l'attend, et qui parfois ne se concluent pas du tout. On y apprend
la langue des dudbears pour pouvoir leur vendre des lampes, on traverse un charnier de peluches mortes à la guerre, et on accompagne l'introspection d'un enfant mi-humain mi-tourne-disque dépressif qui souhaite se rendre en enfer. C'est peut-être là que se situe le twist du jeu, le concept derrière le concept : l'action-RPG bancal et laborieux s'est révélé être un charmant recueil de poèmes, dont on a déchiré certaines pages.
(Je vous épargne le paragraphe sur les autres complexités du jeu, celles qui font qu'on ne peut pas simplement capturer un monstre pour l'emmener au combat, mais qu'il faille en capturer un oeuf, attendre son éclosion, nourrir la bestiole et la faire paître jusqu'à ce qu'elle vous aime bien. Celles qui font qu'on ne peut pas simplement apprendre un sort mais qu'il faille charmer en élémentaire en lui jouant de la musique, en ayant pris soin de choisir 1) l'instrument 2) le type de musique 3) entre la mélodie et l'harmonie. Celles qui font qu'on peut se construire un golem mais que je ne vais même pas pouvoir vous dire comment le manuel d'instruction fait dix pages)