Ce que vous ne trouverez pas dans le texte ci-dessous :
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La magie Naughty Dog opère toujours sur moi, à savoir que malgré ses innombrables problèmes, je ne risque pas d'oublier de sitôt mon expérience
The Last of Us : Part II.
Malgré des origines et des ambitions communes (en premier lieu, celle de "cinématiser" l'expérience de jeu)(ou "d'interactiviser" l'expérience cinématographique, allez savoir), le jeu tient pourtant sur l'équilibre inverse de celui d'
Uncharted : c'est à dire qu'il brille par son
gameplay mais pêche par son rythme.
Déjà, le jeu est trop long. Ça ne m'a pas dérangé et on doit pouvoir défendre le point de vue selon lequel cette pénibilité sert le propos, il n'en reste pas moins que, factuellement, les objectifs sont souvent les mêmes (
"vous voyez cette colline ? allez voir là haut si j'y suis"), et les chemins qui y mènent toujours plus ou moins séquencés de la même manière. Et chacune des scènes du jeu rentrera dans une des catégories suivantes : "infiltration contre des infectés"/"infiltration contre des humains"/"déambulation trankilou tkt la voie est libre". Ce qui pose deux problèmes, surtout quand on vise à ce point l'immersion :
1) ces coutures très saillantes crient JEU VIDEO à chaque instant, et croyez bien que si pouvais le mettre en gras rouge clignotant et défilant d'un bout à l'autre de votre écran je le ferais sans hésiter.
2) Même au sein d'une scène dite "de tension", un signal diégétique viendra vous signifier que l'ennemi que vous venez d'éliminer était le dernier, c'est bon coco plus la peine de ramper sus aux tiroirs.
Tout ça pour dire qu'on aura du mal à donner tort à quelqu'un qui affirmerait qu'"on y fait tout le temps la même chose, et qu'on le fait bien trop longtemps". On pourrait lui répondre, persuadé de l'avoir bien mouché, que
"ouais, comme dans n'importe quel autre jeu vidéo, quoi", mais on risquerait alors de réaliser que c'est la vérité.
En revanche, le gameplay est très solide. Il fait un usage très raisonné des arbres de compétences, les arènes dans lesquelles on se meut sont assez vastes et bien conçues, la topologie et l'arsenal à notre disposition permettent une grande variété d'approche, et puis le jeu y est pour le coup parfaitement immersif, ne tombant pas dans l'écueil de bien des jeux d'infiltration dans lesquels la solution émergera à force d'erreurs, tout simplement parce que l'erreur est autorisée et les solutions de repli nombreuses. Outre l'absence de frustration pour le joueur, ça participe de la sauvagerie et de la brutalité ambiante : Ellie n'est pas l'agent 47, c'est une gamine de 18 ans en territoire inconnu, qui doit composer avec un équipement de fortune, alors on fait comme elle : on improvise.
Et j'ai moins tiré de fierté lors des quelques rares séquences franchies en "
silent assassin" que lors de celles dont je me suis sorti à l'arrache, la jauge de vie dans le rouge et en ayant epuisé mon stock de cocktail molotov, après m'être fait repérer dix fois et avec une précision au tir digne d'un
stormtrooper. D'autant que la difficulté s'en trouve "diégétisée". La sanction d'un segment mal géré n'est pas le
game over, mais un stock de ressources appauvries pour quand viendra le suivant, et on le reconstituera son stock lentement, d'épreuve en épreuve, au forceps. Le
gameplay porte formidablement bien le sentiment d'urgence qu'exige une telle situation, dans son jeu de règles comme dans son rendu : le poids des corps, la qualité du design sonore, et les légers effets graphiques qui accompagnent un mouvement de fuite ou une blessure par balles. C'est un sacré accomplissement, dans son sens le plus littéral : on a vraisemblablement le sentiment que quelque chose vient d'aboutir, qu'on touche au Graal d'une forme de réalisme dans les affects produits.
En parlant de difficulté, le jeu en fait quelque chose qui devrait faire école, en proposant une multitude de réglages, certains répondant à des exigences d'accessibilité pour qu'il soit "compatible", si je puis dire, avec un maximum de pathologies et de handicaps, et d'autres dédiées au réglage d'un certain nombre de paramètres. C'est un prolongement de ce que proposaient les Silent Hill, où l'on pouvait régler indépendamment la difficulté des combats et celle des énigmes. Ici on choisira la rareté des ressources, la résistance des ennemis, leur champ de vision, et tout un tas d'autres trucs. Chacun pourra donc paramétrer assez finement son expérience, et quelqu'un qui se sait mauvais tireur mais qui aurait quand même envie de vivre le frisson d'être toujours en galère pourra affaiblir l'adversité tout en diminuant les ressources disponibles. Les modes de difficulté habituels ne sont finalement que des propositions de paramétrages adaptées au plus grand nombre.
(Le jeu a d'ailleurs connu un patch rajoutant un mode réaliste, où l'on peut paramétrer les conséquences d'une mort : début de chapitre, début d'acte, début du jeu)
Scénaristiquement, je suis de ceux qui pensent qu'une suite à
The Last of Us était inutile, et si je suis très heureux qu'elle existe, cette deuxième partie ne m'a pas totalement prouvé le contraire. Il faut dire que ce que j'avais préféré du premier épisode, cette déambulation mélancolique au travers d'une Amérique en lambeaux, n'est quasiment plus présente ici. On ne s'autorise la mélancolie qu'en flashbacks, on ne déambule quasiment jamais, et de l'Amérique on ne verra que Seattle (et le choix de l'unité de temps et de lieu n'est pas l'aspect le plus décontenançant du scénario). Le jeu a d'ailleurs le courage de tenir la note jusqu'à la fin, il veut t'étourdir, pas te dépayser, et la lumière y sera rare, tamisée, lointaine, peinant à percer les pluies torrentielles qui submergent l'écran.
(Sérieux, il pleut tout le temps, wolah c'est plus un jeu d'infiltration c'est un jeu d'infitlrations).
Et là aussi je suis un peu partagé. Car je ne suis pas sûr que cette histoire n'ait pas déjà été racontée, pas sûr non plus qu'elle n'ait pas déjà été
mieux racontée. Je pense aussi qu'elle aurait pu être racontée plus vite. Et puis, je l'avoue, j'ai du mal à ne pas voir dans une telle débauche de moyens, pour raconter quelque chose d'aussi "petit", d'aussi violent aussi, un peu de vulgarité. Cela ne me pose pas de problème dans l'absolu, et ça ne m'aurait pas posé de problème s'il s'agissait d'un film, seulement les films ont déjà su consacrer de tels budgets à d'autres types de sujets. J'ai lu une phrase qui résumait bien mon sentiment :
"dans un média où tout n'est que "John Wick", the Last of Us : Part II ressemble à "La Liste de Schindler".
Et comme souvent avec les jeux Naughty Dog, l'examen froid et théorique de ses défauts ne survit pas à la pratique. Je mentirais si je disais que je n'avais pas été marqué par ce jeu comme j'aimerais l'être par beaucoup d'autres, que je n'ai pas été sensible à cette noirceur absolue, qui se fout bien d'être complaisante. Ce pourrait être l'histoire d'une descente aux enfers si le jeu n'y débutait pas, et il faut savoir rendre grâce à un scénario qui ne cherche pas à situer ses personnages sur un échiquier moral, et qui n'en tirera aucun suspens. Là où le premier épisode laissait malgré tout filtrer de l'ambiguïté ambiante l'ombre d'une juste cause, ici tout n'est plus que rage, solitude et douleur, et il est assez rare de voir dans un jeu le joueur peiner à ce point à se montrer aussi abject que le personnage qu'il incarne.
Une note d'espoir toutefois, dans le futur de The Last of Us, les gens jouent encore à la PSVita.
La différence Naughty Dog, et leur immunité critique peut-être un peu aussi, vient du fait qu'ils ne consacrent pas tout leur fric à la même chose que la concurrence. Pendant que d'autres investissent sur des aires de jeu toujours plus grandes, sur des
gameplays toujours plus riches, eux investissent les intérieurs, parfont les modèles physiques (y a le budget d'un ou deux jeux vidéo juste dans la manière dont les cordes s'enroulent et se déroulent), soignent les visages. C'est que leur priorité est intime, et que le tourbillon de la vengeance que dépeint le jeu les intéresse moins pour les vérités définitives sur la nature humaine qu'on espère trouver, que pour le portrait désespéré qu'elle trace des deux âmes qui s'y noient.
