Un grondement sourd à peine rythmé par les pas de Canto embrumait St Nazaire. Celui-ci sourit, sans trop savoir pourquoi, à une vieille dame qu'il croisait. Il leva la tête, rêveur, et observa les nuages... celui-ci ressemblait à une rose. Celui-là à un coeur... Après avoir longtemps marché, il arriva enfin devant la maison.
Il frappa énergiquement. Des pas se firent entendre, et une charmeuse voix chanta:
- Qui est là?
- C'est Canto! Répondit celui-ci.
- Je ne connais aucun Canto! Dit la voix.
Il y eut un silence.
- C'est toi, Odette? Fit Canto.
La porte s'ouvrit soudain:
- Mais oui c'est moi, mon Canto! Je t'ai bien eu.
Il allait protester, mais elle ne lui en laissa pas le temps:
- Entre, dit-elle.
Arrivé au salon, Canto s'assit dans un fauteuil et soupira. Mais soudain, Odette se jeta sur lui. Sans qu'il n'ait eu le temps de réagir, elle l'embrassa fougueusement. Cela dura longtemps. Canto sentait son coeur battre la mesure de cette musique silencieuse... Cela était doux, comme à chaque fois. Cela n'en finissait plus... jusqu'à ce que les lèvres de Odette se détachent, pour glisser dans un souffle imperceptible:
- Tu m'as manqué...
Puis Canto approcha sa bouche de l'oreille de son amie et chuchota quelque chose d'imperceptible. Soudain, une larme coula sur la joue de Odette.
- Moi aussi, je t'aime, dit-elle.
- Cela ne fait qu'une semaine que je t'ai rencontrée, bien que j'aie eu d'autres aventures avant de te connaître, je t'aime cent fois plus que toutes les autres femmes réunies.
- Il en est de même pour moi, mon chéri, déclara Odette. Personne ne pourra remplacer ton sourire si enjoleur. Tu es unique, grâce à plein de petites choses. Personne n'a ta démarche, Personne n'a tes cheveux. Personne n'imite aussi bien que toi le labrador qui aboie. Personne ne connait l'histoire de St Nazaire aussi bien que toi. Personne à part toi ne m'a jamais dit que j'étais divine. Bref, personne à part toi ne mérite d'être dans mon coeur.
- Embrassons-nous encore... souffla Canto.
Ils s'embrassèrent donc. Au loin, on entendait ''Papayoulélé'' de Carlos. D'où cela venait-il? Quelle importance, du moment que c'était là. Bientôt, la musique, l'amour, les entraînèrent dans un tourbillon sans fin. Il n'y avait plus de plafond, plus de mur. St Nazaire était loin. Ils virent passer un cerisier, au dessous d'eux. Puis deux. Maintenant, ils étaient sur la mer. Ils frissonnèrent... était-ce le vent qui s'était levé et qui faisait frémir un peu leur peau? Quelques nuages voilèrent le ciel. A mesure que les notes s'envolaient, la musique devenait de plus en plus belle, et le ciel de plus en plus gris. On se serait cru dans un tableau de Picasso. Des larmes de joie dans la voix, la musique jouait. Quelques gouttelettes de pluie vinrent alors troubler cet océan, tels des pizzicatos que le vent sifflant emportait au loin avant de les renvoyer à la figure des amoureux. Après quelques instants les gouttes grossirent, s'écrasant lourdement sur la surface de l'eau. Odette, que la folie saisissait, se voyait rêver au milieu des éclairs... Plus la musique jouait plus le temps s'agitait, plus le ciel s'assombrissait, plus les vagues grandissaient, se brisant bientôt contre leurs pieds dans une explosion d'écume crépitante, poussées par des bourrasques assassines... leur baiser dansait sur cet air tourmenté, cet océan symphonique, cet opéra dramatique, les vagues étaient à présent immenses et la pluie tranchait le ciel plus sombre que la plus noire des nuits, c'était affreusement grand et terriblement beau, si beau que ça faisait mal, la musique hurlait sa douleur, de plus en plus fort, les notes tourbillonnaient, le vent devenait tornade, les vagues devenaient rouleaux, les amants tournoyaient, autour de leurs bouches, autour de leurs mains... et tout s'arrêta soudain.
- Odette...
- Oui?...
- Odette... veux-tu m'épouser?...
- Oui... fit-elle doucement.
Toute la nuit, ils restèrent enlacés, à parler, ou à s'embrasser.
- Je t'ai déjà parlé de Marius? Demanda Canto.
- Non.
- Il m'a dit un jour que je ne pourrais jamais séduire qui que ce soit, même une folle.
- Il ne faut pas écouter ce genre d'idioties... comment pouvait-il te dire ça, à toi, qui es si... viril!
- Tu ne le connais pas. Sa bêtise dépasse l'entendement.
- Je veux bien te croire!
Puis ils se promirent de s'aimer éternellement, et l'éternité commença pour eux.
