Sinon, l'autre soir je suis tombé sur Incassable (*insert an urba-joke here*), que je n'avais pas revu depuis sa sortie ciné. A l'époque, je pensais avoir vu un très bon film, Dieu que j'avais tort : c'est en fait un authentique chef d'oeuvre. La mise en scène semble extrèmement précise, extrèmement pensée (voire même, "trop" pensée, ostensible jusque dans sa discrétion). J'ai rarement redécouvert un film de la sorte. En tous cas pas dans ce sens

Citons l'excellente critique de beyonder, que j'aime et qui me manque.
Détail rigoulo, le panneau introductif qui t'explique ce qu'est un comic bookArgh ça me sidère qu'on puisse limiter Incassable à son twist (tout comme sixième sens cela dit) Mais dans le cas de Incassable, le public s'est tellement focalisé sur le retournement final tant attendu qu'il est totalement passé à côté du reste.
Et le reste, c'est ni plus ni moins qu'une pure merveille de cohérence et d'inventivité au niveau de la mise en scène. Une richesse symbolique rarement égalée au cinéma et une pluralité de thèmes qui en font une oeuvre captivante. On pourrait en tartiner des heures, j'ai lu des critiques qui m'ont fait prendre conscience de jeux d'analogie proprement déconcertants.
Car avec Incassable, on n'est pas dans le fantasme puéril du super-heros deus ex machina qui intervient à l'ultime moment, cape au vent et muscle en saillie pour sauver l'innocent à grands renforts d'effets spéciaux numériques. Shyamalan court le risque de frustrer en permanence son audience, tout comme il s'escrime avec une savante minutie à tisser une toile complexe de relation entre ses personnages par le jeu de sa caméra, les effets de travelling et les plans fixes qui soulignent la solitude de Dunn ou de son épouse. Et puis il y a cette ambiance lourde, sombre, traitée avec minimalisme qui nous fait ressentir toute l'inéluctabilité du héros porté par son destin.
Bruce Willis campe Dunn, un homme fragile en apparence, peu sûr de lui, qui se sait pourtant doté d'un pouvoir dont il n'ose concevoir la puissance. Hanté par un passé qui l'a meurtri, il se traîne dans une famille qui bat de l'aile. Son couple est moribond, son fils lui en veut de ne pas être un modèle (au point de le menacer avec une arme.) Plus que l'antihéros traditionnel qui abrite son secret derrière une maladresse de façade, Dunn est l'incarnation de l'américain lambda. Le type qu'on croise et qu'on ne remarque pas. Un homme au potentiel gaché comme il en existe partout et qui sait au fond de lui, qu'il vaut mieux que ce qu'il est. D'où son insondable tristesse.
L'opposition entre Dunn et Elijah dépasse l'évidence de leur particularité physique. Plus que son ennemi, Elijah est son révélateur. C'est l'appel à sa conscience qu'il ne peut plus ignorer. Lorsque votre âme vous hurle de briser les liens de votre esprit et vous somme de vaincre cette peur panique qu'ont tous les hommes de leur liberté. Dunn ne s'estime pas digne. Il nie sa vérité et oblige Elijah à le confronter à son expérience personnelle. Elijah, geek ultime, dont le seul but de la vie est de trouver celui qui donnera un sens à son infirmité. Là encore, l'humain qui lorgne vers le démiurge pour mieux assumer les motifs de sa vulnérabilité. Et il y aurait encore tant à dire.
Et si vous n'êtes pas convaincu, voyez rien que la scène hallucinante de la gare en plan séquence avec la musique de James Newton Howard qui monte crescendo dans l'intensité sonore, lorsque Dunn frôle les gens autour de lui et s'empare de leur secret afin de se libérer de ses propres démons.
Chef d'oeuvre, je vous dis.

