Enfin vu le
Fils de Saul, et
easy, il se classe (en retard) sur mon podium 2015
C'est le débat connexe à ce film : comment montrer l'inmontrable au cinéma, comment peut-on filmer avec dignité la Shoah, un génocide, ou un match de l'OM ? Laszlo Nemes (disciple de Bela Tarr, et ça se voit) apporte ici une réponse ingénieuse techniquement.
« C'est flou ! M'enfin c'est flou ! Dites à l'opérateur de faire le point avec son objectif ! ». Mais non, chère voisine de siège, c'est flou et c'est normal. Ce n'est même pas pour faire style, pour se la raconter
shoah-post-atmosphérique-by-Sofia-Coppola, c'est pour suggérer la monstruosité du crime, comme on ne montre jamais totalement un monstre dans un film d'horreur ou Franck Ribéry dans un match. Parce que l'horreur est bien plus frappante lorsqu'elle est suggérée ou hors-champ.
La caméra est donc vissée à la tête du héros Saul, ne suivant quasiment que son visage en plan-séquence tout au long du film, avec une très faible profondeur de champ. Saul est un Sonderkommando, c'est à dire un prisonnier chargé des basses besognes dans le camp. Pour vous donner un ordre de comparaison, le film ressemble davantage à Germinal qu'à la liste de Schindler, dans le sens où Nemes cherche moins à interpeler notre humanité qu'à reconstituer l’ingénierie mortifère des nazis, avec, à la place du charbon (et de Renaud), des cadavres flous (et sobres).
Nous allons donc "voir" (oui, c'est flou je vous rappelle) étape par étape, toute la chaine de l'abattage du juif : son arrivée à l'usine, son tri, sa mise à la douche, son empilage, son incinération, la dispersion de ses cendres. Tout est méthodiquement mis en scène, si bien que, si on est myope, fan de Dieudonné ou militant EELV, on ne peut que féliciter les allemands, génies du recyclage et du tri sélectif avant l'heure.
Il est difficile d'expliquer le scénario, car il parle de l'intime dans un monde de folie, et il est impossible pour nous de comprendre comment l'humain fonctionne dans un tel degré d'inhumanité, et il est impossible de s'identifier comme on le fait avec les ficelles habituelles d'un scénar. De manière descriptive et aussi factuelle que possible, le film tâche de reproduire le quotidien d'hommes embarqués dans un enfer inimaginable, des hommes qui cherchent, par on ne sait quels réflexes, quelles ressources, à survivre un jour de plus, et à donner du sens à cette survie. Car à quoi bon survivre là où toute humanité s'est éteinte ? Là où la moindre trace d'existence est réduite en cendres, oubliée de tous, là où même après la mort, les corps n'ont pas droit au repos ? Alors certains tentent de photographier l'horreur, pour qu'au moins, un jour, on sache ce qu'ils ont vécu (le film retrace notamment la genèse des
4 photographies prises au Crématorium) ; d'autres ont encore la force d'essayer de se révolter. Saul, lui, se cherche une descendance : ce sera ce garçon, qu'il a failli sauver du zyklon. Il sera ce fils qu'il n'a jamais eu, et tel Antigone, il va chercher à l'inhumer dignement.
Je vous le conseille vivement

(et j'ai moins souffert que devant OM-Lille

)