Moi je vous propose, avant de vous endormir la lecture d'une thèse fort interessante :
Thèse 12ème : de la condition peu enviable des vendeurs de bouchons de liège à la criée
Cette thèse va tenter de traiter de l'épineux problème des vendeurs de bouchons de liège à la criée, métier qui a presque disparu aujourd'hui.
Après une période faste (appelée à juste titre l'Age du Liège) dans les années 70, la profession de vendeur de bouchons de liège à la criée a vu avec le début des années 80 l'installation d'une gigantesque crise. Après avoir rappelé brièvement l'origine de cette activité, nous verrons quelles furent les causes de sa chute, puis nous en étudierons les différentes répercussions sur le cours de l'humanité.
La vente de bouchons de liège à la criée apparut à la fin des années 60, sous l'impulsion du mouvement hippie, courant d'idée féru de pacifisme et de musique douce. L'idée première de la vente de bouchons de liège à la criée était de créer un espace de liberté, une sorte de forum moderne où serait favorisé le brassage des ethnies et de leurs cultures, tout en offrant aux citoyens du monde entier la possibilité non négligeable de se fournir en bouchons de liège, denrée véritablement représentative d'une époque qui privilégiait l'apparition de nouveaux courants de pensée, une époque caractérisée par une grande ouverture d'esprit. Cependant, et conformément au vieil adage populaire, les meilleures choses ont une fin.
Les causes de la crise.
Comme il est habilement rappelé plus haut, le mouvement du Flower Power eut une grande influence dans l'essor que connut la vente de bouchons de liège à la criée, et il était aisé pour tous les observateurs socio-économiques de prévoir que le lent déclin de ce mouvement entrainerait inéxorablement une perte de vitesse dans ce secteur de l'économie. Effectivement, les adolescents boutonneux, aux longs cheveux et aux yeux rougis par la consommation excessive de bouchons de liège, sont devenus des pères de famille respectable, et ils se désintéressent progressivement de leurs premières amours. Tout au plus subsiste-t'il quelques irréductibles aficionados qui perpétuent la tradition de la vente de bouchons de liège à la criée, mais leur faible nombre et l'opinion publique de moins en moins favorable les poussent à la clandestinité. La vente de bouchons de liège à la criée se fait désormais sous le manteau, ce qui donne lieu à des scènes cocasses, mais dont la discrétion laisse plutôt à désirer. Le plus célèbre de ces derniers vendeurs est le révolutionnaire gascon Fernand Machette, dit El Boucho, qui écrira, peu avant de mourir d'un cancer rectal dans les terribles geôles turcques : "Nous étions les initiateurs d'un renouveau qui aurait pu faire évoluer la société vers la pureté infinie, mais nous nous sommes heurtés à l'incompréhension et à l'immobilisme d'un monde fossilisé". Il n'avait pas tort, le bougre. Le monde moderne a peur de ces bouchons de liège vendus à la criée qui mettent en péril tout l'édifice institutionnel. Car le monde a évolué vers le capitalisme féroce, et cette nouvelle façon de vivre va amener avec elle toute une cohorte de bouchons en plastique vendus en grandes surfaces climatisées, bouchons n'étant rien de moins que les instruments des ambitions mégalomanes des grandes puissances occidentales (à commencer par les Etats-Unis, où une véritable chasse aux sorcières s'installe et punit très sévèrement ceux qui sont surpris à vendre des bouchons de liège à la criée). L'avancée capitaliste est inéxorable et l'artisanat se meurt peu à peu. Le coup de grâce est porté à la profession le 18 avril 1984, avec ce que l'on a appelé le BouchonGate. Un complot, mené conjointement par le FBI et le KGB (on le sait aujourd'hui grâce à la publication des archives de l'Europe de l'Est) introduit sur le marché clandestins des bouchons de liège industriels réalisés à partir de croûtes de lépreux génétiquement modifiées, et une équipe de soi-disant journalistes à la solde du gouvernement (qui a dit pléonasme ?) s'arrange pour que l'affaire éclate et fasse grand bruit. La manipulation des masses est telle que bientôt la vente de bouchons de liège à la criée prend des allures diaboliques aux yeux du grand public. Le gouvernement peut à loisir faire subir une oppression sans précédents aux derniers clandestins, car le peuple l'approuve désormais totalement dans cette optique, trop heureux d'être débarassé de cette vermine. Le monde est entièrement acquis à la cause capitaliste, et le dernier bastion de liberté vient de céder sous les coups de boutoirs répétés des adeptes du libéralisme économique. Mais on ne joue pas impunément avec les piliers de la démocratie, et les grandes puissances, qui n'avaient pas prévu les dommages que causerait leur acharnement à réduire à néant les espoirs d'une jeunesse éprise de liberté, vont l'apprendre à leurs dépens.
Les conséquences.
La fin de la vente de bouchons de liège à la criée va avoir des conséquences terriblement néfastes, faisant basculer le monde dans une faille du continuum spatio-temporel dont il n'est toujours pas sorti à l'heure actuelle. Ceux qui applaudissaient à tout rompre l'arrestation des derniers vendeurs de bouchons de liège à la criée en seront pour leurs frais, car la sinistrose va s'abattre sur la société, et, comme d'habitude en pareil cas, ce seront les petites gens qui seront les premières frappées. Les marchés de quartier ont perdu de leur convivialité et ils sont bien loin les "Il est bon mon bouchon !" ou autres "Cà, madame, c'est du liège premier choix !" qui se mêlaient autrefois dans une saine cacophonie verbale qui avait quelque chose de salvateur. Les gens perdent de leur joie de vivre, alors que, à l'intérieur de leurs tours d'ivoire, les puissants s'enrichissent en vendant à prix d'or des bouchons en plastique par lots de deux ou quatre dans des emballages bariolés. En réponse à cette morosité ambiante, le taux de suicide est le plus fort jamais atteint parmi les classes laborieuses, à qui il manque désormais ce petit quelque chose qui fait que l'on désire voir le soleil se lever un jour de plus, et qui leur était apporté jusqu'alors par la vente de bouchons de liège à la criée. La révolte se met à gronder et le gouvernement, pour y remédier, va se livrer à une manoeuvre tant perfide que sournoise : il recrute parmi la Légion Etrangère les individus les plus incompétents de la société et en fait à la va-vite des vendeurs de bouchons de liège à la criée, qui, précisons-le d'ores et déjà, n'en ont que le nom, tant leurs capacités vocales sont loin d'atteindre celles des pionniers de la profession. Le peuple n'est pourtant pas dupe et rejette en bloc ces ersatz de vendeurs, qui sont alors renvoyés dans leurs régiments respectifs. Désireux de mettre fin aux lamentations d'une populace qui se fait de plus en plus menaçante (les attentats envers les supermarchés se multiplient, des bouchons en plastique sont calcinés par centaines au cours de cérémonies nocturnes que les forces de l'ordre ont toute les peines du monde à endiguer), le pouvoir en place décide le 14 janvier 1988 de libérer les rares prisonniers à avoir survécu à l'univers carcéral et d'autoriser à nouveau la vente de bouchons de liège à la criée. Cependant, nous sommes bien loin du temps de l'insouciance et de la liberté, et les vendeurs sont parqués de façon inhumaine dans des réserves, vendant leurs bouchons de liège à des touristes de passage, qui manifestement ne saisissent pas toutes les subtilités de la criée. Cela suffit pourtant à contenter le peuple et à calmer ses ardeurs, ayant ainsi l'impression naïve d'être écouté, tout en donnant bonne conscience aux gens du pouvoir, dont l'hypocrisie et le cynisme peuvent en toute légitimité nous indigner.
Ainsi, il ne fait pas bon être un vendeur de bouchons de liège à la criée dans ce monde où règne le roi dollar, où les esprits qui tentent de vagabonder librement sont systématiquement traités en marginaux. Nous avons tous un devoir de mémoire envers ces hommes et ces femmes qui au nom de la liberté ont pris le risque de se voir bannis de la société. Aujourd'hui, seule une totale refonte des mentalités peut amener un quelconque changement dans l'attitude observée à l'encontre des vendeurs de bouchons de liège à la criée, et j'ai peu d'espoir quant à la concrétisation d'un tel voeu.
MAYBAUM Frédéric