Terminé
Triangle Strategy, le nouveau Tactical-RPG de Square-Enix. Et c'est vraiment très bien. Le jeu a ses défauts, mais au contraire des précédents de la même équipe (Bravely Default 1 et 2, Octopath Traveler), ça n'est pas un "presque bon jeu" qui serait sinon gâché, en tous cas borné par des choix de
game design frustrants et des ambitions maladroites.
Sur le contenu des batailles il est étonnamment sobre, pour ne pas dire sec. La customisation des héros se fait selon trois axes (niveau d'expérience, changement de classe, upgrade des armes), et sur chacun d'entre eux les évolutions proposées ne seront que timides. Chaque personnage à une classe fixée, qui n'évoluera que "verticalement" (on débloque une "meilleure version" des classes de départs), chaque amélioration d'une arme coûte cher (pour la première fois dans un JRPG, j'ai fini le jeu
pauvre) et oblige à des choix drastiques, et on ne croule pas sous les compétences. En revanche, chacune d'entre elle peut modifier en profondeur le gameplay et les stratégies adoptées en combat, parfois jusqu'à l'absurde (utiliser "injure", qui oblige un ennemi à focaliser ses attaques sur un perso, puis rendre ce perso impossible à atteindre : l'Art de la Guerre
at its finest).
Les combats se jouent donc plutôt sur le choix des effectifs, puisque les héros sont très différenciés, et sur la gestion du terrain, qui donne des avantages vraiment décisifs. Ainsi un archer
vraiment en hauteur pourra arroser quasiment tout le champ de bataille, ce qui permet parfois de
cheeser et de renverser certaines situations au départ compromises. D'ailleurs, la difficulté est assez relevée (mais paramétrable), et les combats longs (parfois plus d'une heure) et exigeants. La bonne nouvelle, c'est qu'en cas de défaite, on conserve l'expérience obtenue et les compétences débloquées, ce qui permet au passage de remettre rapidement à niveau les personnages qu'on utilise peu - et donc d'expérimenter - puisqu'il recevra une pluie d'XP à chaque action s'il est en retard sur le niveau recommandé. A se demander si ça avait un sens de mettre de l'XP dans le jeu d'ailleurs, car à l'inverse dès lors qu'on atteint ce niveau, on n'en reçoit quasiment plus du tout. Impossible de se faciliter la tâche en
grindant comme on pouvait le faire dans Final Fantasy Tactics.
Les magiciens permettent d'exploiter la topologie d'autres manières : enflammer un champ de blé provoquera
une famine en Egypte un incendie qui blessera tous les persos pris dans les flammes, un sort de glace rendra le sol glissant et réduira les déplacements possibles dans la zone, et la foudre se répandra au travers des flaques, avec une chance de paralyser les victimes. Ce qui permet des combinaisons telles que "lancer un sort de glace de zone, puis l'incendier créera une flaque d'eau, qu'on foudroiera dès qu'elle sera occupée". Le gros gain tactique que l'on cherche à obtenir, néanmoins, tourne autour des "prises en tenaille" : si l'ennemi que l'on attaque est encerclé, le personnage en face le frappera aussi même si ça n'est pas son tour. C'est ce qui permet de compenser un rapport de forces souvent entre notre défaveur, ne serait-ce que parce que le moindre troufion adverse est plus résistant que notre héros le plus aguerri.
Là où le jeu m'a surpris, c'est sur la qualité (et la quantité
c'est autant un visual novel qu'un T-RPG) de son scénario. Le Triangle du titre, c'est un triangle de nations en guerre, alors qu'elles découvrent, timing malheureux, que les garanties de paix qu'offrent les interdépendances économiques finissent par devenir insuffisantes. Certes sous influence Game of Thrones (on frôle parfois la pornographie d'intrigues et de trahisons - à défaut de pornographie tout court - et quand quelqu'un meurt,
il meurt), mais je ne m'attendais pas à une telle finesse d'écriture, alors que les prémisses de l'histoire sont très schématiques : un royaume en vert ("les gentils"), un duché en rouge ("les méchants"), une démocratie théocratique en jaune ("les peut-être gentils ?"). Le déroulement viendra vite mettre des nuances de gris un peu partout et les dilemmes qu'il soulèvera obligeront à se creuser la tête.
Car le joueur aura son mot à dire sur la manière dont l'histoire évolue. Le Triangle du titre, c'est aussi un triangle de convictions : l'Éthique, le Pragmatisme , la Liberté. Les choix de dialogue, mais aussi l'attitude en jeu, influeront sur notre alignement d'une manière qu'on croit lisible au début, au point de craindre être face à un test de personnalité tah Le Journal de Mickey, mais la qualité de l'écriture (et de la traduction, formidable comme c'est désormais de mise avec Square-Enix
) réussit assez bien à rendre obscur les impacts de nos décisions, pour qui voudrait "
minder" le scénario et choisir lui-même son alignement. Le plus sympa étant, comme toujours, de jouer le jeu et de s'en tenir à faire des choix "au premier degré" plutôt qu'en essayant d'en deviner les intentions.
Le scénario propose quelques embranchements, même si tous se rejoignent aux instants critiques
quand tout le monde craque, et certains rebondissements, que l'on croira définitifs, le sont rétrospectivement moins que prévu. L'originalité, c'est que l'on ne choisira pas tout à fait nous mêmes les embranchements que l'on emprute. Chaque décision sera soumise à un vote, auquel tous les héros prennent part, et la majorité l'emporte. Avant chaque vote, une phase de débat, pendant laquelle le joueur pourra essayer d'infléchir la décision des autres personnages. A ce moment-là, notre pouvoir de persuasion dépendra de notre alignement (sachant qu'il nous est caché jusqu'au New Game +) et si, la plupart du temps leur choix sera le nôtre, il m'est arrivé d'être dépossédé du choix final.
L'histoire propose trois fins différentes. J'ai choisi de me la jouer full Raphaël Glucksmann, prenant fait et cause pour les rozelliens, minoritée opprimée et réduite en esclavage (mais avec les cheveux roses, étrange hybride de ouighour
genderfluid). Ça ne m'a pas franchement réussi, mais le jeu est écrit de telle manière qu'on abandonne de toute façon très tôt tout espoir de happy end. A noter qu'il existe aussi une fin "parfaite", si on a emprunté très exactement les embranchements attendus. Façon de faire un peu naze, qui oblige en sus à se farcir un New Game+ éreintant. Je m'y risquerais peut-être si la curiosité l'emporte mais, comme souvent avec ses jeux à scénario pas vraiment multiple, il vaut mieux s'astreindre à ne pas trop regarder ce qui se passe derrière les rideaux.