LeMonde.fr a écrit :Ben Johnson accuse maintenant son équipementier
Vingt-six ans après, « la course la plus sale de l'histoire » n'aurait donc pas livré tous ses secrets. C'est ce qu'affirme en tout cas le sprinteur canadien Ben Johnson, au cœur du scandale le plus retentissant de l'histoire des Jeux olympiques. « J'ai été contrôlé positif parce que j'ai changé d'équipementier », affirme aujourd'hui au Monde Ben Johnson qui avait quitté Adidas pour l'Italien Diadora après son titre mondial de 1987. Le 25 septembre 1988, Ben Johnson est contrôlé positif au stanozolol, un stéroïde. La veille, il a créé la sensation en remportant la finale du 100 m des Jeux olympique de Séoul en établissant un nouveau record du monde en 9''79 au nez et à la barbe de son grand rival, la vedette américaine Carl Lewis.
« J'ai été contrôlé positif parce que j'ai quitté Adidas. Si j'étais resté chez eux, rien de tout cela ne serait arrivé, soutient Ben Johnson. Quand on regarde les résultats de l'époque, seuls les athlètes de chez Adidas n'étaient jamais contrôlés positifs. Pourquoi ? Parce que la compagnie avait de bonnes relations avec le Comité international olympique. Il fallait éviter les scandales et de ternir l'image d'Adidas.» Joint par Le Monde, Adidas n'a pas souhaité faire de déclarations.
J'ai été "crucifié pour 25 ans": le Canadien Ben Johnson, déchu de son titre olympique du 100 m des Jeux de Séoul après un contrôle positif, a foulé pour la première fois depuis 1988 la piste de sa déchéance. Durée: 01:01
Pourquoi Ben Johnson n'a-t-il pas raconté tout cela devant la commision d'enquête qui avait été mise sur pied après le scandale ? « Pour que les choses soient plus simples, on était supposé dire certains trucs. Il fallait qu'on admette avoir pris des stéroïdes et mettre un terme à cette histoire pour passer à autre chose… », explique l'ancien sprinter, aujourd'hui âgé de 52 ans.
Dans une version précédente, Ben Johnson soutenait qu'il avait été victime d'un complot. Rapidement après la finale, il émet tout de suite l'hypothèse d'un sabotage en se basant sur la présence d'un mystérieux individu, André Jackson, dans la salle de contrôle, C'est le fameux André Jackson lui-même qui s'est dénoncé auprès de Johnson, lequel l'a publiquement révélé à la presse en 2006. Puis dans son autobiographie Seoul to Soul en 2010 où il écrit que l'ami de Carl Lewis lui a avoué avoir piégé sa bouteille la veille des séries du 100 m (et non le lendemain de la finale comme imaginé initialement).
CONTRÔLES POSITIFS COUVERTS
André Jackson refuse toujours de confirmer ses propos. On sait en revanche comment il est entré dans la salle de contrôle antidopage: grâce à l'agent de Carl Lewis, Joe Douglas, qui l'a révélé, lui, il y a deux ans à Richard Moore, l'auteur du documentaire « 9.79 ». La mission de Jackson, muni d'un appareil photo, était de s'assurer que le contrôle de Johnson se passe en bonne et due forme, sans prise d'agent masquant... Pour Johnson, si les précédentes tentatives de sabotage de Jackson, notamment à Zürich en 1986, ont échoué, c'est que des contrôles positifs ont été couverts parce qu'il était sous contrat avecAdidas. Une protection levée lorsque « Big Ben » a cédé à la proposition de 2,5 millions de dollars de Diadora.
« André m'a avoué en 2004 avoir piégé ma bouteille d'eau la veille des séries du 100 m avec des stéroïdes qu'il avait acheté au Texas. Il refuse de parler publiquement, il a seulement déclaré: “Peut-être que je l'ai fait, peut-être pas...” S'il ne l'avait pas fait, il aurait clairement nié, c'est évident !, affirme le Canadien. Et il m'a dit aussi qu'il m'avait déjà piégé auparavant, notamment au meeting de Zürich en 1986, mais que ça n'avait pas marché. Or, ça aurait dû marcher… »
Les versions de Ben Johnson, elles, ont évolué au fil du temps. Après avoir affirmé ne s'être jamais dopé, il avoue dès 1989 avoir commencé les cures de stéroïdes en 1981. Mais il précise avoir arrêté celles de stanozolol bien avant Séoul. Ses carnets d'entraînement montrent que ses premières expériences avec le winstrol (nom générique du stanozolol) remontent à 1982 durant la période de compétition et furent abandonnés en raison d'une prise de poids jugée excessive et l'apparition de raideurs musculaires importantes. Il lui était donc préféré un autre stéroïde, l'estragol. Le Winstrol a été utilisé ponctuellement en décembre 1987, suivi d'une cure d'estragol en janvier, et il est possible que cette nouvelle expérience soit à l'origine de la blessure du canadien lors d'un meeting le 5 février. Le médecin du sprinter et son coach n'auraient jamais pris les risques associés à la prise de Winstrol dans les semaines précédant une finale olympique, sachant les contrôles antidopage inévitables et les dangers physiques associés à son injection.
Un quart de siècle après, Ben Johnson ouvre un nouveau chapitre à la légende de la course la plus sale de l'histoire : après le complot et la jalousie, l'argent. «Le sport-business est vraiment très sale, vous savez…»