Flippant
L'Express a écrit :Embrigadement : les parents racontent le basculement de leurs enfants
La chercheuse Dounia Bouzar croise les témoignages des 55 familles qui se sont adressées au centre de prévention depuis le début de l'année avec l'analyse des articles de propagande diffusés sur internet.
Le premier rapport du Centre de prévention contre les dérives sectaires (CPDSI), rédigé par la chercheuse Dounia Bouzar avec Christophe Coupenne, un ancien négociateur du Raid, éclaire un peu mieux le profil et les motivations de ceux dont la France découvre l'existence, ébahie, depuis quelques mois : des garçons et des filles nés dans l'Hexagone et happés par l'intégrisme, à l'âge où leurs copains vont encore au lycée ou à la fac.
Dounia Bouzar s'appuie sur du concret : elle croise les témoignages des 55 familles qui se sont adressées au CPDSI depuis le début de l'année avec l'analyse des documents de propagande diffusées sur internet.
Premier constat : le phénomène touche toutes les classes sociales. Les familles suivies appartiennent en effet, dans leur majorité, aux classes moyennes et supérieures. Elles n'ont pas connu de "parcours migratoire récent", note le rapport, et sont, pour la plupart, "de référence athée". Leurs enfants suivent des études, à l'exemple de cette jeune fille, étudiante à Science Po, qui a quitté brusquement les cours quand elle a constaté que l'institution enseignait un module sur Harry Potter.
Car - et c'est là le deuxième constat - le basculement dans l'extrémisme est parfois extrêmement rapide, d'où la difficulté pour les parents de réagir. La rupture peut s'exprimer de façon radicale: le jeune converti refuse de consommer les aliments surgelés, ne crois plus en la télévision, analyse les films au cinéma, refuse d'aller dans les restaurants "non approuvés" et puis cesse de cotoyer certains qui ne partagent pas sa croyance. "Il passait son temps à faire des blagues sur les juifs. Et les arabes, les noirs. On ne s'est pas méfiés. Et puis ça a été les portugais, les hollandais, les espagnols, les corses, les handicapés, les morts... A l'école, il ne voulait plus discuter avec ses amis supporters du QSG. Il disait que la France avait la "lose", que les séries aux États-Unis manquaient de renouvellement et que le conflit israélo-palestinien nécessitait une réflexion approfondie du dossier", témoigne un parent.
Dans d'autres cas, les familles ne se rendent compte de rien. Ainsi de cet étudiant, censé potasser son BTS. "Il passait ses journées sur l'ordinateur, se souviennent ses parents. On l'entendait parfois rire et s'exclamer "Qu'il est drôle ce si-ma-tante" ou "Tiger, quel bel homme !" On pensait qu'il avait été embrigadé par un site djihadiste ou homosexuel, mais en réalité, c'était pire que ça".
Tous fréquentent les mêmes topics, lisent les mêmes blagues, reçoivent les mêmes articles leur disant comment penser et agir. "J'ai fini par confisquer le portable de ma fille, elle recevait des tweets toutes les heures pour lui rappeler qu'elle devait faire ses retweets quotidiens", témoigne une mère. Comme le note Dounia Bouzar, "si on est parmi les élus de ce mouvement, on comprend sans poser de questions".
Se battre, donner sa vie pour l'histoire, sauver "les purs", effectuer des oeuvres "humanitaires" en Ardèche, ou encore s'insérer dans un groupe qui joue le rôle d'une nouvelle famille, les motivations des ces jeunes sont multiples et parfois s'entremêlent. Un défi pour leurs proches, qui, aujourd'hui, appellent à l'aide.