
Les marseillais et (contre?) les parisiens : :fuck2:
Début de Saison 92-93 :
Un article placardé au mur du vestiaire, affiché là toute la semaine ; nous ne voyons que lui en entrant dans la pièce, chaque jour, avant l'entrainement, après le footing, en nous rhabillant. "Marseille va avoir la guerre !", proclame l'article. L'avertissement de l'entraineur du PSG, Artur Jorge, avant le match au sommet du championnat, en cet automne 1992.
S'il voulait nous faire peur, Jorge, a raté son coup. nous sommes faiblards, nous autres marseillais, en cette saison grise, et Paris caracole. Nous nous habituons petit à petit à l'idée que tout a une fin - y compris notre suprématie. D'un coup, la prose de Jorge nous réveille. Tapie en use, Bernès la cite, Jean Fernandez, notre nouvel entraineur, la brandit sous nos yeux, comme le chiffon rouge devant le muffle du taureau, avant de nous lacher dans l'arène. L'orgueil, il n'y a que ça. L'orgueil et la colère. nous nous montons la tête, jusqu'à n'être plus qu'une énorme boule de révolte et d'agressivité ; un OM imprenable, qui marche sur le PSG, et gagne, au Parc des Princes, dans un match d'une violence totale. Nous avons brisé nos adversaires, sciemment. Les Parisiens, en face, n'effaceront jamais cette humiliation. Ils en garderont un complexe pendant la saison tout entière. Nous n'avions pas le choix. Les autres, tous les autres, avaient décrété que l'OM était mort. Ils nous ont sauvés, donc, en nous vexant. Ils ont réveillé la bête. La colère nous sauve.
Un jour de match amical, dans cette équipe de France ou je me perds, j'entends un de mes coéquipiers, le défenseur du PSG, Jean-Luc Sassus souffler à un de ses partenaires : "Laisse tomber, les Marseillais jouent entre eux !" - parce que deux joueurs de l'OM se dont une passe ! C'est la guerre qu'ils veulent, les parisiens? ils vont l'avoir. J'insulte littéralement Sassus dans la presse. Polémique. Ca soulage de dire les choses : Houiller impose une armistice entre les deux clans. Mais les sentiments restent. Il ya beaucoup de choses qui se règlent, ce jour d'automne 92, quand nous entrons sur le terrain du Parc pour châtier nos adversaires... Beaucoup de choses se payent. Des rivalités entre joueurs, entre clubs, entre dirigeants. Le sentiment grandissant de l'OM d'être mésestimé, surtout. L'envie de se venger, de prouver que les élégances parisiennes n'ont pas encore remplacé la vaillance marseillaise. Le 29 Mai 93, nous recevons le PSG, en championnat, pour couronner notre saison, trois jours après Munich. Tout le match exsude une haine qui dépasse le football. Des hooligans parisiens envoient des fusées dans la foule marseillaise. Il ya des blessés. Sur le terrain, les Parisiens marquent le premier but. Nous nous relevons alors, d'un coup, nous jouons à fond, jusqu'à ce qu'ils se liquifient devant nous, que nous marquions trois buts pour en finir, que tout le stade, vengeur, nous porte en triomphe, en hurlant. j'ai marqué le plus beau but de ma vie. Une tête en percussion, qui est allée déchirer les filets parisiens, une tête d'une force que je n'imaginais pas, aussi droite qu'un tir, aussi violente. Il y a tout, dans cette tête, toute ma rage, tout la rage de l'OM quand Paris se montre en face. Et toute la désolation du PSG, incapable alors de comprendre cette furie qui lui est étrangère. Notre colère les tue.
De temps en temps, lors des stages de l'EDF, Gérad Houllier rassemble les marseillais et les parisiens, pour vérifier que son armistice tient bien. Séances de défoulement collectif, de psychologie de groupe. Nous sommes assis tous ensemble. Les Marseillais, Deschamps, Angloma et moi. En face, les Parisiens, Lama, Ginola, Le Guen, Roche : des internationaux, des grands joueurs, et soudain plaintifs, méconnaissables. "On nous déteste, à marseille. Certains de vos joueurs sont trop violents. Nous sentons la haine, en jouant." Pleurnicheries. Nous ne disons rien. Nous sommes calmes, nous goutons avec intéret ce déballage exotique, cet aveu de faiblesse incroyable, devant nous, devant le sélectionneur. Gérad rigole. A la fin de la séance, il me prend par l'épaule et me glisse : "Basile, ne t'inquiètes pas, vous les battrez toujours." Pas toujours, sans doute. Mais souvent. Il ne faut jamais se plaindre, jamais - et surtout ne jamais avouer à son adversaire qu'on le craint. Paris, alors, a peur de marseille. Paris, alors, malgré tous ses talents, est trop poli pour nous tenir. On ne gagne pas sans colère. il y a deux sortes de joueurs. Les gentils et les mals élevés. Les mal élevés ont toujours raison à l'arrivée. Le PSG est déja magnifique, en 92-93. Mais il manque un mal élevé aux Parisiens, un révolté, un type capable de dire "merde à Marseille", de nous insulter sur le terrain, de lancer ses équipiers sur notre corps. Paris est déja meilleur, peut-être. Mais n'a pas connu assez de guerres et de souffrances. Nous sommes plus forts. Voyous, furieux, fachés, irritables, dangereux. C'est notre mauvaise éducation qui renverse Paris. Cette rage, d'abord. La même rage qui nous permet d'atteindre Munich, et de vaincre. Gagner à coups de colère, contre le monde entier, gagner à force de révolte. Les plus beaux combats, les plus belles victoires, qui prouvent que rien n'est écrit à l'avance.
Portrait de l'OM, cette saison-là. Une bande de mal élevés, des types assoiffés de reconnaissance ou de revanche. Des mésestimés qui vont tout renverser. Des hommes en colère. Barthez le gardien, jeune et fou, qui coupe les manches de ses maillots aux ciseaux, avant les matchs, qui n'était rien un an auparavant. Rudi Voller que tout le monde décrit comme fini. Boksic, immense et pâle, qui vient de passer une année sans jouer à cause des quotas d'étrangers dans le championnat et que Tapie a voulu transférer en début de saison, mais qui l'a gardé en désespoir de cause... Quand nous arrivons en finale, à Munich, il ne reste dans l'équipe que trois survivants de Bari : Abedi, Di Meco et moi. Deux durs et un jongleur. Mais un jongleur ayant lui aussi sa revanche à prendre. Abedi s'est découvert mal payé, comparé aux stars du club, et traine son amertume. Il fera payer la note aux Milanais, en finale européenne, dans son meilleur match. Quant aux durs... Eric est un fondu, comme disent les marseillais, un fou génial, incapable de calculer ses engagements, qui terrorise la moitié des attaquants adverses - qui a failli arréter sa carrière après Bari, jambe bousillée, et revient de loin.
