
Dans un entretien au "Monde", le président de la Fédération française de football revient sur l'après-Mondial et commente la situation du football français.
Les éliminations de huit clubs de ligue 1 en Coupe de france indiquent-elles une baisse du niveau de l'élite française ?
C'est la magie de la Coupe de France. Les amateurs trouvent là l'occasion de se confronter aux professionnels. Et sur une rencontre... S'il y a plus de surprises qu'avant, c'est que le système de formation à la française porte ses fruits à tous les niveaux. Les clubs ont tous des éducateurs. Et puis, en DH, et même en district, on s'entraîne plusieurs fois par semaine. Il y a un rétrécissement inévitable de l'échelle des valeurs.
Ce nivellement ne se fait-il pas par le bas ? A part Auxerre, les clubs français ont été rapidement éliminés des Coupes d'Europe...
Il est vrai que le comportement en Coupe d'Europe n'est pas à la hauteur des ambitions affichées par les dirigeants de clubs. On aurait pu rêver mieux, notamment en Ligue des Champions.
Pourquoi une telle inconstance des clubs français ?
C'est une question de mentalité, un complexe de supériorité, une incapacité à être présent lors des grands rendez-vous. Tout le monde a pu le constater. En revanche, ce qui m'a déplu, c'est que Raymond Domenech affirme que le niveau baisse : c'est un cadre fédéral, il doit protéger la formation à la française. Et puis, il y a eu des sursauts prometteurs en Ligue des champions, de Lyon face à l'Inter Milan ou de Lens contre le Bayern Munich et le Milan AC.
Les patrons de clubs veulent plus de moyens financiers pour répondre à la concurrence européenne...
Il faut des moyens mais aussi que les hommes aient envie de s'investir, sur le terrain comme en dehors. Le discours libéral et économique ne suffit pas : l'argent n'a pas tous les pouvoirs.
Le football français vaut-il, actuellement, les 480 millions d'euros promis par Canal + pour l'obtention de ses droits télévisés ?
Ceux qui ont été consultés estiment que le football français a de la valeur. Les chaînes de télévision n'ont pas fait leurs propositions à la légère mais sur la foi d'analyses. Notre football reste porteur. le spectacle présenté n'a pas à rougir de la comparaison avec l'Angleterre ou l'Allemagne, par exemple. La manne qu'il procure profitera à tout le monde, aux clubs professionnels comme aux amateurs. Cette bataille entre chevaliers d'industrie peut se terminer à l'amiable.
L'influence de Canal+ est-elle un problème ?
Ce pourrait être le cas. On pourrait s'interroger sur les liens de la chaîne avec certains clubs. On pourrait même s'étonner de voir Michel Platini, vice-président de notre conseil fédéral, jouer les consultants en crypté. Mais, moi, je suis de ceux qui pensent qu'un homme qui peut se regarder dans une glace, abandonne son étiquette dès qu'il se met au service d'une instance responsable. S'il faut reconnaître que Canal + était là au bon moment et qu'elle a su prendre une certaine prépondérance dans le monde professionnel, il ne faut pas oublier que le football français, ce n'est pas que la Ligue professionnelle, qui a d'ailleurs un accord avec le service public pour la diffusion de sa propre Coupe : il y a aussi les équipes de France, liées avec TF1.
Que pensez-vous de la récente reprise avortée de l'AS Monaco par un investisseur suspect ?
J'ai été surpris par ce projet. Le produit football est porteur, il attire parfois des aigrefins, des gens qui pensent à leur intérêt personnel. Le football est un commerce mais le jeu a des règles. On ne peut tolérer que le côté pervers prenne le pas sur nos valeurs exemplaires.
Vous êtes en contact régulier avec la Fédération algérienne. Quel souvenir gardez-vous des incidents ayant marqué la rencontre France-Algérie, en 2001 ?
En toute franchise, je pense qu'il fallait faire ce match au nom de la politique de la main tendue à l'Algérie. Mais il est vrai que j'ai souffert, ce soir-là. J'ai eu peur de débordements plus graves. Je crois que si Marie-George Buffet m'avait laissé aller au bout de mon discours, sans intervenir politiquement, les gens qui avaient envahi le terrain l'auraient quitté.
Un match Algérie-France est-il envisageable ?
Si on me pose la question d'un match "retour", il faudra bien l'étudier. Si le président Chirac, lors de sa future visite là-bas -prévue en mars 2003-, pense que la présence du président de la Fédération française de football dans sa délégation peut être un facteur positif, je suis évidemment disposé à l'accompagner. J'ai été invité par le président de la Fédération algérienne. Dès que je trouverai un moment, je me rendrai en Algérie. Peut-être puis-je servir d'ambassadeur entre le Maroc, la Tunisie et l'Algérie pour la candidature à la Coupe du monde 2010.
Mais êtes-vous favorable à cette rencontre Algérie-France ?
Il faut recueillir l'avis de notre sélectionneur national, Jacques Santini, l'opinion des joueurs, étudier les dates possibles. Je ne veux pas emmener là-bas des joueurs réticents. Franchement, je serai étonné que le match puisse se jouer en 2003.
Acceptez-vous que l'ordre des rencontres contre Israël, pour l'Euro 2004, soit inversé pour raison de sécurité ?
Ce n'est pas une bonne solution. Je ne vois pas pourquoi on perturberait un calendrier alors que nous ne sommes pas coupables de ce qui se passe en Israël. De plus, en inversant les dates, on prendrait le risque de se retrouver à disputer un match décisif à l'extérieur.
Refusez-vous d'aller jouer en Israël ?
C'est un problème d'organisation israélien, pas un problème français. Cela dit, nous sommes ouverts à tout. Pour préparer la paix, il faut avoir des gestes de paix. Mais envoyer les joueurs français là-bas serait aussi une prise de risques.
Vous avez été mis en difficulté après l'échec des Bleus en Asie...
Je savais que cela aurait des répercussions. J'ai été contraint à une réflexion, on m'a rappelé à l'ordre. J'ai été saoulé de coups, j'ai préféré rester calme. Je n'ai pas songé à démissionner. J'ai courbé l'échine. Chacune sait que ce n'est pas Claude Simonet qui a gagné la Coupe du monde 1998, ni le Championnat d'Europe 2000. Alors, est-ce vraiment Claude Simonet qui a perdu en Corée ?
Pensez-vous qu'on ait voulu vous pousser à la démission ?
Certains ont comparé ma situation à celle de Jean Fournet-Fayard, en 1993. Mais lui avait démissionné après un échec dans les qualifications à la Coupe du monde 1994, la catastrophe de Furiani et l'affaire VA-OM. Moi, on pouvait seulement me reprocher un échec au premier tour du Mondial 2002. J'ai considéré que les choses étaient différentes et que l'heure n'était pas venue de passer la main. Seul le conseil fédéral aurait pu me demander de démissionner. Il ne l'a pas fait. Une démission de ma propre initiative aurait été un aveu de culpabilité. Je vous l'ai dit : je ne me sentais pas coupable.
On a brocardé votre comportement personnel...
On a dit, qu'en Asie, j'étais en vacances. On a fait toute une histoire parce que j'avais invité à dîner des partenaires le soir de la défaite du match d'ouverture France-Sénégal. On était une vingtaine, avec Jean-Michel Aulas, Aimé Jacquet. Dans les commandes de vin, quelqu'un s'est trompé dans les conversions, une bouteille -le fameux flacon de romanée-conti- était chère. Ce n'est pas ma faute. Au moment de l'addition, on a fait mettre la note sur la chambre du président, ce qui était normal.
Avez-vous souffert de cette affaire ?
Ça m'a fait du mal. C'était atroce. La rumeur a fait son chemin. Je rencontre encore des gens qui me disent : "Alors, t'es venu avec ta bouteille ?" J'ai reçu des lettres d'insultes. J'ai répondu à tous.
Vous avez des regrets sur la gestion de l'après-Mondial ?
Le cas Lemerre, on ne l'a pas mal géré. On avait prolongé son contrat avant l'Asie pour qu'il n'y aille pas avec un couteau sous la gorge. Ce qui s'est passé après... C'est aux hommes de savoir se comporter. C'était à Roger de choisir.
Comment avez-vous procédé ?
J'ai essayé de le convaincre qu'il ne pouvait pas rester. Il pouvait donc considérer que c'était une rupture de contrat. Moi, il fallait que je lui fasse comprendre que c'était une séparation, qui méritait un traitement courtois et amiable. Il avait la peur du lendemain. Sa vie au sein de la direction technique à laquelle il était également lié par contrat aurait été difficile. Il a fait le bon choix. J'ai eu de ses nouvelles récemment, il a téléphoné à mon épouse, je l'ai rappelé cette semaine. Il m'a dit qu'il n'oublierait jamais ce que j'avais fait pour lui, pour son retour à la vie.