Entre les murs, starring José Anigo.
Une polémique chasse l’autre. Après l’affaire Knysna lors du Mondial 2010 en Afrique du Sud, où des joueurs de l’équipe de France ont refusé de descendre du bus pour s’entraîner, les incidents se succèdent et interpellent sur l’éducation des jeunes footballeurs passés par les centres de formation français.
Celui de l’Olympique de Marseille, en pleine mutation pédagogique et sportive après un taux de réussite au baccalauréat 2012 particulièrement faible (14 %), a accepté de nous ouvrir ses portes, des vestiaires aux salles de classe.
C’est ici que naissent et grandissent les rêves en bleu. Ici aussi que certaines ambitions s’évanouissent après des performances décevantes ou des blessures.
Des jeunes pas toujours disciplinés
Former des footballeurs, Henri Stambouli, le directeur du centre de formation de l’OM, sait faire. Former des hommes, c’est plus compliqué. « Le premier centre de formation reste le foyer parental, dit Stambouli. S’il n’est pas fiable… »
Caroline Bédènes, la prof de première STG, dispense son cours à Silvio Berteli, Stéphane Sparagna et Julien Bonnet.
Alors la galère commence pour les intendants, qui n’ont aucun diplôme d’éducateur spécialisé. « Il faut trouver le point sensible », explique Rani Berbachi.
Cet ancien champion du monde de kickboxing, catégorie poids lourds, est le « méchant flic » du bâtiment, celui qui interdit les tongs dans les parties communes et qui veille à la poignée de main ferme et au regard direct lors du salut.
Ibrahima Sy, dit Ibou, 17 ans, est dans son collimateur. Elevé par sa mère et ses tantes à Dakar (Sénégal), débarqué il y a deux ans au centre après un bref passage chez son père, à Paris, Ibou est un gardien de but talentueux, attachant mais pénible.
« Je ne sais pas comment vous faites avec lui. Moi, au bout de deux heures, je ne le supporte plus », répète son père à l’équipe du centre. « Tu es chez moi ici, si tu n’es pas content, tu prends tes affaires ! », gronde Rani quand Ibou se fait remarquer.
Aujourd’hui puni pour insolence et bagarre en cours, il est rétrogradé : il passe d’une chambre simple à une chambre double et il est convoqué chez José Anigo. Où il va pleurer et assurer que « personne ne l’aime » au centre, au point d’émouvoir et de faire douter le directeur sportif marseillais sur sa réelle capacité de nuisance. « C’est un malin », soupire Berbachi.
La persévérance des formateurs paie pourtant. A voir Rafidine Abdullah nettoyer les tables du réfectoire, on ne peut imaginer que ce garçon de 18 ans a frôlé l’exclusion à deux reprises. « J’étais nonchalant, je n’aimais pas les cours, l’entraînement. Le quartier, “le sang” comme on dit, me manquait », confie ce musulman pratiquant.
La punition, simple, consistait à le priver de week-end dans sa cité du nord de Marseille. Désormais titulaire avec l’équipe première de l’OM, Abdullah est la mascotte des « petits ».
En cours, ils s’endorment, épuisés
Depuis deux ans, le nouveau bâtiment du centre accueille les professeurs « à domicile ». Des chambres aux salles de classe, un étage et quelques mètres à parcourir.
Les apprentis footballeurs et lycéens ont entre vingt-et-une et vingt-deux heures de cours par semaine. Plusieurs filières (S, ES, STG) leur sont proposées. Le BEP vente a été abandonné cette année.
« A la sortie, ils étaient peu nombreux à embrayer sur ce type de métier », justifie Caroline Bédènes. Responsable pédagogique du centre, cette jolie blonde a une motivation d’enfer. Elle cornaque ses douze élèves de première STG (sciences et technologies de la gestion) avec maestria.
Aujourd’hui, le cours porte sur les interactions individus-groupes et l’identité sociale. « Dylan, redresse-toi, le mur, ce n’est pas un dossier », ordonne-t-elle. « J’aime bien voir la classe », rétorque Dylan Vivaldi.
A quelques mètres, la salle de classe des BPJEPS (brevet professionnel de la jeunesse, de l’éducation populaire et du sport), un diplôme qui permet de devenir animateur sportif et qui attire les élèves en situation d’échec scolaire, est encore plus agitée.
Ce cours de la dernière chance prend des tournures de Jamel Comedy Club quand les élèves ne dorment pas, épuisés par les entraînements. Tout est propice à la vanne. « A quoi reconnaît-on la marque Adidas ? », demande la prof. « A ses trois bandes. S’il y en a quatre, ça vient du Mali », balance le petit Santiago.
L’élection du délégué de classe est un festival. Désigné contre son gré par ses camarades, le colosse Achille Anani, 18 ans, tonne de sa voix grave : « Vous êtes des bâtards ! Je ne vous fais plus confiance. » S’ensuivent de longues minutes de tractations.
Isabelle Simonetti, la prof, explique que le délégué n’est pas un « vendu » rejoignant l’encadrement du centre. « Vous faites de la propagande, madame », réplique Nabil Abbas. Celle-ci ne se démonte pas. « Est-ce que vous avez compté vos neurones ? Mais je parle collectivement, hein… », tance-t-elle.
Bien qu’incapables de se concentrer plus de cinq minutes, les élèves admirent sa patience. Ils lui apprendront même leur signe de salutation, le « double check » main tendue, à la fin du cours. De là à les convaincre de bouquiner… Pas un livre ne figure dans les chambres des adolescents sinon le code de la route, que beaucoup révisent le soir.
Déracinés, certains souffrent de solitude
Petit déjeuner à 8 h, entraînement à 9 h 30, déjeuner à midi, cours à 13 h 30, dîner à 19 h, couvre-feu à 22 h 30. Entre-temps, il faut chasser l’ennui et la routine.
PlayStation, baby-foot, rediffusion de l’émission de télé-réalité Les Ch’tis débarquent à Mykonos sur le PC portable, et, ce soir, le film Hitch dans la spacieuse salle télé. « Il est trop baraqué, Will Smith ! », s’exclame Gaby Dubois, 14 ans, à chaque fois que l’acteur apparaît à l’écran. Will Smith embrasse Eva Mendes. « Les baisers américains, ce sont les meilleurs », s’enthousiasme Thierry.
Les moments d’évasion sont rares. Ce matin, le discret Ferdie Felicianne, né en 1997 et arrivé de Guadeloupe il y a quelques semaines, est radieux. Il a reçu un colis de Basse-Terre. « Un ordinateur portable ! », se réjouit-il.
Nombreux au centre, les jeunes d’outre-mer souffrent de la distance. Et peinent à percer. Ainsi Gianluca, bientôt 18 ans, né à Fort-de-France. Son destin dans le football semblant compromis, l’année sera concentrée sur sa réussite au bac scientifique.
Il deviendra peut-être ingénieur, comme en rêvait sa mère autrefois. « Je ne comprends pas pourquoi on fait venir tous ces joueurs de loin, soupire Nabil Abbas, 17 ans, attablé au réfectoire devant un pavé de saumon et un épisode de Malcom à la télé. Si c’étaient des futurs Messi, passe encore, mais là, ils n’ont pas plus de talent que beaucoup de jeunes des cités marseillaises. Et pourtant, on les déracine. Ils sont moins intégrés. »
Nabil vient de la cité locale des Aygalades. Il découvre le pensionnat en enchaînant les séances de soins. Il poursuit : « Leur parler ? OK. Pendant dix minutes, ils vont rigoler, oublier. Mais la solitude, l’absence des proches, elle sera toujours là. » Les plus isolés répondent toujours poliment : « Ça va, ça va » quand on leur pose la question. Et on la leur pose souvent.
Un seul but : se faire repérer
Dans le vestiaire peu avant le match de NextGen, la Ligue des Champions pour les moins de 19 ans, face à l’Olympiakos (Grèce), Santiago se fait masser. Cela ne suffira pas. Il sort au bout de vingt minutes de jeu, touché à la cuisse. « Tu veux te flinguer ou quoi ? », râlent les formateurs sur le banc de touche.
Le kiné Maxime Matton masse Jonathan Santiago alors que Ricardo Charles attend son tour.
« J’aurais pu me péter mais bon, je voulais absolument jouer, reconnaît Santiago. Il y avait des personnes importantes en tribune : le directeur sportif José Animo et l’entraîneur Elie Baup. Je rêve de monter avec les pros, comme mes copains… »
Briller à tout prix, rapidement, et sortir de la masse du centre. « La concurrence, on n’en parle pas entre collègues, c’est tabou, poursuit Santiago. Mais sur le terrain, on se regarde différemment. »
« Les jeunes sont plus impatients qu’avant, observe l’entraîneur bénévole Pierre Bruno, 80 ans mais toujours présent au club et baptisé le “boss”. Ils vivent plus tôt la pression, la danse du ventre des agents, les blessures graves aussi, souvent masquées par les habituels pépins de croissance. »
Nabil Abbas a une large cicatrice sur les deux genoux, usés par des tendinites récurrentes. Jules Mendy, 18 ans, a été opéré du genou, après trois ans de douleurs et des échecs dans les centres de formation de Sochaux et de Cannes. « L’OM, c’est ma dernière chance », reconnaît-il.
Dylan Balinghien, 17 ans, ne joue plus depuis un an. Il est victime du « syndrome de l’essuie-glace », le tendon frottant contre l’os au niveau du genou.
S’il ne montre pas son désarroi, il râle contre la bouffe, l’étroitesse de la chambre et le manque de moyens du centre : « Tout est trop cher pour Henri (Stambouli, le directeur). » Son côté syndicaliste plaît aux pensionnaires. S’il ne rejoue pas bientôt, il retournera à Toulon pour trouver un travail « manuel », comme son père, ouvrier monteur câbleur.
« Sur Facebook, tu es hyper sollicité par les nanas »
Sarah Gouyache, la responsable du réfectoire, vous les raconte par le menu. Les timides qui n’ont pas encore eu de petite amie, les coureurs de jupons qui filent à l’hôtel Formule 1 de la Valentine, les « chéris de leur maman » qui grandissent vite et ont de moins en moins de considération pour les femmes. « Je me suis mis à la cougar », se marre ainsi Billel Omrani, 19 ans, passé chez les pros.
Cet après-midi, Antoine Kisaku, jeune Nantais de 17 ans, a le droit de quitter le centre de 15 h à 17 h 30 pour rejoindre sa copine dans le quartier des Caillols : « Elle est lycéenne. Ça fait un an. Je l’aime mais je ne le lui montre pas. »
Manu Loiacono, enfant de Marignane âgé de 17 ans, tient un autre discours : «Je ne veux pas me mettre avec une fille. Vu le monde du ballon, les voyages, les tentations, elle va forcément souffrir.»
Le regard des copains comme des petites amies est déjà biaisé par le maillot olympien. « Sur Facebook, tu es hyper sollicité par les nanas, c’est fou ! », assure Gaby Dubois.
Originaire d’Aix-en-Provence, Fodé Guirassy, 16 ans, parle de « greluches », attirées par ces athlètes aux corps déjà bien dessinés et aux coupes de cheveux stylées malgré l’interdiction des crêtes. « L’intérêt de certaines filles est presque malsain », admet Floriane, gracieuse étudiante d’Euromed, l’école de commerce marseillaise.
Alors qu’elle vient au centre pour leur donner un cours du soir, elle fait le buzz avec sa jupe et ses talons. « J’aurais peut-être dû éviter, mais bon… Même en sweat, ils m’auraient draguée ! J’ai eu droit à : “Vous aimeriez vous marier avec un footballeur ? Et avec un Black ?” Ils sont drôles et respectueux », juge-t-elle.
Les cantinières jouent le rôle de confidentes. Pour les questions pratiques, les jeunes préfèrent s’adresser au sémillant Ahmed Nouri, vétéran de l’équipe de réserve (33 ans). « Je les côtoie tous les jours à l’entraînement. Ils me racontent ce qu’ils ne disent pas à l’encadrement : la capote qui a craqué, la chicha, la nuit blanche. Je les écoute et les conseille », glisse-t-il.
DJ du vestiaire, Nouri fait même découvrir aux ados la chanson Femme que j’aime de Jean-Luc Lahaye.
Les salaires démarrent à 500 euros
Les nouveaux du centre touchent entre 500 et 600 euros par mois. Quand ils passent devant le 4x4 Audi Q5 de Billel Omrani, devenu pro à 19 ans, certains écarquillent les yeux.
Ils les ouvrent encore plus grand dans le vestiaire : Omrani raconte comment il s’est rué sur les cartons de caleçons offerts par Mathieu Valbuena, la star du club, qui a lancé une ligne de sous-vêtements : « J’en ai pris 25 ou 30, rien à payer, je n’allais pas me gêner ! »
Sapes de marque, permis de conduire, McDonald’s rue Saint-Ferréol en centre-ville… Les dépenses des pensionnaires sont classiques. Le jour du match, les chaussures du coéquipier sont scrutées. C’est un véritable arc-en-ciel, chacun essaie de se démarquer par des couleurs chatoyantes.
Un business se dessine en sous-main. Les plus grands, qui ont déjà des équipementiers, reçoivent gratuitement des chaussures. Puis ils les revendent aux plus jeunes. Une paire d’Adidas Predator LZ à 210 euros dans le commerce vaut ainsi 80 euros au centre.
Dans sa chambre, la plus grande du centre, Achille Anani décompresse avec Gaby Dubois.
Certains sont des privilégiés. Comme Achille Anani, qui dispose de la plus grande chambre du centre (20 m2). En contrat stagiaire deuxième année, il touche près de 2 000 euros par mois. « Je n’ai pas de carte bancaire pour ne pas avoir la tentation de flamber. Mon père m’envoie de l’argent quand j’en ai besoin », sourit ce fils de pasteur évangéliste ivoirien, dont toute la famille est désormais installée à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis).
Lors de la signature de son premier contrat, un de ses copains a, lui, demandé quelques centaines d’euros supplémentaires : son père, divorcé et en proie à plusieurs addictions, n’avait même pas de quoi s’acheter un frigo.
Les revenus précoces n’empêchent pas les petites radineries. Rani Berbachi peine à récolter les 10 euros de caution pour les badges magnétiques permettant aux adolescents de se promener dans le centre.
Le retard à l’entraînement est facturé 10 euros, l’oubli des protège-tibias 20 euros. Wesley Jobello, né en 1994, vient de passer à la caisse. « Le coach organisera une soirée pizza avec les sous », sourit-il. L’an dernier, les amendes avaient servi à financer une soirée en boîte de nuit réunissant toute l’équipe.
« Nasri ? C’est mon idole ! »
Visage mat et yeux clairs, fils d’un gitan qui a travaillé comme déménageur et d’une mère cantinière, Jonathan Santiago a 18 ans. Du haut de son 1,63 m, il plaisante : « Dieu m’a créé. Si ç’avait été moi, je me serais fait un peu plus grand. »
Il retrouve son sérieux à l’heure d’évoquer le comportement de l’équipe de France à l’Euro, pointé par les médias cet été en Ukraine. « Ils ne m’ont pas fait honte, affirme-t-il. Mais je ne comprends pas pourquoi certains ont mal parlé alors qu’à ce niveau, il faut savoir se contrôler. Il y a des caméras partout, les images font le tour du monde. »
Sur le bord de la pelouse, Nabil Abbas et Thierry Pelligra, 17 et 16 ans, ne participent pas à l’initiation rugby proposée aujourd’hui. Convalescents, ils papotent. L’Euro 2012 ? « Cela m’a fait mal de voir comment on a traité Samir Nasri, fulmine Thierry. C’est mon idole, mon exemple, et les journalistes lui ont mis une telle pression… Tout le monde peut péter les plombs dans ces cas-là, que tu sortes d’un quartier chaud ou pas ! »
Nabil renchérit : « On brûle Nasri alors qu’il n’a rien fait de grave. Derrière le joueur, il y a un être humain, touché par les critiques. Il s’est vidé sur le coup. Il aurait sans doute mieux fait de passer le message d’une autre façon, pas devant tous les gens qui regardent et commentent. »
Les jeunes pointent les clichés, regrettant qu’on stigmatise les footballeurs. « Les banlieues, l’argent du foot et l’absence d’études : voilà pourquoi on se permet de nous traiter de racailles, de malpolis, déplore Nabil. Mais le parcours de Nasri reste magnifique. »
S’ils défendent leur aîné, passé comme eux par le centre de formation de Marseille, les adolescents lui font tout de même passer un message :« Dommage qu’il ne vienne pas nous voir plus souvent au centre... »
Le centre de l'OM, au 16e rang du classement fédéral
Le centre de formation de l’OM compte 58 jeunes âgés de 15 à 18 ans, dont 33 pensionnaires ; 7 d’entre eux sont originaires des Antilles, 6 des Bouches-du-Rhône, 10 de Marseille et 2 de la région parisienne. La Réunion, la Côte-d’Or, la Loire-Atlantique, les Pyrénées-Orientales,le Var, le Vaucluse et le Sénégal sont également représentés.
La Fédération française de football publie un classement des centres de formation établi selon la qualité de l’hébergement et des structures sportives, le niveau de diplôme de l’encadrement, l’efficacité de la politique de formation (signature de contrats professionnels, sélection dans les équipes premières, nationales et juniors) et la réussite au bac.
A l’issue de la saison 2011-2012, le centre de Marseille émerge au 16e rang (sur 32), loin derrière le FC Sochaux, le Stade rennais et l’Olympique lyonnais.
Plusieurs joueurs de renom sont passés par ce centre : José Anigo, Eric Di Meco, Pierre Issa, Jacques Abardonado, Seydou Keita, Mathieu Flamini, Cédric Carrasso, Samir Nasri, Garry Bocaly, André et Jordan Ayew.