Selon vous, qu’est ce qui caractérise un leader ?
Didier Deschamps : C’est une personne dotée d’une autorité naturelle. Une qualité qui se développe dès l’adolescence, puis tout au long de la vie professionnelle. Un leader est d’abord quelqu’un qui doit être reconnu par ses pairs et incarner, aux yeux du collectif, une forme d’exemplarité, en matière de savoir-faire comme de savoir-être.
Comment asseoir son leadership sans l’imposer ?
D. D. : Tout simplement en assumant sa fonction. En tant que sélectionneur, il est de ma responsabilité de choisir qui jouera ou non lors d’un match. Ce n’est pas facile mais c’est
mon rôle. Pour l’exercer au mieux, je considère qu’il est capital de ne jamais prendre une décision sur un coup de tête.
Quand un joueur conteste votre sélection – ce qui équivaut à remettre en cause votre leadership – comment réagissez-vous ?
D. D. : Tout leader, quelle que soit son activité, doit régulièrement faire face à cette situation. J’ai conscience qu’un joueur ressent toujours une forme d’injustice quand il n’est pas sur le terrain. Je dois lui rappeler que l’objectif est avant tout commun et collectif. Mon rôle est de lui communiquer le plus clairement possible les arguments qui ont guidé ma décision, puis de l’aider à dépasser sa déception. Qu’il soit ou non titulaire, il aura une fonction importante à tenir au sein de l’équipe. Cependant, argumenter ne veut pas dire que j’ai à me justifier par rapport à mes choix.
Pour ceux qu’une carrière dans le management peut tenter, quelles sont les clés de la réussite ?
D. D. : D’abord parvenir à se manager soi-même (Rires) : c’est déjà beaucoup ! Il faut être intimement convaincu que ce rôle est en adéquation profonde avec son caractère et sa personnalité. C’est un point crucial. Ensuite, le maître mot, c’est s’adapter. Un bon manager doit être à l’écoute et sa-voir faire passer les messages importants qui vont contribuer à la réussite collective. Il faut rester humble et circonspect par rapport au management : il s’agit de gestion humaine. Il est également nécessaire de bien cerner l’environnement et les personnes concernées. Je ne connais rien au monde de plus complexe – et passionnant – que cela !
A posteriori, quelle attitude adopter quand on constate que les décisions prises n’étaient pas les bonnes ?
D. D. : Celui qui ne décide pas ne se trompe jamais. Il faut se tromper et se donner la capacité d’analyser ses erreurs. C’est un formidable carburant pour rebondir
À l’échelle de l’équipe, comment maintenez-vous la motivation intacte après un échec et, à l’inverse, parvenez-vous à capitaliser sur une victoire ?
D. D. : Ce sont deux situations différentes. Je m’appuie sur un échec pour remotiver les joueurs en agissant avec beaucoup de précaution selon la sensibilité de chacun. Certains
sont plus marqués que d’autres, qui ont plus spontanément envie de rebondir. La victoire est par essence euphorisante. Élément indispensable de la vie d’une équipe, elle unit et consolide les liens entre les joueurs. Mais elle a aussi tendance à mener à un relâchement naturel. C’est dans les plus grandes victoires qu’on peut faire les plus grandes conneries (Rires) ! Il faut relativiser dans le succès, savoir ce qu’on a fait pour en arriver là, afin de le refaire dans la durée.
Quelles sont vos astuces pour motiver un groupe composé de talents divers ?
D. D. : Il est indispensable de se nourrir de la diversité, car tout le monde à un rôle à jouer. L’objectif est de tirer le meilleur parti de chacun et de laisser suffisamment d’opportunités pour que tous les talents s’expriment dans l’équipe. Même celui qui a du génie doit le mettre au service du collectif.
Au quotidien, comment faites-vous pour entretenir l’esprit d’équipe ?
D. D. : L’Équipe de France est un cas très particulier, où cette notion doit se concrétiser ponctuellement et dans un laps de temps de plus en plus resserré. Et puis, nous sommes dans un monde d’individualisme avec les nouvelles technologies, omniprésentes dans notre quotidien, qui amènent de l’isolement et réduisent les vrais échanges. Aussi, je m’efforce de créer des moments de partage avec les joueurs, voire des rencontres en tête-à-tête
Faut-il dès lors récompenser et/ou valoriser la performance individuelle ?
D. D. : Je pense qu’il ne s’agit pas tant de récompenser que de valoriser. Comme manager, on a toujours la fâcheuse tendance à dire seulement ce qui ne va pas. Il est aussi important de dire spontanément à la personne « c’est vraiment bien ce que tu as fait. Continue. J’attends encore plus de toi ». Voilà une autre manière de motiver quelqu’un, sans pour autant se contenter de manière définitive des résultats obtenus. Je pars du principe qu’on peut toujours faire mieux et repousser ses limites. L’affectif demeure un paramètre clé, même dans un monde professionnel et de compétition, en particulier pour les nouvelles générations.
Qu’entendez-vous par là ?
D. D. : Je constate que les jeunes ont beaucoup plus besoin d’attention et d’échange que les générations précédentes. Quand j’ai débuté, on écoutait les personnes plus expérimentées, sans avoir son mot à dire. Le contexte actuel est différent : les jeunes veulent donner leur avis et avoir tout, tout de suite. Je ne suis pas contre ces prises d’initiative, qui impliquent une certaine indulgence et un management moins autoritaire, construit sur un nouvel équilibre. Si un jeune me prouve ses qualités, je sais les reconnaître, l’âge n’a pas d’importance
Qu’avez-vous appris sur vous-même et sur le leadership depuis que vous êtes le sélectionneur de l’Equipe de France ?
D. D. : Les certitudes sont toujours rapidement balayées par la réalité. Je n’ai donc pas de certitudes mais énormément de convictions qui guident mes choix et mon attitude. Ensuite, comme je l’ai dit, je m’adapte en permanence aux événements. Avec l’expérience et la maturité, j’ai acquis, comme tout le monde, davantage de capacités à prendre du recul.
Vous avez accumulé les titres, votre palmarès est impressionnant, qu’est ce qui vous motive encore et explique votre combativité ?
D. D. : Je suis plein d’énergie, c’est mon moteur dans la vie. Heureusement, car tous les sentiments sont communicatifs. C’est cette attitude que j’ai envie de transmettre à mes joueurs. Comme tous les managers, j’ai des moments de doute mais, en tant que sélectionneur, je ne dois pas les montrer. Un manager doit être rassurant en toutes circonstances. Et puis, honnêtement, j’ai toujours aimé la compétition. Quand j’en aurai marre de gagner, j’arrêterai. Je vous rassure, ça n’est pas au programme !