AVB (1/5) - Porto ou l'apogée de son dogmatisme

DOSSIER TACTIQUE | Le recrutement d'André Villas-Boas a poussé l'équipe OMForum à enquêter sur la trajectoire d'un coach annoncé comme un surdoué à ses débuts. Les contextes rencontrés par ce technicien sont radicalement différents de sa période portugaise jusqu'à sa récente nomination. C'est pourquoi nous avons décidé de faire un dossier en plusieurs parties avec chacune un angle différent.


1. Porto ou l'apogée de son dogmatisme

2. Chelsea, une marche trop haute et un peu savonneuse

3. Tottenham, le pragmatisme prend la main

4. L'OM et Bel Ami à la recherche du temps perdu

5. Le coach idoine dans une équation insoluble


Depuis le lancement de la rumeur AVB à l'OM, nous avons vu passer plusieurs avis concernant le style du technicien portugais. Il a tour à tour été affublé de l'étiquette d’amateur de la conservation de balle ou de Mourinho 2.0 dans l’approche pragmatique du terrain. Quand on lit que Zubizarreta a depuis longue date été attiré par le travail du technicien portugais, on est forcément tenté de regarder ce qui l’a marqué et par conséquent de se pencher sur le rendu le plus abouti de son œuvre. Au vu des résultats et des retours de supporters du FC Porto, c’est donc là-bas qu’il faut aller chercher le portrait du "Villasboisme". C’est avec surprise que l’on découvre une vision dogmatique. Autopsie.

 

Mot d'ordre : Verticalité

Lorsque l'on visionne son Porto, Tottenham, Zenit ou Shangai, des récurrences très fortes dans le comportement tactique de ses équipes apparaissent. La première d’entre toutes est la verticalité. Toutes ses équipes, que ce soit en 4-2-3-1 ou en 4-3-3, jouent dans une animation très verticale. Je dirais même que c’est un orthodoxe de la verticalité. Il n’y a que des équipes comme Salzburg et Leipzig que j’ai dû voir exprimer un tel extrémisme. Nous sommes donc bien loin d’une accointance à la possession de balle. AVB le dit lui-même, il s’est érigé en opposition au style handball barcelonais alors à son apogée lors de sa 1e prise de fonction comme coach. Ainsi, lorsque Villas-Boas exprime son envie d’adhérer à la devise du club, ce n’est pas qu’une tirade de communication, mais bien la réalité du terrain.

Au Portugal, nous avons cette idée que le contrôle du match passe par la circulation de balle. Nous voulons voir des grandes équipes qui acculent l’adversaire dans son camp. Mais si vous prenez les équipes anglaises d’avant l’arrivée d’Arsène Wenger, elles vous diront comment contrôler un match sans contrôler la possession, grâce à un football direct qui se concentre sur les seconds ballons.
Certes, le contrôle du ballon est devenu la référence pour les équipes de haut niveau, mais c’est arrivé parce qu’elles ont des joueurs de bien meilleure qualité que les autres équipes, et qu’il serait idiot de ne pas tirer partie de ces qualités individuelles.

-AVB

 

La verticalité made in AVB a évolué au fil des difficultés rencontrées, mais paradoxalement la plus aboutie est celle de son Porto. Lorsqu’il prend les rênes de ce club, c’est une machine à gagner moche pilotée par Jesualdo Ferreira. Il polit cette équipe pour lui en donner un style plus esthétique, très marqué, bien huilé et avec plusieurs facettes tout en conservant des résultats dantesques (champion du Portugal, victoire en C3, coupe nationale lors de la saison 2010-11, finissant avec 84% de victoires sur la totalité des matchs joués).

 

Objectif pilonnage

Si l’équipe à sa disposition est pétrie de talents, c’est, à mon sens, aussi en grande partie grâce à l’identité à multiple facettes de son jeu qu’il a réussi à faire une saison aussi pleine. En effet, la verticalité s’exprime alors de 3 façons : La passe courte ou mi-longue à ras de terre cassant une ligne, la conduite de balle par un milieu qui se projette et porte le ballon (façon Imbula de Bielsa pour vous donner une image, souvent avec une différence faite en premier lieu par un contrôle orienté "sansonnesque" pour rester dans un parallèle avec l’OM), ou la passe longue sautant le milieu.

Le jeu de passes ou de conduite et le bloc équipe se déploient sur toute la largeur du terrain, mais les halfspaces tiennent beaucoup d’importance.

(Pour ceux pour qui la vidéo aurait du mal à se lancer : https://www.youtube.com/watch?v=-A6yrOeVhNc)

En règle générale, la relance en passe courte ou la projection par conduite de balle sont la première intention après la récupération du ballon. Mais si ni l’une ni l’autre n’est possible dans l’immédiat l’équipe change son fusil d’épaule en allongeant par-dessus et sautant les lignes. Dans le plan de jeu, le jeu long comporte ainsi souvent un plan A et un plan B. Si la relance courte ou la conduite sont rendues impossibles par la densité du cadrage ou l’intensité du pressing adverse, une passe longue va être enclenchée (souvent sur les ailes à destination de Hulk et Varela) suite à une passe en retrait, et le bloc va se mettre en action pour être présent sur les premiers et seconds ballons.

Alternativement, l’équipe va enchaîner 4 ou 5 passes courtes entre son milieu et sa défense afin de balader l’équipe adverse et trouver un créneau pour calibrer sa relance longue. Quand ce schéma de 4-5 passes démarre, vers la troisième ou quatrième passe (1 à 2 passes avant la relance), un des offensifs enclenche un appel (souvent de l’axe vers un halfspace pour se démarquer).

De cette façon, la verticalité recherchée a son lot d’imprévisibilité. Cela va bien au delà du vieil hourra football à l’anglaise ou de la verticalité axiale dynamique façon Leipzig. Mais il est facile d'en lire le leitmotiv qui est de porter le jeu vers l’avant très rapidement. L’objectif est de pilonner l’équipe adverse, ne lui laissant aucun répit.

 

Une verticalité tout terrain

Mais face à des blocs bas comment ça se passe me diriez-vous ? L’idée directrice demeure. Il y a néanmoins une légère différence dans la préparation des attaques face à des Maritimo ou Olhanense. La ligne de défense de Porto va jouer un cran plus haut (ligne défensive assez haute en temps normal comme nous le verrons sur la gestion des phases défensives) et faire un peu circuler la balle entre eux avant d’envoyer une passe au sol verticale. Moins de jeu long ici, à part quelques diagonales pour effriter la compacité adverse. Une fois aux abords du derniers tiers de terrain, le plan va être de combiner plus rapidement qu’à l’accoutumée afin de déstabiliser la défense.

DS: Comment attaque-t-on face à un bloc qui joue très bas ?
AVB: […] Vous devez les provoquer balle au pied, les forcer à s’avancer, à venir sur les côtés, et ouvrir des espaces. Mais peu d’équipes font ça. Je ne comprends pas, d’ailleurs. Il faut utiliser le ballon comme une carotte. Une des idées de Van Gaal repose sur la perpétuelle circulation du ballon, d’un côté à l’autre, jusqu’au moment où, quand vous changez de direction, une brèche s’ouvre pour s’y engouffrer. En fait, il provoque l’adversaire avec une circulation horizontale du ballon, jusqu’au moment où ce dernier désespère [ndlr : j’ai pas signé pour ce football…]. Mais à mon avis, il faut aussi défier le rival en lui rentrant dedans avec le ballon.[ndlr : avis à ceux qui voudraient se débarrasser d'Ocampos]

Nous ne sommes pas ici dans un jeu de contre où l’équipe va se projeter uniquement quand on a attiré l’adversaire dans son camp. Il s'agit d'une approche de jeu verticale quelque soit la présentation et les intentions de l’adversaire. Le projet est le même que ce soit Olhanense ou Benfica en face. L’idée de se projeter rapidement que ce soit par la passe ou par la conduite a pour effet d’occasionner un certain nombre de perte de ballons. L’avantage de l’inconvénient, c’est que cela pousse l’équipe d’en face à jouer et donc se découvrir un tant soit peu (l’avenir nous dira certainement si c’est valable pour certains clubs de Ligue 1).

(Pour ceux pour qui la vidéo aurait du mal à se lancer : https://www.youtube.com/watch?v=qjxIW7WHlSk)

Le tempo est roi

Pour pouvoir articuler cette idée de jeu, la gestion du rythme de jeu est un rouage essentiel. Le métronome de Porto n’est pas linéaire. Comme vu plus haut lorsque la situation ne permet pas un abordage immédiat, une temporisation de quelques secondes est nécessaire avant de calibrer la prochaine amorce d’attaque. Moutinho se révèle important dans ce rôle-là pour faire la transition entre les tempos. Sans cette régularisation de rythme, le système AVB perd un atout essentiel dans son plan offensif. Il voit ses équipes pêcher par leur déchet technique. La recherche de verticalité peut dès lors souffrir de déséquilibres dangereux non compensés par les déplacements préparatoires du bloc équipe.

Cette défaillance dans la gestion du tempo est ce qui, je pense, a été une des problématiques de son passage en Angleterre et l’a poussé à basculer du 4-3-3 vers le 4-2-3-1 avec 2 milieux proches de la défense en phase défensive. Cet ajustement visait à limiter les conséquences des pertes de balle. Dans le microcosme anglais, le curseur de l’intensité des matchs reste haut tout le long des rencontres et ce, quelque soit l’adversaire. Le Portugais n’a jamais pu trouver la recette pour imposer une diminution séquentielle de l’intensité adverse - un exercice compliqué que seuls certains coachs comme Conte sont parvenus à réaliser grâce à des dispositifs très particuliers.

 

Utilisation du trident offensif

Dans les équipes de Villas-Boas, les ailiers font beaucoup d’aller-retour. En phase défensive, il n’est pas rare de les voir défendre bas pour apporter un soutien au latéral. En phase offensive, ils sont souvent mis à contribution par le jeu long propulsé par leur latéral. L'ailier doit donc avoir une bonne protection de balle. Il va lui être demandé de percuter balle au pied, faire des appels dans les half-space pour des centres en retrait ou rentrer dans l’axe pour combiner/tirer (Varela/Hulk évoluaient en faux pied tout comme Bale, jouissant d'une grande liberté, lors de sa première saison avec Tottenham).

Le 9, en l’occurrence Falcao la plupart du temps à Porto (parfois Hulk) est un point de fixation qui n’est jamais isolé. Les milieux et l’ailier droit viennent très souvent en soutien pour combiner.

 

Animation de la phase défensive

Toutes les équipes coachées par Villas-Boas ont en commun une ligne défensive haute même si les contextes étaient différents. Des défenses comme Porto ou Zenit évoluaient dans un certain confort du fait d'adversités moins relevées. Peu testées et mises à contribution par la plupart des formations évoluant dans leur championnat respectif,  le rapport de force et les intentions adverses différaient nettement pour les Tottenham ou Chelsea d'AVB.

En ce qui concerne le jeu sans ballon, les portugais effectuaient un cadrage haut et enclenchaient un pressing dès la perte du ballon. Dans une recherche de verticalité constante. C'est effectivement quand l’opposant est en pleine phase de transition qu’il est le plus vulnérable.

 

Conclusion

A ce jour, Porto est toujours le meilleur bilan de Villas-Boas sur tous les plans. Résultats sportifs, identité de jeu, esthétisme, adaptabilité à l'adversaire... Même si le microcosme culturel et le matériel humain dont il a disposé jouaient en sa faveur, il a su les sublimer. AVB nous a démontré qu'il n'était pas qu'un analyste pointu mais également un coach avec un projet et les arguments pour faire adhérer ses équipes à celui-ci. On peut donc se demander quelles difficultés il a pu rencontrer pour ne pas parfaire cette philosophie lorsqu'il a atterri chez nos amis britanniques avec les moyens plus conséquents qu'il allait avoir à sa disposition.

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