AVB (4/5) - L'OM et Bel Ami à la recherche du temps perdu

DOSSIER TACTIQUE | Le recrutement d'André Villas-Boas a poussé l'équipe OMForum à enquêter sur la trajectoire d'un coach annoncé comme un surdoué à ses débuts. Les contextes rencontrés par ce technicien sont radicalement différents de sa période portugaise jusqu'à sa récente nomination. C'est pourquoi nous avons décidé de faire un dossier en plusieurs parties avec chacune un angle différent.


1. Porto ou l'apogée de son dogmatisme

2. Chelsea, une marche trop haute et un peu savonneuse

3. Tottenham, le pragmatisme prend la main

4. L'OM et Bel Ami à la recherche du temps perdu

5. Le coach idoine dans une équation insoluble


Après l’Angleterre et sa Premier League sur-vitaminée, après le mystérieux championnat russe et la faible Super League chinoise, ce sont 2 années de césure -dont on peut apprécier certains temps forts sur Instagram- qui ont précédé l’arrivé de l’ancien prodige des bancs à l’Olympique de Marseille.

2 années (vingt mois en réalité) suffisantes, couplées aux altitudes du désintérêt asiatique, pour passer sous les radars. À croire certains échos, le brillant polyglotte n’a pas manqué de sollicitations mais réservait son retour pour le projet idoine.

"La première saison à Tottenham a été magnifique. En avril, nous avions prévu la saison suivante, proposé des achats et des ventes, mais les dirigeants n’ont pas suivi ces recommandations et cela a détruit en peu de temps ce que nous avions créé la saison précédente. À l’été 2013, j’avais également reçu une proposition du PSG, qui me voulait, et je l’ai refusé par amour pour Tottenham. Peut-être que c’était une erreur."AVB

6 ans plus tard c’est donc dans le contexte d’un club de province qu’il échoue. Un contexte que l’on qualifiera de très favorable à bien des égards.

Un contexte favorable pour quiconque arrive avec des idées

Tout d’abord André Villas-Boas hérite d’un effectif qui sera certes, sans nul doute amputé de certains joueur de qualité sacrifiés sur l’autel démoniaque du Fair Play Financier, mais qui reste fort. Un effectif sous performant durant les longs derniers mois, comptant en son sein des espoirs et internationaux. Si les ombres retrouvaient, en amont d’un Euro, ne serait-ce que leur niveau « normal », nous pourrions déjà afficher un certain optimisme.

De surcroît, il n’est pas question de révolutionner l’équipe. AVB l’a signifié, les joueurs à disposition sont de qualité et le recrutement ne devrait viser que quelques postes frappés par les départs (1 défenseur central pour compenser la saignée médicale des fins de contrat, 1 milieu en cas de départ de Sanson/Lopez/Strootman/Luiz Gustavo, 1 latéral gauche, 1 avant-centre, et un ailier si Thauvin signe à l’Atletico ou l’Inter). La situation n’est pas sans rappeler celles que connurent Elie Baup ou Marcelo Bielsa voire plus loin Alain Perrin… Nul trait commun entre ces 3 techniciens si ce n’est d’avoir su relancer des effectifs après de piteuses saisons.

Il y a matière à croire que la motivation et son corollaire la performance, aient un fonctionnement physique proche de celui du ressort. Ce ressort que Garcia a brisé, il faudrait être sacrément mauvais pour ne pas le réanimer. Villas-Boas a l’habitude des effectifs marqué par un passif. Il a rarement eu l’occasion d’en façonner à son image. Il devrait trouver ses marques dans cet exercice.

L’autre attente forte du public, mais également des joueurs, tient dans les idées et les intentions. Contrairement à son arrivée à Chelsea et sa confrontation à un vestiaire rétif, le nouvel entraîneur de l’OM va pouvoir se refaire les dents sur un groupe revanchard à la recherche d’un second souffle. Cette relative stabilité couplée au besoin d’une nouvelle identité de jeu présente des similitudes avec les conditions de ses arrivées à Porto ou aux Spurs où il réussit de brillantes premières saisons.

Par ailleurs, l’intégration du coach portugais s’inscrit également dans un cadre idéal du fait de la relation qu’on lui prête idyllique avec Andoni Zubizarreta. Cette entente ibérique entre deux personnalités diplomates doit le préserver des contrariétés rencontrées sur les mutations de joueurs à Tottenham- entre les ventes décidées par Daniel Levy en fin de mercato (Modric, Bale..) et les recrues inadaptées à sa philosophie signées Franco Baldini.

Jacques Henri Eyraud est de plus le héraut de la stabilité comme nous l’avons tristement constaté. Il tiendra évidemment à installer son nouvel entraîneur dans le même confort absolu.

Vraiment, André semble avoir choisi un point de chute idéal pour relancer une carrière qu’il destinait courte (10 ans) et dont il a déjà fait plus de la moitié du chemin (6 ans en poste). Seule ombre, mais à peine menaçante, presque rien, il est soumis à l’OBLIGATION VITALE ET ABSOLUE d’atteindre l’objectif du club : la qualification en Ligue des Champions. Et cela pourrait bien avoir quelques incidences.

A quel AVB aura-t-on droit tactiquement ?

L’un des points à retenir de notre dossier tient dans le changement de cap idéologique opéré par AVB au carrefour de son aventure londonienne. Si ces débuts au Portugal sont marqués par une approche tactique dogmatique érigée sur 3 principes : 3 vrais attaquants, une défense haute et une recherche permanente de la verticalité assassine, ses convictions vacillent en Premier League où il opte pour un 451 plus équilibré et des préparations plus longues.

André Villas-Boas Zenith

Ce basculement s’illustre dans l’empreinte mémorielle : les fans de Tottenham gardent en souvenir un « Boring Tottenham » quand les supporters de Porto vibrent encore à la mémoire d’un des plus grands crû de leur glorieuse histoire.

Tous les spiritueux ne se bonifient pas avec le temps. Nous pouvons craindre d’hériter du Villas-Boas pragmatique traumatisé par l’intensité de la PL. Mais nous pouvons aussi espérer retrouver l’ingénieux et créatif technicien à l’approche transitionnelle innovante.

Auquel cas, que ce soit dans un milieu à pointe basse ou pointe haute, nous verrons un bloc équipe compacté par la hauteur de sa ligne défensive, du jeu direct, des appels tranchants dans le dos des défenseurs, dans l’axe ou les côtés. Nous verrons l’OM mettre la pression sur l’adversaire. Cette intensité ne s’opérera pas nécessairement par un pressing tout terrain mais pas un cadrage des offensives adverses au milieu pour offrir de l’espace derrière les défenseurs adverses lors des transitions. Nous verrons des seconds ballons disputés avec âpreté et des milieux se projeter dans toutes les zones du terrain (notamment les « halfspaces »). Les montées des latéraux seront elles dictées par l’impératif de la rencontre en cours : 2 latéraux offensifs s’il faut marquer, une sécurité avec 3 défenseurs dans les oppositions plus disputées.

Nous verrons également des variations subtiles de l’animation offensive, des asymétries avec un ailier faux pied et probablement des tentatives de frappes lointaines et des déséquilibres. Un football direct et offensif en somme qui accule l’adversaire à l’erreur… Droit au But !

Dans l’hypothèse inverse, ce serait plus un 451 avec un double pivot pour apporter le sacro-saint équilibre, des constructions patientes et une verticalité focalisée sur les ailes (moins dangereux). Il faudrait surtout compter sur les différences individuelles pour marquer et jouir de courts succès. La recette est moins enivrante et a moins de chance d’aboutir à l’adhésion sur le long terme… Elle repose trop sur les solistes offensifs et fait craindre une dépendance à l'exploit individuel trop vue ces dernières années.

Cette narration des intentions doit bien sûr heurter violemment (extatiquement ou non) le concret ; en l’occurrence l’opposition offerte par notre bonne Ligue 1 et l’adhésion/adéquation du matériel joueur au projet…

En ligue 1, les idées se fracassent…

Quelle sera donc le comportement, l’ajustement tactique, opéré par André Villas-Boas face aux formations de Ligue 1 ? Dans le pauvre spectacle offert par notre championnat, les équipes et le jeu se distinguent notoirement par leur dimension athlétique, l’importance des duels et la discipline tactique.

Il faut comprendre dans cette litanie assénée sur toutes les antennes que nos tacticiens domestiques prônent en général une certaine frilosité par la recherche quasiment obnubilante de l’équilibre.

Instiller du déséquilibre dans des organisations défensives s’annonce comme une gageure dure à soutenir. Les projections des milieux de terrains, la verticalité axiale, prônées par le « type élégant » cher à Andoni pourraient se trouver vite punies par les transitions rapides adverses et la vitesse de certaines équipes.

Cette faculté à procéder par contres et transitions rapides rapprocheraient la Ligue 1 de la Premier League sur laquelle l’ambitieux André s’est cassé quelques chicots. Mais elle n’en a pas l’intensité.

Comme pointé dans les volets précédents, la maîtrise du tempo est essentielle pour faire de la verticalité efficacement. Pour cela il faudra compter sur des rampes de lancement intelligentes en plus d’être habiles techniquement. La supériorité technique face à 80% des formations de ligue 1 devrait permettre de dominer au milieu, d’imposer les variations rythmiques.

Reste qu’il ne faudra pas trop compter sur les adversaires pour se découvrir lors des transitions offensives et que certaines phases à la Porto seront délicates à concrétiser. Je subodore par ailleurs que pour veiller au grain sur les pertes de balles qui adviendront nécessairement (surtout si le jeu déployé est ambitieux), AVB privilégiera le 4-5-1 avec un double pivot composé de joueurs défensifs.

Plus entraîneur que Manager ?

« Je pense que Twitter reflète cette vison court-termiste, le besoin de succès immédiat non seulement de la part des coachs mais de tous les employés. J’ai décidé de rebondir loin de l'Angleterre malgré des offres par passion pour le coaching et parce que j’adore enseigner.  Ce que la Premier League offre, ce stimulus émotionnel, ce prestige, vous détourne de votre passion d’enseigner parce qu’il faut être focalisé sur le présent, sur la gestion des émotions des joueurs, gérer les médias et toutes les structures du club et cela vous prend un peu du plaisir qu’il y a à préparer un match et analyser une opposition […]. Etonnamment, il n’y a pas vraiment de place dans le football moderne pour la vision à long terme. Pour atteindre les objectifs sportifs et financiers […], le nouveau type de management (des coachs à succès) est émotionnel et s’adapte aux contraintes des nouveaux propriétaires dont les visions plus impatientes et extravagantes diffèrent des visions européennes traditionnelles […]. Mon idée, dans les clubs que je recherche est maintenant de retrouver ce plaisir de coacher. J’aime gagner évidemment mais j’aime en premier lieu être libre et heureux dans mon travail qui est de coacher des équipes professionnnelles. » AVB

Cette citation extraite d’une interview assez éloignée du contexte football et de l’exercice très maitrisé de la communication, rejoint certains propos accordés au media du club. Les précédentes parties de ce dossier ont parfaitement mis en exergue les difficultés d’André Villas-Boas dans l’exercice de la gestion humaine de vestiaires compliqués.

En pointant du doigt la place prise par le management des hommes dans le travail de coach d’une équipe première d’un grand club, AVB semble marquer ses distances avec cette approche. Ces propos, illustrent le fond de sa pensée –maturé par les années - et s’ils raisonnent comme une excuse à ces échecs patents anglais, ils dévoilent sans doute le fond du problème.

Le jeune portugais n’est pas ce meneur d’homme charismatique, ce mâle alpha emportant un groupe. Il n’est pas non plus ce personnage jovial et sympathique suscitant la sympathie collective et l’adhésion. C’est un mec qui réfléchit beaucoup isolément et c’est un homme de terrain en premier lieu. Sa belle présentation et son éducation bourgeoise ne doivent pas tromper quant à ses qualités réelles de communicant. Un homme intelligent et réfléchi sachant bien s’exprimer (dans plusieurs langues) n’est pas nécessairement l’habile maître de la langue du management footballistique. Son parcours à Chelsea et Tottenham est en tous les cas parsemé d’erreurs de positionnement et de difficultés relationnelles.

André Villas-Boas se définirait donc d’avantage comme un coach orienté terrain, entrainement, tactique, plus entraineur latin que « manager à l’anglaise » en somme. Le technicien s’appuie sur des méthodes éprouvées : la fameuse périodisation tactique. Cette méthodologie d’entrainement popularisée par la cohorte de coachs que le Portugal a exporté, à laquelle l’estimé Benoît Assou-Ekotto ne comprenait rien, vise à immerger les joueurs dans les conditions réelles de match. Par la répétition de situations, la mise en contexte et des exercices associant physique, technique et tactique, la périodisation tactique prépare les joueurs  l’intensité des oppositions à venir, s’adaptant chaque semaine aux profils des adversaires. Plus largement, elle vise à rendre réflexes des processus cognitifs décisionnels complexes.

Autre point d’excellence unanimement reconnu chez le tacticien AVB : l’analyse des adversaires. C’est dans ce rôle spécifique que l’élève de Sir Bobby Robson a brillé en premier. De fait, c’est également un grand adepte des séances tactiques et vidéo. L’analyse statistique fait d’ailleurs ressortir de très bonnes données sur les défenses des formations dirigées par le portugais. Cela est encore plus flagrant sur les coups de pieds arrêtés.

Tactique Villas-Boas

Notes préparatoires d'AVB avant Chelsea - Newcastel sous Mourinho

 

Son approche  du métier se définit également par la recherche du développement individuel des joueurs. Une ambition à laquelle le nouveau projet olympien post-formateur, est forcément sensible. Alors, faut-il voir dans AVB la figure rassurante de l’entraineur post-formateur valorisant ses ouailles amourachées, transformant n’importe quel Mendy ou Djadjédjé en Roberto Carlos ?

Une partie du paradoxe de cet entraineur moderne, précoce et précurseur tient dans l’inadéquation de certains de ses principes avec ses actes. Comment en effet, avoir pour Vision le développement de joueurs lorsque l’on n’est jamais demeuré plus de 18 mois sur le banc d’un club professionnel ?

Nos efforts pour battre en brèche toutes les idées reçues nous ramènent invariablement à une simple évidence. André Villas-Boas est jeune. Et il est peu expérimenté. Et il n’a jamais joui des conditions pleinement idéales pour déployer ses idées. A Marseille, il n’aura guère de ces faciles excuses à invoquer. Il comptera sur un staff élargi, de grande réputation (Will Coort, ancien entraîneur des gardiens de Porto qui le suit depuis son passage au Zénith, Eduardo Santos, physiothérapeute ayant défrayé la chronique pour son traitement de David Luiz avec lequel il travaille depuis la  Russie également, Daniel Sousa et José-Mario Rocha respectivement analyste vidéo et préparateur physique depuis les premiers pas du "Special Two")  et renforcé par une figure majeur du football européen, Ricardo Carvalho. Cela suffira-t-il pour ramener le Champions Project sur les rails du succès ?

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