LES MEILLEURS JEUX VIDÉO DE L'ÉTÉ

Cher OMForum, j’espère que tu profites bien de ton été, entre rumeurs de transferts et débuts de la L1. Ici, les paysages vidéo-ludiques estivaux ne sont qu’ordre et beauté, luxe, et calme pixelisés. Alors nous t’avons préparé une sélection qui pourra t’accompagner.

Outrun (Sega, 1986)

 

Au cœur des années 80, sort Outrun de Yu Suzuki. Un jeu de voiture « libre », quittant les circuits de Pole Position et de Hang On, et qui va devenir un hit absolu pendant une décennie. Maintes fois copié et porté sur différents supports, Outrun n’épargnera aucune salle de jeu, aucune fête foraine, aucun bistrot de banlieue, aucun camping de Palavas-les-Flots. Aujourd’hui encore, il n’est pas rare de voir une borne Outrun affamée de pièces de 5 francs dans le coin d’une aire d’autoroute du trajet des vacances.

On entend souvent qu’avant les années Playstation, les jeux vidéo étaient l’apanage des enfants et des geeks. C’est oublier bien vite  l’âge d’or des salles d’arcades, ces saloons modernes où les adolescents et jeunes adultes venaient décharger leur adrénaline et leur menue monnaie dans les bornes vidéo-ludiques.

Ces lieux de tous les vices paraissaient des donjons inaccessibles  pour les gamins  en mal de pilotage, et les grandes vacances estivales, le moment idéal pour soutirer quelques dizaines de francs aux parents protecteurs, résignés à nourrir l’affreux mange-fric japonais sur l’autel d’un bulletin de notes satisfaisant.

Les jeunes français des années 80 étaient majoritairement hétérosexuels. Ils ne se masturbaient pas sur les muscles bodybuildés de Vin Diesel et The Rock dans Fast and Furious, et préféraient Madonna et Samantha Fox. La blonde pulpeuse, princesse peroxydée qui accompagnait l’avatar du joueur sur le siège passager, était le premier objectif de Outrun : elle ne serait conquise qu’au prix d’un pilotage rapide et spectaculaire, et de la souplesse du doigté au volant de la Ferrari Testarossa dépendrait sa satisfaction quasi-orgasmique.

S’installer dans le baquet de la borne d’Outrun, c’était déjà entrer dans le monde des adultes. Tenir le volant et le levier de vitesse, puis choisir sur l’autoradio, la station de musique qui accompagnerait le voyage. Partir de Miami Beach sous les acclamations de la foule, et décider des routes qui défileraient sous les roues. A l’époque, ce décorum kitsch n’était pas ringard au point de servir de décor à une télé-réalité de NRJ12. C’était l’été qu’on voulait vivre un jour, en vrai, quand on serait grand et que nos pieds pourraient toucher les pédales.

Beach Spikers (Sega, 2002)

 

Le beach volley. More like “bitch volley”, am I right ? Il y a une vérité derrière les blagues un rien misogynes que l’on s’échange autour de la machine à café chaque année de J.O, et la discipline à ceci de commun avec l’industrie du porno que les femmes y sont mieux payées que les hommes. Du reste, la plage demeure ce lieu étrange, où il est tout autant affaire de pornographie que d’érotisme, deux concepts qu’a priori tout oppose.

 

 

Le caractère pornographique de la plage a tout d’une évidence, elle est ce lieu où tout est offert, où tout est immaculé : le ciel, la mer, la plage, et les corps bronzés de nos tentatrices (©). Le naturisme et le topless ne sont en fait que des nuances dans la nudité, car à l’inverse du sous-vêtement, le bikini ne cache pas, pas plus qu’il ne dévoile, il expose. Frontalement, sans ambages ni cérémonie. Fondamentalement pornographique dans ses motifs, dans ses couleurs, sans son échancrure. A la vérité, on est toujours nu, en bikini.

Pornographique, Beach Spikers l’est. Parce qu’on ne contrôle que des filles, et que leur plastique est généreuse. Et parce qu’il rejoint la grammaire du film de cul de deux manières différentes : par son éclairage naturel, sa photographie sans fard qui est celle d’un boulard américain de seconde zone, et par son gameplay en deux actes (une phase de réception/construction suspendue, avant le smash cinglant qui fracasse le sable), comme on alterne les scènes d'exposition et les scènes de sexe. Il ne s’embarrasse d’aucun préliminaire, punchy, très rapide et accessible (à la manière d’un Virtua Tennis), tel un quicky vidéoludique, où le joueur est invité à pilonner encore et toujours le même bouton, en se concentrant sur le seul timing du va-et-vient de son pouce droit. On tient probablement le premier jeu classé X sur console Nintendo.

L’érotisme est plus licencieux. Si la pornographie est une jouissance, l’érotisme s’épanouit dans la quête du secret, dans la conquête de l’intime. La pudeur y est soumise à la marée, tantôt mutine, tantôt docile, elle résiste et s’abandonne au gré des élans de la chair et du cœur. On comprend ainsi que sur la question érotique, la plage a tout du paradoxe : que reste-t-il de caché, dans ce lieu où tout se montre ?

 

Beach Spikers se risque à une réponse qui n’est pas sans rappeler celle de Rohmer dans « Conte d’Eté », où l’érotisme tient dans cette distance que Melvil Poupaud et Amanda Langlet n’arriveront pas à combler, alors même qu’ils savent tout du corps de l’autre. Sur la plage, la seule intimité est donc celle des sentiments, qui sont d’autant plus tus que le corps est bavard, Dans son mode carrière, Beach Spikers devient un crypto-jeu de drague lesbien : le joueur, créant son duo de Delphine & Hyppolyte, devra le faire progresser sur le sable chaud au fil des tournois. La subtilité, c’est que le joueur n’incarne qu’une seule des joueuses, devenant de fait la maîtresse de sa maladroite coéquipière. En effet, gérée par le CPU, Hyppolyte a tout d’une débutante ; Il est du devoir de Delphine de l’initier.

Au fil des matchs le joueur influe sur la relation du duo, distribue compliments, critiques et silences réprobateurs, avec la grâce et la dextérité du pervers narcissique. D’abord froide, la relation va sous l’effet du soleil et de vos manipulations se réchauffer peu à peu. On se congratule, on s’effleure puis on s’étreint, sous le regard d’une caméra complice de cette intimité nouvelle (représentée par un pourcentage d’affinité), dont elle devient le pendant fantasmatique. Les angles de vue se font de plus en plus osés : réception centrée sur les seins, gros plans sur la croupe de la smasheuse, ralentis stylisés comme du David Hamilton.

Et lorsque le jeu s’achève, Hyppolyte aura depuis longtemps dépassé Delphine. Mais l’essentiel est ailleurs. Dans cet amour secret qui s’est noué en public, dissimulé du regard des badauds qui n'ont d'yeux que pour leurs courbes et leur plastique avantageuse, mais qui ignorent tout d'un désir qui ne connait nulle mensuration.

Final Fantasy XII (Square-Enix, 2006)

 

L’été, certains jours semblent ne jamais devoir finir. Quand, accablé de chaleur et d’ennui, on somnole, on lézarde, on se perd, dans la contemplation des vagues ou d’une étape du tour de France. Quand l’été est à son zénith, quand le ciel bleu succède au ciel bleu et les cigales aux cigales, le temps s’écoule-t-il encore vraiment ?

Final Fantasy XII évoque à merveille ses sensations-là. D’abord parce qu’il s’y déroule (en tous cas son premier acte) sous un soleil de plomb, où l’on traverse cités orientales, plaines arides et déserts brûlants. Mais aussi parce que son gameplay et son level design sont tout aussi suffocants.

 

 

Dans son premier morceau de bravoure, le jeu invite le joueur à traverser une mer de sable, surplombée d’une gigantesque usine aujourd’hui à l’abandon. Pendant plus d’une heure, il arpentera les mêmes décors, affrontera les mêmes ennemis, poursuivant l’horizon qui se refuse à lui. Il se joue là quelque chose de plus que l’ennui. Dans ces cheminées aux sommets inaccessibles, ces rampes à perte de vues, dans ces reliefs absents, tout est fait pour que le joueur se sente écrasé, minuscule, démuni face au chemin qu’il lui reste à parcourir.

Le jeu cherche ainsi à abrutir le joueur sous l’effet de décors prolongés jusqu’à l’absurde, et son gameplay en pilote automatique (dans FFXII, on programme les scripts d’action de son équipe plus qu’on ne la contrôle véritablement) participent de cet étourdissement. Où le joueur s’efface, s’oublie, et où le jeu devient ce geste répétitif, ce coup de pioche du bagnard, qu’on effectue sans penser au suivant, accablé par la chaleur d’un soleil bien décidé à ne pas se coucher.

 

N’importe quel jeu de foot des années 90

 

 

On dit des jeux de foot actuels qu’ils sont moins tournés vers l’idée de simuler un match que sa retransmission télé. Pour autant l’idée n’est pas neuve : deux décennies plus tôt, le genre, pourtant encore résolument tourné vers l’arcade, poursuivait déjà un idéal télévisuel : celui, ensoleillé, de la « World Cup 94 ». Si cette compétition, d’un niveau pourtant moyen, aura à ce point marqué les esprits, c’est d’abord du fait de son décalage horaire. Pour le spectateur européen, habitué à la nuit tombante et aux éclairages artificiels, le spectacle d’un match de foot disputé en plein soleil a des effets euphorisants.

Si bien que sur console aussi, le foot des années 90 se joue l’après-midi, dans des stades pleins et chamarrés, au son des trompettes et des sifflets. Les matches s’enchaînent sur un rythme endiablé dans des stades aux couleurs chaudes et où l’ambiance est à l’avenant : le speaker d’ISS Deluxe hurle à chaque « goaaaal », tandis que sur Megadrive, FIFA permet aux joueurs de sonoriser eux-même leurs célébrations, en associant un son à chaque combinaison de touche. Et chaque équipe de Soccer Shootout possède son propre thème, donnant aux matchs une énergie et une dramaturgie proches d’un épisode d’Olive et Tom.

 

 

ISS Pro Evolution et son réalisme pointe le bout de son nez, mais la fête va durer encore un peu, dans les excès de l’absurde « Adidas Power Soccer », dans la bonne humeur sponsorisée de « Coupe du monde 98 », et puis, enfin, chez Sega et la série des Virtua Striker, mésestimée à l’ère du tout-simulation, mais qui portera le flambeau jusqu’au siècle suivant et l’épisode GameCube.

Plus que le passage de l’arcade à la simulation, c’est l’avènement du club au détriment de l’équipe nationale - acté chez FIFA puis contaminant ISS/PES - qui sonnera la fin de la fête. D’événementiel, le spectacle se fait hebdomadaire, et le jeu de foot cesse alors de se faire le miroir d’un après-midi d’été, pour devenir celui d’un banal Samedi soir.

Tropico 3 (Kalipso, 2009)

 

Devenir un dictateur ressemblant à Fidel Castro, d’une île ressemblant à Cuba, des années 50 à nos jours, voici ce que propose le city builder Tropico 3. Nature verdoyante, cité pétillante, les bidonvilles sont pimpants et la police politique chatoyante. Il me semble que le communisme serait moins pénible au soleil.

Et jouer au dictateur communiste dans Tropico : c'est très amusant. Le joueur peut prendre des décisions aussi variées que mégalomanes, utiles ou non, par intérêt ou par pur caprice. Vous pouvez détourner l’argent du pays pour dorer votre retraite, magouiller les élections, corrompre les opposants, faire un pacte avec l’URSS, vider les prisons vers la Floride.

Par ailleurs, le peuple à gérer est également extrêmement capricieux, et tous vos conseillers, impétueux et va-t-en guerre, contribuent à les infantiliser encore davantage. Vous ouvrez une école, les religieux gueulent. Alors vous construisez une église : les intellectuels manifestent. Vous organisez une élection pour apaiser les tensions : le clan loyaliste vous jugera trop mou. Vous développez l’autonomie industrielle de votre nation, les écologistes gueulent. Vous voulez développer un programme de traitement des déchets, vos citoyens jettent les poubelles par la fenêtre en se plaignant que c'est sale.

En somme, le jeu aurait pu être sous-titré "Jean-Noël Guerini Simulation" tant les possibilités sont nombreuses et loufoques, et  rappelle les quelques particularismes locaux et autres tempéraments fatigués de celles et ceux qui sont nés sous le soleil.

 

Ecco The Dolphin (Novotrade, 1992)

 

A sa sortie en 1992, Ecco The Dolphin constitua une petite révolution. Dans un paysage saturé par les jeux de plateformes et les armes à feu, Ettore « Ed » Annunziata eut l’idée de faire incarner Ecco, un dauphin « réaliste » et sans anthropomorphisme. Le contre-pied était mémorable. Ceci avait-il germé du Grand Bleu, de Sauvez Willy, de Flipper, de Galak, de Jean-Pierre Papin à Marineland  ? Toujours est-il que Ecco (et ses deux suites, Ecco Les Marées du Temps puis Ecco Junior) furent de grand hits de la Megadrive, et probablement les premiers succès « écolo » du jeu vidéo.

Progressiste voire avant-gardiste, dans ses thèmes sur la protection de la nature, solidement documenté sur la faune et la flore des environnements qu’il modélise, Ecco faisait office de jeu mature, presque sentencieux  dans le monde des consoles. Doté en sus d’une difficulté ahurissante, il en devenait intimidant pour un jeune joueur, et rares sont ceux qui ont su dépasser le pédiluve des premiers niveaux sans utiliser les cheat codes.

 

 

Mais toujours on revenait s’y rafraîchir. Pour ses graphismes dépaysants dessinant mers translucides et abysses océaniques, qui transformaient la télévision en aquarium virtuel. Mais aussi par ses compositions sonores, librement inspirées du rock progressif de Pink Floyd. Ces nappes sonores nimbaient de mystère et d’angoisse la profondeur des mondes que le fragile cétacé arpentait, à l’aveugle, seulement guidé par son sonar. Inquiétant, claustrophobe, pas encore tout à fait horror mais déjà survival, Ecco c’était un peu le Sound of Silent Hill.

L’histoire raconte qu’en guise de story board, Annuziata avait fait écouter « Wish You Were Here » de Gilmour & Waters à son équipe, afin que ces derniers s’imprègnent de l’atmosphère mystique qu’il voulait donner au jeu. Lorgnant vers Abyss de James Cameron, cette orientation science-fiction a pourtant été reprochée à la franchise, qui a fini par tomber dans l’oubli, avec un Ecco tout en 3D (Defender of the sea – Dreamcast et PS2) poliment boudé une décennie plus tard par le grand public, malgré des qualités reconnues. Un projet de kickstarter pour rebooter la série n'a pas trouvé suffisamment d'écho (lol) et reste mort-né, confirmant la réputation des dauphins infanticides.

Alors, trop clivant, le Ecco Pink-Floydien ? Trop ésotérique ? Que serait devenu Ecco aujourd'hui, si Ed avait été fan des Beach Boys ? Peut-être un grand playboy des fonds marins, qui fait rêver les ménagères ? Ou, plus probablement, un pathétique faire-valoir de Mario sur l’île Delfino ?

Nous ne le saurons pas. Contrairement au hérisson, le dauphin est mort mais ne s’est pas rendu (Jean de la Fontaine)

Chrono Cross (Squaresoft, 1999)

 

C'est une histoire qui débute et se termine sur une plage. Sur une plage naît le héros, sur une plage il mourra. Sur cette plage s'échouent les souvenirs, étaient-ce ceux d'hier, ou sont-ils ceux de demain ?

Jeu de rôle autour de l'identité et la mémoire, naviguant le long de voyages temporels, Chrono Cross frappe par sa mélancolie, dès les premières pages de son introduction. Résonnant en écho de son aîné Chrono Trigger, il narre l’inquiétante étrangeté à laquelle sera confronté le jeune héros, Serge, parcourant des lieux familiers mais où pourtant nul ne le reconnait, tel Ulysse de retour à Ithaque et que les siens ont oublié.

Dans les villages de Chrono Cross comme dans les temples shintoïstes, les maisons sont de bois et de papier. On n'y construit pas des cathédrales ou des châteaux pour défier les siècles et les cieux, on se niche dans des grottes au pied de montagnes millénaires. La prétention de durabilité et d'éternité y est une vanité.

La philosophie japonaise du shinto a longuement décrit l'impermanence de la nature humaine et son caractère éphémère (Mujō). La fatalité des forces de la nature, et la nécessité pour l'homme d'y vivre en harmonie durant sa courte existence (Mono no aware). Dans Chrono Cross, l'ennemi principal n'est rien de moins que l'inéluctable horloge qui consume le temps, littéralement, le Time Devourer.

On ne gagne pas à la fin de ce jeu là, et sa résolution a moins d'importance que le courant qui nous a porté pour l'atteindre. A l'horizon, le bleu du ciel et de la mer se rejoignent, sublimes, dans une écume amère d'être quittée. Il nous restera, ici et peut-être ailleurs, des réminiscences des moments passés, comme épargnés par le flot du temps. Des sensations, sans doute des images, probablement des sons. Pour ceux qui l'ont entendue, la musique de Chrono Cross reste inoubliable. Comme on écoute un coquillage pour entendre la mer, on écoutera la musique de Chrono Cross pour se souvenir de ces étranges vacances, où nous courûmes comme le vent, tandis que nos rires résonnaient, sous les ciels céruléens.

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