L.Lestrelin : "d'authentiques amoureux et connaisseurs du club"

OMForum décrypte | Le match contre Toulouse a finalement été relativement sans histoire pour l’OM, bien que très disputé et d’une intensité intéressante. Malgré les prolongations, l’OM a donné l’impression de maitriser son sujet, et le doublé de Cabella est venu concrétiser cette domination.


Pourquoi le Stadium de Toulouse était-il bleu et blanc ?

Ludovic Lestrelin "de très nombreux supporters de l'OM partout en France sont d'authentiques amoureux et connaisseurs du club"


Mais le vrai événement de cette rencontre a finalement été constitué par les insultes de Dupraz envers les supporters marseillais « Rentrez chez vous les marseillais, rentre chez toi ! » pendant le match et les déclarations après le match, en conférence de presse « Beaucoup de choses m’ont frustré ce soir. C’est insupportable pour moi qu’une agglomération de plus d’un million d’habitants ne fasse pas la loi dans les tribunes contre l’OM malgré les groupes de supporters qui ont fait le boulot. C’est insupportable de voir du bleu et du blanc partout… »

Un sociologue a justement écrit un livre passionnant sur le sujet, Ludovic Lestrelin, auteur de L'autre public des matchs de football. Sociologie des supporters à distance de l'Olympique de Marseille  (que tout supporter de l’OM devrait absolument avoir dans sa bibliothèque). Il a accepté de réagir sur le sujet dans une entrevue passionnante que nous vous proposons dans son intégralité.

Que penses-tu des déclarations de Dupraz sur les tribunes du Stadium ? Tu les comprends ? Tu les trouves justifiées ?

Alors pour répondre à tes questions, je pense qu'il est de bonne guerre de réclamer le soutien du public particulièrement dans une confrontation à élimination directe. Les déclarations de Pascal Dupraz viennent en tous les cas confirmer combien le soutien du "douzième homme" apparaît aujourd'hui aux dirigeants des clubs, techniciens ou joueurs comme absolument indispensable. Cela semble devenu une condition, parmi d'autres certes, mais une condition tout de même importante pour porter l'équipe vers la victoire.

Ce faisant, dans cette situation particulière, on reconnaît aux supporters un rôle primordial d'acteurs que le monde du football a du mal à leur reconnaître plus généralement. Ce paradoxe relevé, oui il faut bien avoir l'esprit que l'OM dispose de supporters dans toute la France et notamment dans le Sud Ouest. Cela tient largement à la période sportive glorieuse des années 1990 qui coïncide avec la montée en puissance de la télévision dans le football : l'OM est alors suivi par de nombreux amateurs de football. Le club est alors composé de vedettes talentueuses, dirigé par un président qui incarne la réussite de l'homme venu de tout en bas, porté par des supporters très visibles et organisés qui font le spectacle en tribunes, situé dans une ville populaire à la longue histoire migratoire... Le tout dans un contexte de vive rivalité avec le PSG. Tout ceci permet de faire marcher un plein un système d'oppositions qui produit un fort imaginaire.

L'OM en vient à incarner le club du "peuple" face à l'establishment, de la périphérie face au centre, du cosmopolitisme face à un PSG souvent associé alors à une frange raciste de supporters du Kop de Boulogne et, plus largement, l'OM en vient à être le club de toute la Province. Dans les années 1990, de nombreux groupes de supporters de l'OM sont créés dans le Sud Ouest. Les Zebda, groupe originaire de Toulouse, déclarent très volontiers leur amour pour l'OM, se rendent régulièrement à Marseille et entretiennent de solides amitiés avec des musiciens marseillais.

Il y a d'ailleurs une sorte d'axe musical et culturel Toulouse-Marseille autour de l'Occitanie. Massilia Sound System s'est très souvent produit en concert dans la région toulousaine et y dispose aussi d'un solide réseau de soutien. Bref, ce n'est pas du tout surprenant que le stadium soit acquis à la cause de l'OM. Ce n'est pas une spécificité toulousaine. Même si l'OM a connu des années très difficiles, le club reste très populaire partout en France et sa venue est toujours la garantie d'une forte affluence au stade pour le club qui reçoit. L'un dans l'autre, c'est donc aussi une bonne affaire en termes de billetterie !

La contrepartie pour le club recevant, c'est donc d'accepter d'être dans un stade acquis à l'adversaire

Pourquoi des toulousains ou des personnes des environs de Toulouse sont supporters de l'OM plutôt que du Tef ? Est-ce que ce sont des "footix pour toi" ?

Enfin, on voit bien que pointe dans les propos de Pascal Dupraz le registre de la "trahison", un type de critique souvent associé à cette forme de soutien déconnectée de l'ancrage territorial. Être de Toulouse et supporter l'OM, cela reviendrait à trahir ses couleurs en quelque sorte et par extension ses origines. L'autre type de critique renvoie au registre de l'imposture. On va volontiers qualifier ces supporters de "footix". Les formes contemporaines de suivi des clubs vont peut-être dans le sens d'une certaine légèreté et d'une certaine frivolité.

Il n'en reste pas moins que de très nombreux supporters de l'OM partout en France sont d'authentiques amoureux et connaisseurs du club. Les faibles résultats de l'OM depuis de nombreuses années prouvent bien que cette popularité extraterritoriale repose sur des fondements très profonds et solides. Que ce soit du côté de la trahison ou du côté de l'imposture, dans les deux cas, c'est bien la question de légitimité qui est posée. Elle se pose parce que les clubs de football sont des entités historiquement territorialisées.

Ils sont associés à des villes, voire dans certains pays à des quartiers. Sauf qu'avec l'importante exposition médiatique du football, ils peuvent aussi incarner des valeurs et représentations, symboliser d'autres formes d'appartenances, sociales par exemple. Cela va toucher des gens qui vont donc se mettre à soutenir une équipe à laquelle rien au départ ne les relie, ni leur lieu d’habitation, ni leurs origines géographiques ou familiales.

Bref, le football connaît des mutations profondes qui concernent les publics et impactent les formes de suivi. C'est là l'une des conséquences de la transformation des clubs en entreprises de spectacle, passage qui s'opère en France à partir des années 1970 et s'affirme dans les années 1980. L'avènement de ce "supportérisme à distance" en est un signe parmi d'autres.

 

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