CAPTAIN TOAD TREASURE TRACKER : L'ASCÈSE 64

WII U | Captain Toad : Treasure Tracker, un jeu faussement mineur qui incarne à la perfection les concepts du game design Nintendo.

 

Sorti en 2014, sur Wii U et dans l’indifférence générale - ce qui est un pléonasme - Captain Toad : Treasure Tracker se présente comme un spin-off de Super Mario 3D World (Wii U toujours, 2013) même si, spoiler alert, il s’agit en fait d’un prequel.

 

Goombas Posay

 

Le jeu est un puzzle game très légèrement teinté d’action, et plutôt simple dans son concept : Toad (ou son alter égo féminin Toadette) doit retrouver divers objets (étoiles, pièces, champignons dorés) dissimulés au sein de minuscules niveaux-dioramas. Les objectifs sont donc à peu près les mêmes que ceux d’un Mario 3D, dont il serait la version déshydratée, dans les dimensions des stages comme dans les moyens dont on dispose pour les explorer : un simple dezoom permet généralement d’observer un niveau en entier et d’en estimer les enjeux, tandis que le panel de mouvements du héros est des plus sommaires : marcher, courir, porter, lancer.

Pas de saut donc. Une anomalie pour un jeu du Marioverse, que le level design s’efforce d’exploiter au maximum, en offrant toujours de nouveaux moyens d’exploiter la verticalité des stages, à l’aide de mécanismes à actionner dans le bon ordre ou de gimmicks exploitant le gamepad de la console : ascenseurs s’activant par le souffle ou le toucher.

 

EASY TO LEARN, EASY TO MASTER

 

D’une simplicité proverbiale, le jeu n’enrichira pourtant jamais sa grammaire initiale, les règles du jeu ne varieront pas. La difficulté augmente d’une manière invisible, accompagne l'apprentissage du joueur sans trop d'embûches sur son chemin : et l’on découvre peu à peu le potentiel du concept, ses différentes applications (labyrinthes, jeux de perspective, cache-cache, etc) au gré des progressions du level design.

 

Toad Glissade

 

S’il a les atours du jeu indé (concept prégnant et pitchable, d’une envergure modeste), il y applique les réflexes du « game design pour tous » sur lequel insiste Nintendo. On imagine aisément qu’un jeu indé reposant sur les mêmes concepts cèderait assez vite à la tentation des escaliers de Penrose, des perspectives tortueuses se jouant de la gravité, et/ou n’hésiterait pas à proposer des variations autour d’un même thème, en infléchissant les règles de départ. On pense par exemple à Braid, chef d’œuvre de jeu de plateforme « post-Nintendo » (car le jeu se réfère et s’articule notamment autour de son rapport à Super Mario), qui rajoute ou modifie des contraintes d’un monde à l’autre, ou à Thomas Was Alone, qui invente constamment de nouveaux personnages (et leurs pouvoirs associés). Même Nintendo s’est prêté à l’exercice, avec le jeu Pullblox et ses déclinaisons, puzzle games  « à concept » à la difficulté finalement infernale.

 

SOFTCORE GAMING 101

 

A l’inverse, Captain Toad est un professeur patient et affable, qui propose des leçons pour tout type d’élèves : chapitré en trois tomes qui sont autant de conclusions pour le joueur occasionnel, le jeu distille idéalement ses nouveautés et ses difficultés, avec pour effet de maintenir l'attention et la curiosité des joueurs les plus aguerris. C’est une difficulté en pente douce,  véritable épreuve pour le néophyte et sympathique hygiène pour le vétéran, qui garde ainsi la forme et profite du paysage.

 

La ruée vers l'or

Enfin, le jeu propose pour les meilleurs élèves des exercices approfondis pour « aller plus loin », à l’image d’un manuel scolaire. Les niveaux proposent tous leur lot d’objets cachés et de défis secondaires, avec un niveau d’exigence accru, sans sévérité manifeste toutefois. Exception faite d’un dernier niveau (caché) au cours duquel Nintendo s’essaie au rogue-like et aux niveaux générés aléatoirement, et qui à l’instar de la Champion’s Road de Super Mario 3D World est d’une difficulté hallucinante et semble narguer les râleurs nostalgiques du Net, ceux qui moquent "l’infâme facilité" des productions Nintendo contemporaines. Le temps d’un stage, il semble leur demander : « Etes-vous certains que tout ça vous manque ? »

 

LE PREMIER JEU DU RESTE DE TA VIE

 

Les derniers Zelda en date montrent que Nintendo ne sait pas comment préparer le joueur à la complexité croissante de ses jeux. Twilight Princess offre un tutorial qui s'étend sur plusieurs heures, et qu'une narration timide ne saurait masquer, tandis que derrière ses promesses de jouabilité transparente (la wiimote comme prolongement du bras du joueur), Skyward Sword rabâche inlassablement conseils et consignes au joueur asphyxié. Mais ces échecs rappellent l'essentielle différence d'approche entre Nintendo et ses concurrents : eux n'oublient pas de s'adresser aux débutants.

Et en effet, Captain Toad est un jeu pour débutants.

 

Boo !

 

A supposer que vous ayez un minimum d'expérience de joueur, Captain Toad ne va pas vous éblouir. C'est un jeu solide, malin et abouti, qui n'invente rien sur le plan du gameplay. Mais il vous rappellera peut-être pourquoi vous êtes toujours là après toutes ces années. C'est qu'il y a ici quelque chose de virginal, quelque chose qui tient du sempiternel "premier niveau de Super Mario Bros", car le jeu fait fi de tout un pan du corpus vidéoludique établi. A l'écart des jeux pour gamers, dont on minimise trop souvent la complexité (on oublie que les manettes peuvent être très intimidantes pour le néophyte), et des jeux pour non-gamers qui s'articulent autour d'expériences itératives et immédiatement gratifiantes (type Candy Crush Saga), Nintendo s'adresse à une troisième catégorie : ceux qui ne le sont pas encore.

 

La conversion des "non-joueurs" en "joueurs" était un des objectifs principaux de la présidence de Satoru Iwata. Entre l’échec de la Gamecube, vécue comme l’explosion d’une bulle de complexification du jeu vidéo (une surenchère de mécaniques de jeu – incarnée par des manettes ayant de plus en plus de boutons - qui augmente le coût du ticket d’entrée pour un non-joueur) et la réussite empoisonnée de la Wii (une sur-simplification des concepts qui a vite lassé le grand public, qui s'est finalement tourné vers la production smartphone et le free-to-play), le quotidien de Nintendo semble fait d'allers-retours afin de trouver la meilleure réponse à la question suivante : « jusqu’où peut-on simplifier un jeu ? ». Avec comme objectif non pas uniquement de vendre un produit au consommateur, mais de lui donner envie d'acheter le suivant. Car la meilleure façon de vendre un jeu vidéo, c'est certainement de l'expliquer.

 

A ce titre, Captain Toad : Treasure Tracker ferait presque office de reboot de 30 ans du bagage culturel de Nintendo. S'il peut se permettre de se passer d'un vrai tutorial, c'est parce qu'il remet un certain nombre de compteurs à zéro, et parce qu'il a confiance en l'éloquence de son concept. Ça n'est pas un chef d'oeuvre, c'est mieux que ça : c'est un jeu qui donne envie d'en découvrir d'autres.

 

4 comments

  1. PoF 31 mai, 2016 at 17:50

    Super article.

    Ma copine m’a demandé 2 ou 3 fois pourquoi on l’achèterait pas, je réponds toujours : « C’est de la réflexion, ça va pas te plaire » (Elle le voit vraiment comme un Mario pur jus).

    Je me demande si la prochaine fois, je cèderai pas.

    Pour la simplification des jeux, c’est en fait une tendance globale qui s’étend à tous les jeux, Nintendo ou pas et de laquelle tente de s’affranchir la scène indé (parfois très fermée sur elle-même) en proposant souvent des jeux volontairement trop difficiles pour faire genre « Héhéhé on est pas UBI nous, on fait des jeux pour hardcore-speedrunners ! »

    De plus en plus, on recherche un juste milieu entre le « Grand public trop facile » et le « Indé trop hardcore » et si, comme tu l’entends, Nintendo tente d’éduquer les joueurs afin d’introduire progressivement une augmentation de la difficulté sur de prochains titres, alors ils sont sur la bonne voie pour (continuer à) faire de bons jeux.

    • G.bédécarrax 1 juin, 2016 at 10:42

      Le truc c’est que, si la majorité de la production mainstream est effectivement composée de jeux ‘simples’ (type Uncharted, les Assassin’s Creed, GTA, les Batman de Rocksteady, etc), elle a tendance à oublier qu’elle repose sur un certain nombre de présupposés, ne serait-ce que le mapping des boutons, que les jeux se partagent de plus en plus : les gâchettes pour accélérer/reculer, un bouton d’action contextuelle, ce genre de trucs. On a beau crouler sous les tutoriaux, ce sont des jeux qui partent du principe que l’utilisateur sait déjà un certain nombre de choses. C’est là à mon avis tout le paradoxe de la production console, qui s’adresse à des gens qui sont déjà des joueurs. D’où un âge moyen du joueur en constante augmentation, et un marché qui rétrécit peu à peu : c’est une population qui se renouvelle peu, car sur Playstation comme sur Xbox, les jeux ne cherchent pas à éduquer (j’oublie volontairement le PC, qui culturellement est quand même un truc de barbus, qui aiment quand ça croque sous la dent).

      C’est en ça que je trouve que Captain Toad a quelque chose d’un manifeste, même accidentel. C’est certes un jeu facile, mais c’est aussi un jeu formateur, qui part d’une page presque blanche. J’ai réalisé en observant ma copine – qui se fout globalement des jeux vidéo – jouer à quel point le jeu savait se montrer pédagogue, et j’ai aussi vu que le jeu n’était pas si facile : il est surtout parfaitement calibré pour ceux qui n’ont pas l’habitude de jouer. Sans pour autant renier ce qui fait l’essence du medium, le gameplay ne s’en trouve pas appauvri. C’est avant tout une initiation au jeu vidéo, un geste précieux car isolé, à un moment où les jeunes joueurs se détournent vers le smartphone et sa production en moyenne indigne (Heureusement, il y a aussi Minecraft).

      Après, je pense que ça tient surtout à une question de proportions. Tout a été dit sur le premier niveau de Super Mario Bros que je mentionne dans l’article, la manière dont il expose ses concepts en partant du principe que la personne qui tient la manette « vient de naître ». En particulier, le fait de positionner Mario sur la gauche de l’écran est une invitation à se diriger vers la droite; le fait qu’on ne puisse pas revenir en arrière tient lieu de confirmation : le joueur sait d’emblée ce qu’il doit faire, où il doit aller. Dans Captain Toad, on a tout de suite une vue d’ensemble du niveau, l’étoile de fin de niveau est directement visible, l’objectif est clair. Si les Super Mario en 3D se vendent moins bien que les Super Mario 2D, c’est certainement pour cette raison. J’ai mis du temps à accrocher à Super Mario 64 parce qu’avant de savoir comment franchir les obstacles, il fallait que je les trouve. On peut considérer que cette façon de faire flatte la paresse et le manque de curiosité, je préfère penser que c’est un premier pas dans cette direction.

      En l’état Captain Toad ne passionnera pas les joueurs aguerris : pour moi ce fut une excellente récréation, un jeu de relaxation avant tout. Mais tout du long, je ne pouvais m’empêcher de penser à quel point j’aurais adoré ce jeu si j’avais eu six/sept ans.

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