The Assassin : la beauté à contre-pied

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CINÉ FOOTBALL CLUB | Pour le profane, The Assassin de Hou Hsiao Hsien est assurément surprenant. L’affiche officielle dévoile une guerrière vêtue de noir (Nie Yin Niang, jouée par Shu Qi), tenant un sabre et dont le titre THE ASSASSIN semble indiquer qu’elle va découper du bad guy en rondelles durant le film selon les usages du Wu Xia Pian (le film de sabre chinois). Mais les apparences sont trompeuses. Vous pensiez-voir des duels sanglants à coups de dao ? Des combats en équilibre sur le faîte d'une forêt de bambous ? Une victoire à domicile de l'OM ? Comme vous vous trompiez...

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LE RÉALISATEUR : HOU HSIAO HSIEN

A bien des égards, le cinéma de Hou Hsiao Hsien cultive l’art du contre-pied : le réalisateur taiwanais filme ses histoires selon des angles inattendus, qui déstabilisent le spectateur non-initié. Ce The Assassin n’est ainsi pas un Wu Xia Pian comme les autres : contrairement aux grand succès du genre que nous connaissons en occident (Hero, Tigre et Dragon, Detective Dee, Kung Fu Panda), les combats au sabre et les chinois volants sont ici réduits au minimum de la pellicule. A la place, Hou Hsiao Hsien a composé une chorégraphie picturale dont il s’est fait le spécialiste : car il est d’abord un esthète de l’image, image qu’il sculpte et compose avec l’inspiration d’un artiste-peintre ou du coiffeur fou de Romain Alessandrini.

Historiquement, le Wu Xia Pian est composé de deux branches majeures : celle de Chang Cheh et du vénérable studio Shaw Brothers, qui ont développé un wuxia axé autour des arts martiaux, viril et violent (La saga des One-armed Swordman , Les Cinq Maitres de Shaolin…) à une époque où Josip Skoblar enchainait les buts avec l’OM et fracassait Domenech façon Bruce Lee. C’est le Wu Xia Pian que l’on connait majoritairement en Occident, celui des Tsui Hark, John Woo, ou Zhang Yimou. Et puis une autre ramification, antérieure, qui lui a donné ses premières lettres de noblesse : celle de King Hu, qui chorégraphia un wuxia esthétisant et aérien, émaillé de combats chorégraphiés par la danse davantage que par le kung-fu. C’est un wu xia pian d’héroïnes plutôt que des héros, dont la filiation de The Assassin est directe. Si les films de King Hu inspirent régulièrement les jeunes réalisateurs (Le culte Touch of Zen peut être vu comme l’ancêtre du Secret des Poignards Volants, Dragon Inn comme l’influence canonique du récent Hateful Eight de Tarantino), rares sont ceux qui en ont retranscrit l’esprit.

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LE SCRIPT : HOU HSIAO HSIEN, T’IEN-WEN CHU

Brièvement, l’histoire se déroule en Chine au 7ème siècle sous la dynastie Tang, période troublée de reconstruction du pays, période corrompue et violente, période qui n’est pas sans nous rappeler celle de l’Empire du Milieu de Gastong Defferre. L’Assassin Nie Yinniang est chargée par son mentor, la nonne Jiaxin, d’exécuter un dignitaire corrompu du régime. Elle s’exécute, mais une fois sur place, ne peut supprimer sa cible, qu’elle surprend en famille avec son jeune fils. Ta technique est irréprochable mais tu es prisonnière de tes sentiments, lui reproche la nonne à son retour. Pour l’aguerrir, elle lui donne un autre contrat : exécuter son propre cousin et amour d’enfance, le monarque de la province militaire de Webo. Niveau difficulté, c’est un peu comme si, après avoir échoué à gagner la Coupe de Chine de football, on vous demandait de ramener la Coupe d’Asie.

L’histoire n’emprunte pas les canons des scénarios hollywoodiens (situation initiale, élément perturbateur, développement, climax, résolution et situation finale). Ses contours sont aussi peu définis que l'organigramme de l'OM, et en filant toujours la comparaison avec la peinture, le script pourrait être qualifié d’impressionniste. Les protagonistes sont esquissés par quelques touches, fugacement caractérisés. Le film ne saisit qu’un moment, qu’une tranche de vie, et alors que son histoire parait débuter bien avant que nous n’entrions dans la salle, elle ne semble pas s’achever une fois que nous la quittons. Le scénario est circulaire, et la situation finale n’est pas si différente de la situation finale. Il n’y a pas de coup d’envoi ni de sifflet final, il n’y a pas forcément d’évolution du score, mais c’est beau à voir, très élégant. C’est un peu comme regarder une équipe coachée par Michel avec la caméra de télévision qui ne filmerait que son costume bleu pétrole. Splendide.

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CHEF OPÉRATEUR : MARK LEE PING BIN

Mark Lee est le chef-op historique de Hou Hsiao Hsien. Contrairement à d’autres cinematographer stars du moment (Emmanuel Lubezki, dans The Revenant), il ne cherche pas la virtuosité des mouvements de l’objectif. Point ici de steadycam dynamique, de panneautages panoramiques, de contre-plongées acrobatiques, de bicyclette à la Ocampos : son image brille par la précision du cadrage (carré) qui la délimite, et en son sein, par la composition qu’elle révèle. Sa caméra ne crée pas l’action, elle témoigne, par plans-séquences discrets et délicats, de l’intimité des protagonistes, soulevant ici un voilage, s’immisçant là-bas dans une pagode. Elle enveloppe les décors et les corps d’un ballet de couleurs éblouissantes, dans lequel, par le jeu subtil des lumières, teintes chaudes et froides circulent, se mêlent et s’envoutent, structurant chaque scène d’un chromatisme rouge bleu et or rarement vu. Il n’y a sans doute que le cinéma pour procurer un tel spectacle visuel, et le prix de la mise en scène au dernier festival de Cannes s’explique en grande partie par cela.

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MONTAGE : CHING SONG LIAO

Les plans sont longs, et par conséquent, le montage de Ching Song Liao s’évertue à rompre les plans-séquences par des scènes très cut, sèches et dynamiques, de combats à l’épée. Ces scènes sont rares mais efficaces, valorisées par le contraste crée par le montage. La méthode de travail de son réalisateur valorise cela : quand un George Miller (Mad Max) va storyboarder pendant des heures comme notre dessinateur PoF et répéter minutieusement chaque scène avec ses acteurs, HHH effectue une préparation minimale pour le tournage, et se satisfait souvent de ce que font ses acteurs à la 1ère prise. En résumé, HHH cultive un rythme lent, limite l’action, travaille peu avec ceux qu'ils dirigent et se concentre avant tout sur la caméra. Là encore, Michel likes this.

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ACTRICE PRINCIPALE : SHU QI (Nie Yin Niang)

Shu Qi est comme un footballeur africain, le temps ne semble pas avoir de prise sur elle. Véritable Bakayoko au féminin, ses 40 années en paraissent en peine 30, comme si son Millenium Mambo (ou Le Transporteur...) avaient été tournés hier.

Elle incarne durant 90 minutes, avec une sobriété et une classe dignes de José Miguel Gonzalez del Campo, la parfaite assassin(e) Nie Yin Niang, véritable wonderwoman au pouvoir illimité. Or son pouvoir, elle n'en use pas. Non pas par incompétence, mais par choix.

Le pouvoir est-il détenu par celui qui peut distribuer la mort ? Dans la philosophie taoïste, l’ordre des éléments de la nature est infiniment plus précieux que la vanité d’une héroïne, fusse-t-elle la plus grande assassin de ce monde. La voie du Tao emprunte celle du wuwei, celle de la "non-action". Le vrai pouvoir est dans les mains de celui, ou de celle, qui pourra faire le choix de retenir son bras, quand l’abattre reviendrait à troubler l'équilibre des choses. A l’échelle du film, la philosophie de Nie Yin Niang et celle de Hou Hsiao Hsien sont similaires : comme en musique où le silence est aussi important que la note, dans The Assassin, la non-action filmée par HHH est aussi signifiante que l’action. Si le film hante, c'est aussi pour cela.

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