The Revenant : DiCaprio oscarisé, et après ?

CINE FOOTBALL CLUB | Ca y est, le monde du cinéma est en fête : Leonardo Di Caprio a enfin eu son Oscar. Mais que vaut The Revenant, ce film qui l’a consacré au panthéon Hollywoodien ? Revue d’effectif.

revenant

Le Script : Mark L. Smith, Alejandro Inarittu

Dès la bande annonce, le décor est planté : The Revenant, c’est du brut, du viscéral, de l’immersif, du tatoué : c’est un survival, ce genre cinématographique où on lâche un comédien dans une contrée qui lui est farouchement inhospitalière (Jon Voight dans Délivrance, Liam Neeson dans le Territoire des Loups, Zlatan Ibrahimovic dans Ligue des Champions). Il narre l’histoire romancée par Michael Punke du trappeur Hugh « Abou Diaby » Glass (Leonardo DiCaprio), laissé pour mort par ses compagnons de route dans les glaces du Dakota du Sud, et qui va revenir se venger en signant un contrat à l’Olympique de Marseille pour prouver au monde qu’il n’est pas tout à fait fini. Je vous fais la version courte, mais globalement c’est ça.

On comprend que Glass/DiCaprio va souffrir quand on lit que Inarittu s’est joint les services de Mark L Smith, scriptwriter pour Vacancy, Martyrs ou The Hole, c'est-à-dire des films où les héros (et héroïnes) en prennent cher dans leurs gueules. Donc même si vous savez qu'il y a des indiens dans le film, ne croyez pas qu'on est partis pour danser avec les loups.

L'acteur principal : Leonardo DiCaprio

Ça ne tarde pas : Leo est par terre, Leo hurle, Leo est gravement blessé. La faute à un grizzly qui, dès la 35ème minute, lui a salement éclaté la cheville sans même recevoir un carton jaune. Arsène Wenger a beau pleurer contre l’arbitre, en Angleterre cela ne se siffle pas, et dans le Dakota du Sud non plus. Du coup, Leo va devoir faire tout le film au ras du sol, rampant avec la détermination de celui qui n’a plus rien à perdre depuis que Jean Dujardin a reçu la récompense suprême et pas lui.

Va chercher ton Oscar Leo ! La balle à l’aile, la vie est belle ! Grimé en Sébastien Chabal (Taille Small lavable en machine), DiCaprio porte le film sur ses épaules, dans un rôle qui, par comparaison, ferait passer la survie de Bear Grylls dans Man Vs Wild pour les gentils crapahutages de Marcel Pagnol dans les collines d’Aubagne. Une belle performance sportive, physique et intense donc. Alors, Oscar mérité ? Oui bien entendu, au moins pour l’ensemble de son œuvre, mais il est ironique que Dicaprio soit récompensé pour un rôle aussi frustre et brut, quand tant de ses rôles ciselés avec finesse (Shutter Island, Aviator, Gatsby…) ont été boudés par le passé.

Le second rôle : Tom Hardy

Leo n’est pas le seul a en avoir bavé dans la neige, Tom était également de la partie (mais aussi toute l’équipe de tournage, le film ne se fait pas seul), et il incarne avec finesse le rôle du bad guy, pourtant écrit au burin. Si la performance de DiCaprio est physique, celle de Hardy est vocale. Né dans la bourgeoisie londonienne, formé dans l’académisme de ses écoles d’Art Dramatique, Tom Hardy ne s’exprime pas naturellement avec cette diction trainante et cet accent bouseux sorti d’un quelconque état sudiste américain. En réalité, Tom parle haut perché comme dans Downtown Abbey, avec une tessiture que ne renieraient pas les plus beaux sopranos de l’émission On Mouille Le Micro. Pourtant, de Mad Max à Raumont (Marie-Antoinette) en passant par Bane (Dark Knight Rises) aucune de ses voix n’est la même. Nicolas Canteloup est dans les cordes (vocales).

La musique : Ryuichi Sakamoto

C’est l’autre Revenant du film. Ryuichi Sakamoto, le compositeur culte de « Merry Christmas Mister Lawrence » (Furyo, en VF), précurseur de la musique électronique, samplé jusqu’à sa moelle spectrale par la scène hip-hop, revient d’un cancer de la gorge. The Revenant est le premier film majeur qu’il a mis en musique depuis (avec son fidèle acolyte Alva Noto) et cette mise en abyme donne à son travail une sonorité toute particulière. Point de symphonie lyrique ici, sa BO est solitude, jouée majoritairement au piano et accompagné de nappes électroniques délicatement anachroniques.

Le son : Martin Hernandez

Un des fidèles du réalisateur Inarittu. Martin Hernandez fut déjà le sound designer de Birdman, Babel ou encore Amours Chiennes. Mais surtout, il fut celui de Into The Wild de Sean Penn, autre survival initiatique où le rôle du son est majeur. Pendant que la caméra est collée au visage de DiCaprio, tout le ressenti du hors champ de la caméra est crée par le son de Hernandez. Si pendant le film, vous avez eu la sensation qu’un animal sauvage enragé comme un Genarro Gattuso allait se jeter sur Léo avant même que vous l’ayez vu, c’est grâce à Martin et son équipe.

Le montage : Stephen Mirrione

Mirrione est également un abonné de Inarittu, mais également de Soderbergh, puisqu’il avait remporté l’Oscar du meilleur montage pour Traffic. Le film choral, ce genre où la caméra passe périodiquement d’un point de vue à l’autre, autant dire qu’il connait bien. Pourtant, dans The Revenant, Inarittu a complètement délaissé ce genre qui fit son succès à ses débuts, avant que sa mécanique s’enraye. Ainsi le travail de montage est ici moins clinquant, moins tape à l’œil, et cherche avant tout à valoriser les plans-séquences de la caméra par quelques imperceptibles micro-raccords.

Je ne peux résister cependant à vous parler d’une des trouvailles du montage sonore qui a lui seul mérite le détour : A la fin de la première moitié du film, quand DiCaprio, gelé et ivre de douleur, arrache d'une peau de bête devant la caméra à la fin de sa scène pour s'en vêtir, le son de l’arrachement se prolonge sur la scène suivante, où Tom Hardy et son acolyte, venant d’abandonner le héros, s'enfuient dans la vallée. Ils lèvent brusquement la tête au ciel, où ce son semblable à l’orage vient de tonner sur leurs têtes. Ce montage souligne en peu d'effets, que la nature du combat a changé d’âme : la vengeance débute et les chasseurs deviennent les chassés.

Le Chef opérateur : Emmanuel Lubezki

C’est le virtuose de la caméra, le Lionel Messi de l’objectif . Lubezki est à la fois le cinematographer de Alfonso Cuaron (il a reçu l’Oscar pour Gravity) de Alejandro Innaritu (Oscar pour Birdman), et de Terence Malick (Nommé aux Oscars pour Le Nouveau Monde et Tree of Life). C'est-à-dire qu’il tient la caméra 1) d’un réalisateur dont l’œuvre s’oriente autour de l’action (Cuaron) 2) d’un autre qui filme la métaphysique planante (Malick) 3) et d’un dernier qui navigue entre les deux (Inarritu). Ce grand écart focal prouve que Manu sait tout faire avec sa caméra, eh Manu tu fais un travelling, eh Manu tu zoomes, eh Manu tu montes, eh Manu tu descends : c’est ton destin. Donnez-lui votre camescope et au bout de quelques heures, vous serez nominés aux Cesar sans avoir salopé votre vernis à ongles, façon Maïwenn Le Besco.

Lubezki est le véritable créateur de ce film, celui qui donne vie aux plans séquences virtuoses qui happent le spectateur. Celui qui capture la fragile lumière naturelle pour en réfléchir l’obscurité. Celui qui appelle Darty quand sa caméra numérique Arri Alexa dernier cri a gelé aux alentours de 9h moins 20°C. Et pendant que le couple Di Caprio – Lubezki valse à chaque extrémité de l’objectif, Inarritu tient la chandelle.

Le réalisateur : Alejandro Inarritu

Il est revenu, il a revu, il a revaincu, Alejandro a remporté son 2ème Oscar. Bravo à lui. Mais comme un an auparavant avec Birdman, il doit beaucoup, sinon tout, à son chef opérateur et à ses acteurs.

Le rôle du réalisateur est de donner un sens aux images que le chef opérateur va lui délivrer. Ce chef op, c’est son outil. Qu’est ce qui rapproche le chrétien Terrence Malick, prof de phénoménologie au M.I.T et traducteur de Heidegger avec le panthéïste Alejandro Gonzalez Inarritu, dont l’œuvre se raccroche à l’existentialisme ? Ils ont le même outil, Lubezki, mais ils n’en font pas la même chose. Quand dans Le Nouveau Monde, Malick suggère la transcendance par un plan lubezkien gorgé de lumière, Inarritu soulignera dans The Revenant, selon une démarche opposée, que Dieu n’est plus là (« Mon père a vu Dieu, c’était un écureuil bien dodu ; il l’a remercié et l’a mangé »). Momentanément absent, n’habite plus à l’adresse indiquée, faux numéro ? Alejandro ne tranche pas la question théologique, mais toujours est-il que Dieu est pas là et que les protagonistes sont condamnés à être libres, libres de vivre, de survivre ou de mourir dans ce triste monde.

Le message du film n’est pas franchement réjouissant, et peine à atteindre sa cible : l’existentialisme, c’est quand même plus réjouissant devant un Martini au Café de Flore qu’accoudé un glaçon à la main dans le ventre d’un cheval mort, sous deux mètres de neige. Alors que, bordel, y'a quand même un Oscar qui t'attend au coin du feu sur la cheminée, à la fin de la pellicule.

Pour ma part, si vous voulez mon avis, Alejandro, c’est le Roger Lemerre du cinéma : il a choisi ses hommes, parmi les meilleurs du moment, il les a fait jouer ensemble, mais au final, ils ont galéré jusqu’au but en or de Trezeguet pour remporter à l’arraché une compétition qui leur était pourtant promise. Le problème de Alejandro, c’est que son talent de conteur est porté disparu depuis 21 grammes, son dernier bon film. Et malheureusement, ce talent, lui, n’est toujours pas revenu.

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