TOULOUSE - OM, LA BIBLE DU NÉANT

HUMEUR | Parfois l'ennui est immortel

 

J’aimerais pouvoir vous dire que j’ignore les raisons qui m’ont poussé, après une trop longue journée et malgré foule de trucs à faire, à chercher un stream pour regarder Téfécé-OM. J’aimerais pouvoir vous dire qu’il s’agît d’une expérience un peu sale, du journalisme-gonzo du pauvre. Que je suis ce type tout nu qui se jette sur un cactus parce que, sur le moment, ça lui avait semblé être une bonne idée.

Sauf que je sais exactement pourquoi j’ai voulu regarder Téfécé-OM.

 

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Ce sont les toulousains qui donnent les coup d'envoi

 

C’est que ce Mardi fut une journée particulièrement normale. Je n’ai pas fraudé dans le tram, j’ai travaillé de manière consciencieuse, sans paresse ni entrain. Je suis allé en ville, acheter un cadeau pour le fils d’un ami. J’ai mangé 5 fruits et légumes. Et s’il avait fallu aller aux urnes, je crois bien que j’aurais voté socialiste.

Ce Mardi 23 Septembre, je n’ai pas ressenti grand-chose.

C’est à ça qu’on reconnaît une journée parfaitement ratée : elle vous donne envie de regarder un match du TFC. Souvent, quand un type se jette tout nu sur un cactus, c’est qu’il n’y a pas grand-chose d’autre à foutre, dans le désert.

 

La ballade de la couille élastique

 

J’avais 14 ans quand pour la première – et dernière - fois, j’ai joué au foot avec un caleçon. Ce qui m’aura valu une blessure des plus cocasses : une entorse de la couille. (droite). Croyez-moi sur parole : on ne soupçonne pas la plasticité de ses testicules. La mienne avait une forme inattendue, presque plate, grotesque; quelque chose comme le plan de coupe d’une hydrocéphalie, couronné d’une petite cacahouète. Quelque chose comme une miniature de la Pangée.

Le reste de la journée passa en un éclair. Un éclair de douleur qui me permit notamment de ne pas trop me formaliser lorsqu’une infirmière vint me raser les burnes. Opéré en urgence, je me suis réveillé, seul, dans une grande pièce mal éclairée, de la bétadine plein les cuisses. Lorsque ma mère vint finalement à mon chevet, la première question que je lui ai posée fut la suivante : « ils ont fait quoi, l’OM ? »

« Lyon menait 7-0 à la mi-temps »

Mké.

TOUT CA POUR DIRE : ce devrait être mon pire souvenir footballistique. Ce devrait être le pire souvenir footballistique de n’importe qui, en fait.

(bon, peut-être pas des enfants de Marc-Vivien Foé).

Mais c’est sans sourciller que je l’affirme : vomir de douleur,  exhiber ses couilles asphyxiées  à une ribambelle de vieux bonhommes, se les faire balafrer jusqu’à avoir l’impression de se trimballer Albator entre les jambes, pendant que le club que l’on adore se fait piétiner par un rival en tous points médiocre, restera une expérience moins traumatisante que n’importe quel OM-Toulouse.

 

OCEANO NOX

 

Il y a des raisons évidentes d’en vouloir au TFC, qui semble n’avoir pas d’autre but dans la vie que celui de foutre en l’air les saisons olympiennes. On compte deux exemples fameux, espacés d’une décennie :

Quand, en 2009, un doublé de Gignac au Vélodrome permet à Bordeaux de distancer l’OM dans la course au titre. Le premier des innombrables coups bas d’André-Pierre au club de son cœur ( ce qui ne doit pas nous étonner car, à voir l’état de ses artères coronaires, il y a fort à parier que Gignac n’aime pas trop son cœur non plus).

Quand, en 1999, un penalty sévère d’Oceano dans un stade hostile permet à Bordeaux de distancer l’OM dans blablabla.

Martin Braithwaite est seul en pointe

Martin Braithwaite est seul en pointe

Ces deux matches qui bornent une éternité de matchs inutiles, dans lesquels un Toulouse moribond ressuscitait le temps de 2x90 min. Le temps de gagner 1-0 but de Batlles (©). Le temps, une fois encore, de bien me péter les couilles.  Il n’y a aucun doute à avoir : à la lumière de son palmarès, et de l’intérêt qu’il suscite, la seule raison d’être du TFC, sa matière première, c’est de foutre en l’air les espoirs olympiens. C’est son parasite.

Ce qui nous conduit à la vraie perversité de cette rivalité : même les victoires marseillaises sont des mauvaises nouvelles. Par définition, si l’OM bat Toulouse, c’est qu’il n’y a pas grand-chose à attendre de la saison en cours. On l’a vu, le TFC se nourrit d’espoir ; et quand ton parasite te laisse tranquille, c’est qu’il n’y a plus rien à bouffer. Il faut donc se rendre à l’évidence : ces matches-là n’ont jamais de fin heureuse.

 

CARPE DIEUZE, MEMENTO MAURICE

 

Le plus traumatisant de mes OM-Toulouse est sans contexte celui de la saison 2000-2001. Je n’ai jamais eu Canal +, et si l’on oublie la parenthèse enchantée des décodeurs pirates de la saison 92-93, pour moi un match de D1 se suit en crypté, accompagné par la voix de Jean-Louis Pacull à la radio. Alors quand en 2000 mon père choisit contre toute attente de s’abonner à TPS, c’est un rêve qui se réalise : des matchs de l’OM ! en clair !

Je laisse les plus jeunes d’entre vous googler la saison 2000-2001 et  imaginer les différentes étapes de mon désenchantement.

Les toulousains partent en contre

Belle contre-attaque toulousaine

 

Je garde quelques souvenirs précis de ce match-là, notamment de la combinaison improbable qui allait aboutir au but égalisateur de Belmadi, après DES HEURES ET DES HEURES de tentatives infructueuses. Ce soir-là l’expression « traversée du désert » n’en était plus une : quand au bout de toi-même, au comble de la sécheresse, tu n’en viens plus qu’à espérer un but, un but égalisateur, un but égalisateur de Belmadi, un but égalisateur de Belmadi contre Toulouse, quand ce miracle se produit enfin, la prise de conscience lui succède : dans l’état actuel des choses, voilà à quoi ressemble un miracle : à un but égalisateur de Belmadi contre Toulouse. Et la tronche de tes miracles en dit long sur la teneur de ton quotidien.

 

PLUS RIEN NE S'OPPOSE A L'ENNUI

 

En définitive, s’il fallait rendre compte d’à quel point ce match était chiant, il faudrait au moins un livre de Brett Easton-Ellis. Une description clinique, interminable, sans ellipse, des actions les plus élémentaires.

« Stéphane Trévisan va chercher le ballon derrière le panneau publicitaire, qui exhibe le logo Pitch, les brioches de Potch. Il enjambe le panneau. Il entend un supporter qui l’insulte. Il revient à sa place et lève la tête : Bruno N’Gotty est démarqué. Son maillot blanc est maculé de sueur ; on aperçoit en transparence un débardeur qui pourrait être gris anthracite, il ressemble un peu à celui qu’a sorti Nike l’été dernier, mais il est censé être en rupture de stock. Sa chaussure gauche est mal nouée. Stéphane Trévisan choisit la sécurité, et dégage en direction de ses attaquants, même s’il sait que Pouget risque d’être un peu tendre au duel aérien. La balle s’élève, la trajectoire n’est pas celle escomptée ; Stéphane Trévisan a un peu dévissé ».

Oui, c’est un match qui fut à ce point désincarné. Qui fut au football ce que Phil Collins est à la musique : les gestes sont les mêmes, mais l’âme fait défaut.

TUMBLEWEED blowing

Dominique Arribagé a opté pour une défense à 4

Le cru 2015/2016 a tenu toutes ses promesses, nous ramenant à cet âge d’or des années 2000 : trois tirs cadrés par match, un festival d’imprécisions techniques et des joueurs aux mouvements inintelligibles, façon théâtre contemporain à minuit sur Arte.

C’est qu’un bon OM-Toulouse transcende l’ennui comme Troisgros le saumon à l’oseille, nous rappelle à son ontologie : en donnant un aperçu de ce à quoi ressemble l’immortalité, il vient mettre fin à ce vieux rêve de l’humanité : si la mort est une perspective insupportable, elle vaut bien son alternative. Et votre vie, comme la mienne, ressemble à cet OM-Toulouse : elle n’aura pas de fin heureuse.

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