ET SI L'OM DE BIELSA MÉRITAIT CE QU'IL LUI ARRIVE ?

En conférence de presse après la défaite face à Bordeaux, Marcelo Bielsa estimait que l'OM ne méritait pas de perdre sa place sur le podium, regrettant dans le même mouvement d'avoir été vaincu par une équipe qui aura eu moins d'opportunités que la sienne. Une lecture orientée des lois du jeu qui confond justice et morale.


La défaite de l'OM face à Bordeaux est un moment fort de la saison olympienne, frustrant dans son contenu comme pour ses conséquences, et la perte de la troisième place est vécue comme une injustice par les supporters qui regrettent de voir leur équipe et ses principes audacieux dépassés par le football pragmatique de l'AS Monaco, où l'on optimise ses résultats sportifs comme sa déclaration fiscale.

On peut s'étonner de voir Bielsa s'aligner sur un tel discours, même s'il exprime certainement ici sa tristesse de ne pas voir récompensés les efforts de ses troupes. Il cède aux sirènes rhétoriques du métier au lieu d'exposer comme à son habitude ce qu'il analyse comme les explications raisonnables du résultat. Pourtant, si Bordeaux n'a pas dominé la rencontre, si leur victoire doit peut-être plus aux péripéties du match qu'elle ne vient sanctionner la réussite de leur plan de jeu, elle reste tout à fait licite aux regards des lois du jeu. Dans ces conditions, qu'est ce qui vient nourrir ce sentiment que l'OM aurait mérité la victoire ?

Dominer n'est pas jouer

Le premier réflexe serait d'invoquer les erreurs d'arbitrage, mais nous prenons le parti de le contrarier. Avant même de prendre la défense de leur travail, nous préférons voir l'arbitre comme une condition météorologique comme une autre : à part Rolland Courbis, personne n'irait mettre une défaite sur le compte du sens du vent.

L'OM pratique un jeu porté vers l'avant, parfois séduisant comme en début de saison, plus maladroit aujourd'hui, grâce auquel elle aura gagné le respect des observateurs et ramené certains sceptiques à leur passion première. Mais l'offensive est un choix, ce n'est pas un devoir. Et que l'OM produise plus de jeu que l'ASM ne signifie pas qu'il mériterait plus de finir sur le podium.

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Car le football n'a pas de sens. Les lois du jeu ne sont pas les Tables de la Loi, juste une base légale, une somme de références techniques vouées à encadrer le bon déroulement d'un match. Rien qui intime que le jeu offensif représenterait une forme d'absolu, la meilleure façon de jouer au foot, même si certaines règles semblent aller dans ce sens (l'avantage, qui dans les faits bénéficie surtout à l'équipe qui a la possession - ce qui ne signifie pas qu'elle est dans une phase offensive), contredites par d'autres jurisprudences (« dans le doute, priorité à la défense »).

Quant aux assouplissements des hors-jeu (les hors-jeu passifs qui ne sont plus sanctionnés, et amènent parfois à valider des buts grotesques), ainsi que l'interdiction pour le gardien de prendre à la main une passe d'un équipier, ils répondent à des impératifs de spectacle intimés par les télévisions, qui espèrent des matchs toujours plus fluides et enlevés, selon la même surenchère qui épuise les blockbusters au cinéma.

Car à la vérité, il n'y a pas de bonne façon de jouer au foot. Il s'agira toujours de marquer un but de plus que l'adversaire, dans les limites de ce cadre-là. Il n'y a pas de déshonneur à chercher à bien défendre, pas de déshonneur à jouer le contre, pas de déshonneur à tout miser sur un coup de pied arrêté ou une séance de tir au but. Car le football n'a pas d'honneur, et les lois du jeu sont plus naturelles que morales.

Et en football comme dans la nature, le mérite n'existe pas. Perdre un match que l'on a dominé, c'est mourir d'un cancer à 6 ans : ce n'est pas injuste, c'est comme ça.

Le football est une pulsion de mort

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Présenter le jeu offensif comme porteur d'une noblesse particulière est une construction sociale, tout comme flatter l'esprit d'entreprise, l'ambition et les plans de carrière professionnels et familiaux. L'illusion d'un destin conditionné par une série de choix qui seraient a priori meilleurs que d'autres. Mieux vaut travailler que de ne pas le faire. Mieux vaut enfanter que de ne pas le faire. Mieux vaut être heureux que de ne pas l'être. Ce besoin ontologique de baliser le néant.

De la même manière, le mérite en football est un totem, l'espoir matérialisé, l'ombre d'un idéal vers lequel il faudrait tendre, ou à défaut une série d'efforts qu'il serait injuste de ne pas récompenser. S'il était possible de perdre un match que l'on mérite de remporter, cela signifierait qu'il existe des forces extérieures au déroulement et à la codification de celui-ci.

Mais si les trous dans la raquette de la science préservent la possibilité du rêve, le football est une dimension sans mystères ni mystique, où toute quête de sens est un mirage, où le mérite est tout entier défini dans les écritures. Où les seules victoires que l'on mérite sont celles que l'on remporte.

Et tandis que l'on pourrait croire que le score final est la parfaite métrique de la qualité d'une existence, son implacable logique, on comprend qu'il s'agit moins d'un objectif que d'un solde, et que le football est en vérité une pure expérience nihiliste.

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