DU "CLASSICO" AU "CLASSIQUE" : QUAND LE FOOT FRANÇAIS VEND SON IDENTITÉ

Depuis peu, "Le Classique" est venu remplacer "Le Classico" comme dénomination commune des rencontres OM-PSG, pour le plus grand plaisir des académiciens. Mais s'agit-il vraiment d'une pulsion de francisation ?

 

OM-PSG : UN ACCIDENT INDUSTRIEL ?

 

C'est une curiosité qui a été longtemps tolérée. Pourquoi donc fallait-il que le choc OM-PSG s'appelle "Le Classico", alors qu'il voyait s'affronter deux équipes françaises, deux villes qui de surcroît n'ont jamais fait preuve d'une hispanophilie manifeste. Les racines médiatiques à l'origine de cette rivalité ont déjà été longuement débattues, et ce n'est pas prendre un bien grand risque que d'affirmer que cette dénomination s'inscrit dans le prolongement de la même dynamique. Se réclamer de l'antique rivalité Barça-Real, se figurer dans le même référentiel, à l'image d'un Laurent de Médicis représenté en peinture au beau milieu d'une scène de la Grèce Antique, c'est avant tout s'emparer de son patrimoine; c'est se positionner en héritier légitime de la tradition.

 

Malheureusement, la chronique incapacité de ces deux clubs à se maintenir au plus haut niveau nuira durablement à la crédibilité de cette affiche, et sa dénomination se retournera contre elle. Car à force d'accoucher de matches sans enjeu ni spectacle, l'affiche se condamne à être constamment évaluée à l'aune de son équivalent espagnol, à côté duquel elle fait inévitablement pâle figure. Jamais à court d'imagination lorsqu'il s'agit d'être opportuniste, la presse saura tirer son épingle du jeu, célébrant l'importance de l'affiche la semaine précédant le match (c'est mieux, quand on veut vendre des journaux et de l'espace publicitaire) pour mieux la dénigrer la semaine qui suit, avec à chaque fois la même candeur. Censé être le produit phare de la Ligue 1, le Classico français est au contraire devenu le label de sa médiocrité.

 

classique

 

UNE ÉMANCIPATION FANTASMÉE

 

Mais avec l'arrivée du Qatar à la présidence du PSG, les media ont changé leur fusil d'épaule. Et sans tambour ni trompette, Le Classico est subitement devenu "Le Classique". Un nom digne, qui évoque les nobles luttes que mènent les cyclistes face aux pavés et aux éléments. Un moyen de s'émanciper du modèle espagnol, aussi, et de clamer l'orgueil d'un football français enfin fier de ses origines. Dorénavant, la Ligue 1 produira son propre référentiel.

 

Fierté paradoxale, car le championnat de France célèbre son identité au moment même où il la perd, tant l'arrivée des qatariens le rapproche de ses voisins : le budget pharaonique et la politique tarifaire d'un club de Premier League, une politique commerciale qui singe celle du Real, et cette idée motrice du football envisagé comme un spectacle garanti, qui s'adresse plus à ses téléspectateurs qu'à son public. Tant pis si ces investissements crucifient ce qui était la vraie spécificité de la Ligue 1 : une certaine exigence de justice, certes relative, mais toutefois suffisante pour assurer un minimum d'équité et permettre aux sans-grades de ne pas faire office de simple faire-valoir. Le titre montpelliérain aura à ce titre été un joli pied de nez, le dernier sursaut du football français avant sa capitulation. Ironiquement, cette francisation ne signifie pas l'émancipation du championnat de France, mais au contraire son conformisme.

 

Il faut se souvenir qu'à la signature de Pastore, puis d'Ibrahimovic, Tiago Silva et ainsi de suite, la presse généraliste avait fait peu de cas de cette équité bafouée, du déséquilibre cinglant que supposait de tels investissements, incapable de se comporter autrement que comme des mômes le soir du plus beau Noël de leur vie. Et la jubilation sans nuances qu'expriment les journalistes de Canal + et de L'Équipe à chaque nouvelle star recrutée trahit l'essence de leur mission : promouvoir plutôt qu'informer. L'émergence de ce Classique participe à l'opération de repackaging entamée depuis l'avènement du QSG, et rappelle la véritable raison d'être d'une telle affiche : être le héraut non pas d'un football français retrouvé et fier de son histoire, mais de la déclinaison locale d'un modèle économique standard et éprouvé.

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