L'OM DE BIELSA, DÉJÀ DANS L'HISTOIRE

EDITO | S'il est un peu tôt pour en faire un candidat au titre, tout porte à croire que la place de l'OM façon Bielsa dans l'histoire du club et du football français ne se mesurera pas à l'aune de son palmarès.

Certes, l'OM ne s'est pas encore mesuré aux cadors du championnat. Certes, le club bénéficie d'un calendrier plus léger que ses concurrents, et du fait de sa réputation déclinante affronte des adversaires moins motivés qu'auparavant, qui réservent leur énergie pour le choc face au PSG et ses superstars.

Pourtant, les qualités entrevues sur le terrain, le regain spontané de popularité à l'échelle locale comme nationale, et cette nouvelle estime médiatique sont autant de symptômes de l'envergure qu'est en train de prendre l'OM de Marcelo Bielsa, que des titres ou non soient à la clé.

UN NOUVEL ESPOIR

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C'est que Bielsa lui-même a un palmarès des plus modestes, ce qui ne l'empêche pas d'influencer actuellement toute une génération de coaches, tels Guardiola, Simeone ou encore Pochettino.

A l'échelle de l'histoire du football, ses apports et ses convictions prévaudront peut-être sur son absence de titres majeurs, et son nom d'être cité aux côtés de Rinus Michels, Helenio Herrera ou Tele Santana, comme l'un des grands innovateurs tactiques de son époque.

De la même manière, ce qui se passe à l'OM actuellement va au delà de l'éventualité d'un titre ou de l'accomplissement d'objectifs à court terme (qu'importe si les propos de Bielsa et sa situation contractuelle affirment le contraire).

Il ne s'agit pas de déjà préparer aux probables déconvenues à venir, ni de prophétiser à cette équipe là un destin de perdant magnifique. Les apports de la méthode Bielsa sont déjà visibles, et l'absence de titres ne saurait les atténuer.

Après des années de vache maigre, le supporter retourne enfin au stade le cœur léger, et l'espoir de prendre du plaisir est de nouveau raisonnable. Un sentiment qui, comme le look de l'entraîneur olympien, semble surgir des années 90.

SEULE LA VICTOIRE COMPTE ?

Les années 2000 ont éduqué le supporter marseillais au pragmatisme. Sportif, quand il a fallu comprendre que Drogba serait l'exception plutôt que la règle; économique, quand se sont succédé les noms improbables, les joueurs en fin de contrat et les paris hasardeux.

Conséquence sur le terrain, des matchs indigents, des joueurs interchangeables, des victoires qu'on distingue difficilement des défaites, et une ambiance en berne que l'absence de toit n'excusera pas longtemps. Le plaisir du supporter était devenu comptable, uniquement lisible sur le tableau d'affichage.

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Le commando monté par Deschamps, s'il s'inscrit en faux de cette médiocrité (l'effectif était de qualité, et l'équipe maîtrisait généralement son sujet), en incarnait par instant l'aboutissement : en ayant la victoire pour seul horizon, il privilégia la prise de risque minimum et ne s'embarrassa pas d'expérimentations.

Avec cette inquiétante sécurité pour conséquence : Didier Deschamps avait monté une équipe qui battrait toute équipe qui lui était inférieure, et perdrait contre toute équipe meilleure qu'elle. A cette époque, il était moins affaire de football que de mathématiques.

En 2014, le zeitgeist propose la transaction inverse : l'équipe privilégie l'offensive et un pressing coûteux en énergie, quitte à finir les matches et la saison sur les rotules, et au prix d'une exposition maximale (on voit régulièrement l'équipe dans ses phases de possession placer au moins 7 joueurs dans la partie adverse) ce qui lui coûtera certainement quelques défaites spectaculaires contre des équipes brillantes individuellement ou spécialistes des escarmouches, mais ramène le football sur le terrain et dans les tribunes.

Il est de nouveau question de football, il est de nouveau question d'émotions. Les résultats ne seront peut-être plus là pour longtemps, mais la philosophie de jeu est déjà présente. En cette année où l'OM incarne quelque chose.

TOUT DOIT DISPARAÎTRE

Bien sûr, opposer les résultats et le "beau jeu" est un violent sophisme, qui suffirait presque à disqualifier l'article tout entier. Mais il questionne l'expérience du supporter, que les almanachs et l'obsession des medias pour "l'histoire" du football - cette légende qui curieusement s'écrit tous les jours, au gré de statistiques stupides et d'exploits surjoués - détournent vers une course au palmarès, mensurations factices installant des hiérarchies inutiles. Quand j'aime quelqu'un, ce n'est pas pour ses mensurations ni son IMC; c'est en vertu des moments passés ensemble.

Et quand je parlerai à mes enfants de cette période, je n'évoquerai pas le classement final, mais ces matches qui m'auront offert certaines de mes plus grandes joies de supporter et de fan de foot. La fierté d'avoir vu l'OM incarner des idées footballistiques, dans une époque qui néglige ce sport en faveur de ses produits dérivés.

Après avoir pris l'habitude de voir mon club symboliser les dérives du football moderne, jamais son alternative. Cette fierté vivra dans les fantasmes de mes enfants, se diffusera malgré l'indifférence de mes petits-enfants pour un passé devenu trop abstrait, et cimentera l'histoire du club bien plus que des classements qui se succèdent avec la fréquence d'un bilan comptable. Car dans son appétit sans faim, l'Histoire dévore les vainqueurs en même temps que leurs valets.

Et en s'appropriant la doctrine qu'a importé Bielsa, l'OM pourrait bien écrire l'Histoire en même temps que la sienne, et en développant cette différentiation aurait une occasion unique d'être un des héraults du football de demain, au lieu d'être un avatar anonyme de celui d'aujourd'hui. De quoi assurer sa postérité bien plus efficacement qu'avec un énième titre de champion de France.

Benedetto - G. Bédécarrax.

7 comments

  1. User_OM 13 mars, 2016 at 11:16

    Punaise!
    Hé! Que ça m’a fait un bien fou de retomber sur cet article par les temps qui courent !
    En espérant que cette saison serve, tant qu’à faire, à finir de convaincre les sceptiques à cette vision du football !
    Merci à vous !

  2. Nanardstef 8 octobre, 2014 at 11:31

    « Car dans son appétit sans faim, l’Histoire dévore les vainqueurs en même temps que leurs valets ».

    J’aime j’aime j’aime … la larme à l’oeil que vous vous m’avez mis, mes salauds !!

  3. Nanardstef 8 octobre, 2014 at 11:31

    « Car dans son appétit sans faim, l’Histoire dévore les vainqueurs en même temps que leurs valets ».

    J’aime j’aime j’aime … la larme à l’oeil que vous vous m’avez mis, mes salauds !!

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